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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 1Les Rêves Inquiétants


Luce Duval

Un souffle glacé effleura sa nuque, et Luce se réveilla en sursaut, son cœur battant à tout rompre. Un cri étouffé mourut dans sa gorge, remplacé par une sensation de vide oppressant. Elle inspira profondément, s’efforçant de calmer la panique qui s’accrochait à elle comme une ombre tenace. La lumière pâle de l’aube s’infiltrait à travers les rideaux de son petit appartement parisien, projetant des formes indistinctes sur les murs, comme si le rêve cherchait encore à s’accrocher à la réalité.

Elle passa une main tremblante sur son visage, ses doigts effleurant les cernes profondes sous ses yeux. Ces mêmes images tournaient en boucle chaque nuit : des arbres immenses aux branches torsadées, une obscurité presque vivante, et cette voix... douce mais insistante, résonnant encore dans sa tête, comme un murmure d’un autre temps. Puis, ces yeux gris perçants, fixes, implacables. Ils n’étaient pas seulement dans ses rêves. Non, ils semblaient la suivre jusque dans son réveil, comme si elle avait été scrutée depuis un endroit qu’elle ne pouvait atteindre.

Elle se leva avec lenteur, chaque mouvement alourdi par la fatigue. Enfilant un pull ample par-dessus son débardeur froissé, elle traversa son petit studio, ses pieds nus effleurant le parquet froid. L’appartement, avec sa bibliothèque débordante de livres, son bureau encombré de notes et d’esquisses, avait toujours été un refuge. Mais ces derniers temps, même son cocon parisien perdait son pouvoir apaisant.

Elle se dirigea vers la kitchenette et mit de l’eau à chauffer, ses pensées embrumées parcourant les fragments du rêve. Alors qu’elle attendait, son regard se posa sur la vitre de la fenêtre. Elle y vit son propre reflet, fatigué et hanté, entouré par les toits parisiens baignés d’une lumière grise. Un frisson la parcourut quand elle crut, l’espace d’un instant, percevoir une ombre derrière elle dans le verre. Mais quand elle se retourna, il n’y avait rien.

Avec son thé à la main, elle s’assit sur le canapé, entourée de ses livres d’histoire de l’art. Ses recherches sur les influences médiévales et les motifs décoratifs semblaient vides de sens ce matin-là. Il y avait un écho dans tout cela – une résonance qu’elle ne parvenait pas à saisir. Ses pensées se tournèrent vers le carnet posé sur la table basse. C’était là qu’elle consignait les détails de ses rêves, dans l’espoir d’y trouver un sens.

Elle ouvrit le carnet, ses doigts effleurant les pages couvertes de croquis d’arbres noueux, de spirales gravées et de ces yeux gris qui revenaient chaque nuit. Elle traça distraitement une ligne, puis une autre, esquissant cette spirale étrange, hypnotique, qui semblait vivante dans ses rêves. Mais cette fois, une sensation étrange l’accompagna : un picotement dans ses paumes, comme si ses doigts se souvenaient de quelque chose qu’elle avait oublié.

— Ça suffit, murmura-t-elle à voix basse, brisant le silence de la pièce.

Elle referma brusquement le carnet et se leva, cherchant à échapper à cette tension qui lui nouait la gorge. Elle se força à regarder la vieille photographie posée sur une étagère. Une image de son enfance, où elle se tenait à côté de sa mère dans un parc provincial. Sa mère, sévère et distante, avait toujours été une énigme pour Luce. Cette absence d’affection palpable, combinée à ce sentiment qu’il manquait quelque chose – ou quelqu’un – dans leur vie, pesait toujours sur ses souvenirs.

Les rêves avaient commencé à cette époque, mais ils n’étaient qu’un murmure indistinct alors. Un bruissement lointain. Maintenant, ils étaient devenus un ouragan, une force qu’elle ne pouvait plus ignorer.

Elle enfila son manteau, attrapa son sac et descendit les escaliers étroits de son immeuble jusqu’à la rue pavée. L’air frais du matin vint la cueillir, chassant l’épuisement qui alourdissait son esprit. Les sons familiers de Paris – une moto qui passait, le tintement des tasses dans un café ouvert tôt – l’enveloppèrent brièvement.

Traversant le Marais, elle tenta de se concentrer sur la journée qui l’attendait. Mais le poids de ses rêves restait omniprésent. Et si ces rêves ne s’arrêtaient jamais ? Et s’ils étaient plus qu’un simple jeu de son esprit fatigué ?

En arrivant devant la galerie, elle s’arrêta une seconde. Une étrange sensation lui effleura la nuque, comme un souffle léger. Mais encore une fois, elle ne vit rien. Elle ouvrit la porte, le tintement de la cloche résonnant dans l’espace chaleureux de la boutique.

Mme Rousseau, élégante dans ses habits soignés, leva les yeux de son registre et lui adressa un regard attentif.

— Bonjour, Luce. Tu es encore plus pâle que d’habitude. Ces nuits agitées te minent. Tu ferais bien de te reposer un peu plus, dit-elle d’un ton mêlant une légère réprimande et une inquiétude sincère.

— Oui, peut-être, répondit Luce avec un sourire forcé.

Elle se dirigea vers l’arrière-boutique, plongeant aussitôt dans son travail. Mais même en débattant des céramiques médiévales, elle ne pouvait échapper à ses pensées. Sur l’une des pièces qu’elle déballa, un détail gravé attira son attention. Une spirale entourée de lignes délicates, étrangement familière, presque vivante à ses yeux. Elle tendit la main, effleurant la surface rugueuse, et un frisson glacé remonta le long de son bras.

Un bruit venu de l’avant de la boutique la ramena brusquement à la réalité. La cloche d’entrée venait de sonner. Luce posa précautionneusement la céramique et sortit de l’arrière-boutique.

Un homme se tenait près de la vitrine. Élégant, vêtu d’un manteau long, il observait un collier ancien exposé sous la lumière tamisée. Quand il tourna légèrement la tête dans sa direction, Luce sentit son souffle se couper. Ce n’était pas un détail précis de son apparence – bien qu’il fût étrangement raffiné – mais une intensité dans son regard.

Ces yeux... gris.

Elle resta figée un instant, avant de se forcer à avancer.

— Puis-je vous aider ? demanda-t-elle, tentant de masquer son trouble.

L’homme la fixa un instant de plus, un sourire énigmatique effleurant ses lèvres.

— Je ne fais que regarder, répondit-il d’une voix basse et calme, presque hypnotique. Puis, après une pause, il ajouta, doucement : Vous avez un goût pour les objets chargés d’histoires, n’est-ce pas ?

Luce fronça légèrement les sourcils, perturbée par l’étrange familiarité de son ton.

— Oui, c’est... mon travail, répondit-elle avec prudence.

Il inclina légèrement la tête, comme satisfait de sa réponse, avant de détourner les yeux pour continuer à observer les vitrines.

Luce retourna à l’arrière-boutique, mais son esprit restait fixé sur cet échange. Chaque mot semblait pesé, chaque regard calculé. Et cette sensation persistante, comme si son regard la suivait même hors de sa vue, refusait de disparaître.

Quand le soleil déclina et que la galerie ferma ses portes, Luce s’attarda quelques instants, scrutant la rue par la fenêtre. L’homme était parti, mais son image restait gravée dans son esprit – tout comme ses rêves.

Alors qu’elle verrouillait la porte, une voix ténue résonna dans sa tête. Une voix douce mais insistante, semblable à celle de ses rêves.

Elle frissonna.

Et si ce n’était que le début ?