Chapitre 3 — Le Miroir Envoûtant
Luce Duval
Luce était assise sur le tabouret de l’arrière-boutique, un carnet de croquis ouvert sur ses genoux, face au miroir imposant. Malgré la lumière tamisée de la lampe de bureau, le miroir semblait posséder une énergie propre, projetant une lueur ténue, presque imperceptible. Les runes gravées sur le cadre semblaient vibrer, comme si elles s'animaient sous son regard. Une tension inexplicable emplissait l'air, un léger bourdonnement qu'elle ne pouvait entendre mais qu'elle ressentait dans tout son être. Elle soupira doucement, tentant de calmer l’agitation qui pulsait dans sa poitrine.
En détournant les yeux de la surface envoûtante, elle se concentra sur ses croquis. Les symboles gravés sur le bois sculpté étaient étranges, hypnotiques, et leur style échappait à toute classification historique qu’elle connaissait. Sa main trembla légèrement alors qu’elle traçait les contours d’une spirale complexe. Ce tremblement résiduel lui rappelait la décharge qu’elle avait ressentie plus tôt en touchant le cadre.
Un bruit léger derrière elle fit battre son cœur plus vite. Elle tourna vivement la tête, scrutant l’arrière-boutique. Les étagères chargées de livres et les caisses empilées contre le mur étaient immobiles, inoffensives. Pourtant, l’impression d’être observée persistait, comme si une présence invisible se tenait dans la pièce. Elle inspira profondément, essayant de dominer la montée d’appréhension, et se pencha de nouveau sur son carnet.
Elle décida d’examiner le miroir plus en détail. Approchant la lampe de bureau de la surface gravée, elle observa attentivement les motifs. Sous cette lumière concentrée, les ombres projetées par le cadre semblaient s’étirer et se déformer, donnant vie aux entrelacs qui serpentaient autour des runes. « Ce n'est qu'un effet de la lumière », murmura-t-elle pour se rassurer, mais au fond d’elle, un malaise tenace subsistait.
Prenant une grande inspiration, elle tendit à nouveau la main vers le bois sculpté. Cette fois, elle se prépara mentalement à ressentir l’étrange chaleur qui semblait pulser de l’objet. La sensation se manifesta dès que ses doigts effleurèrent les gravures, mais elle était différente, plus intense, comme si le cadre répondait à son toucher. Retirant immédiatement sa main, Luce observa ses doigts, s’attendant presque à voir des marques ou des traces lumineuses. Rien.
Elle se força à calmer ses tremblements et, après une hésitation, releva lentement les yeux vers la glace. Ce qu’elle vit la glaça.
Une silhouette floue se tenait dans le reflet, indistincte mais indéniable. Les contours étaient imprécis, comme dessinés dans la brume, mais suffisamment nets pour trahir une carrure imposante et des épaules larges. Le souffle coupé, Luce chercha désespérément une explication rationnelle, son regard alternant entre le miroir et la pièce derrière elle, qui, elle le savait, était vide. Quand elle revint au miroir, la silhouette avait disparu.
Elle recula brusquement, renversant la lampe de bureau dans son mouvement précipité. La lumière vacilla avant de s’éteindre, plongeant la pièce dans une obscurité oppressante. Se plaquant contre le mur, elle fixa le miroir, qui restait visible malgré les ténèbres. Une faible lueur émanait de sa surface, comme un souffle retenu.
« Ce n'est qu'un jeu de lumière… rien de plus », murmura-t-elle, mais sa voix tremblante trahissait son incrédulité. Elle chercha à tâtons l’interrupteur de la lampe et, après quelques secondes qui lui parurent interminables, la lumière revint, projetant une clarté terne sur l’arrière-boutique. Le miroir, redevenu inerte, semblait attendre.
Luce savait qu’elle ne pouvait ignorer ce qu’elle venait de voir. Mais à qui pouvait-elle parler de ces phénomènes ? Mme Rousseau ? Impossible. La propriétaire de la galerie mettrait cela sur le compte de son épuisement. Une idée s’imposa alors à son esprit : le nom sur l’étiquette du colis, « Château Montclair ». Peut-être contenait-il des indices sur l’origine de ce miroir étrange.
Attrapant son téléphone, elle tapa rapidement ces mots dans la barre de recherche. « Château Montclair », murmura-t-elle à voix basse. Parmi les résultats qui s’affichèrent, un article attira son attention : « Château Montclair : entre légendes et mystères ». Cliquant sur le lien, elle lut avidement.
Le texte décrivait un château situé dans une région isolée du sud de la France. Abandonné depuis le XIXe siècle, il avait appartenu à une famille noble connue pour ses recherches occultes. Un passage particulier la fit frissonner : l’article mentionnait un miroir ancien, réputé maudit, retrouvé dans les chambres souterraines de la demeure avant d’être vendu à un collectionneur privé.
« Ce doit être le même miroir », murmura-t-elle, un mélange de fascination et d’effroi se disputant dans son esprit.
Elle s’apprêtait à poursuivre ses recherches lorsqu’un grincement derrière elle la fit sursauter. Elle se retourna vivement, tenant son téléphone comme une arme dérisoire. L’arrière-boutique semblait vide, mais l’air près du miroir semblait… lourd. Comme si une présence invisible l’emplissait.
Cette fois, elle sentit une vibration presque imperceptible sous ses pieds, comme un battement sourd émanant du cadre sculpté. Une pensée terrifiante lui traversa l’esprit : et si ce miroir était plus qu’un simple artefact ? Et s’il était… une porte ?
Rassemblant tout son courage, Luce s’approcha de l’objet. Ses doigts tremblants effleurèrent la surface froide de la glace. Une vague d’énergie l’envahit, plus intense que jamais, et un souffle glacé sembla émaner du miroir. Sa vision se brouilla. Pendant une fraction de seconde, elle crut entendre un murmure : « Luce… »
Elle recula, le cœur battant à tout rompre, et trébucha légèrement en s’éloignant du miroir. La pièce était redevenue silencieuse, immobile. Mais elle savait qu’elle n’avait pas imaginé cette voix.
Les jambes tremblantes, elle quitta l’arrière-boutique, verrouillant soigneusement la porte derrière elle. Près de la vitrine principale, elle s’appuya contre le comptoir, essayant de reprendre son souffle. Au-delà de la peur, une détermination naissait en elle. Ce miroir n’était pas qu’un simple objet ancien. Il était lié à quelque chose de bien plus grand. Et, d’une manière ou d’une autre, il semblait lié à elle.
Elle ne pouvait plus reculer. La vérité sur ce miroir devait être découverte, quoi qu'il en coûte.