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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Les secrets des archives


Anna Lafont

Anna s’installa à la table de lecture, plongeant dans l’atmosphère dense de la Bibliothèque des Archives. Le silence environnant semblait presque viscéral, ponctué uniquement par le froissement des pages que quelques chercheurs éloignés manipulaient avec précaution. L'odeur du vieux papier et du cuir patiné ajoutait une dimension tactile à l’expérience. Face à elle, Arnaud Duval s’affairait à compulser d’autres documents qu’il avait apportés, sa posture rigide donnant l’impression d’un homme à la fois concentré et sur le qui-vive.

Elle tourna son attention vers la lettre de Jean-Baptiste Delacroix qu’il lui avait confiée, ses yeux déchiffrant lentement les courbes élégantes mais complexes de l’écriture manuscrite. Le terme "chambre de Saturne" semblait entouré de mystère, mais ce qui la frappa davantage fut une mention presque dissimulée plus bas : *"Les étoiles guident les ombres."* Cette phrase émettait une résonance étrange, comme si elle abritait une clé pour comprendre le reste.

"Cette phrase ici," dit-elle à voix basse, en pointant du doigt le passage. "Vous en avez déjà entendu parler ?"

Arnaud releva la tête, ajustant ses lunettes avant de jeter un coup d’œil à la feuille qu’elle désignait. "‘Les étoiles guident les ombres’. Une métaphore... ou peut-être une allusion à l’astrologie, qui était très prisée à l’époque. Les cours royales étaient fascinées par ce genre de pratiques, bien que cela reste loin de mes spécialisations."

Anna fronça les sourcils, mordillant l’extrémité de son stylo. "Et ces étoiles… s’il s’agissait d’une carte ou d’un lien avec une configuration céleste ? Une sorte de code reliant des constellations à un emplacement précis du palais ?"

Arnaud eut un léger mouvement de recul, son expression oscillant entre surprise et scepticisme. "C’est une hypothèse audacieuse. Mais sans preuve supplémentaire, je vous conseillerais de garder vos suppositions en veilleuse."

Elle secoua la tête, un sourire mi-défiant mi-amusé sur les lèvres. "Vous ne trouvez pas que vous êtes un peu trop pragmatique, monsieur Duval ?"

Il pencha légèrement la tête, un éclat sarcastique animant ses yeux bruns. "Et vous, un peu trop imaginative, madame Lafont. Mais poursuivez, je suis curieux de voir jusqu’où votre intuition vous mènera."

Anna ouvrit son carnet et y nota rapidement les mots : *"Étoiles. Ombres. Chambre de Saturne. Connexions ? Plan céleste ?"* Puis, reculant légèrement sa chaise, elle demanda : "Y a-t-il d’autres documents qui mentionnent cet architecte ou des projets spécifiques auxquels il aurait travaillé ?"

Arnaud se leva sans un mot et disparut dans l’une des allées. Pendant qu’il cherchait, Anna laissa son regard errer sur les étagères imposantes. L’idée que ces murs abritaient des siècles de secrets, des fragments d’histoires oubliées, la fascinait autant qu’elle la rendait nerveuse. Elle revit mentalement les événements de la veille dans la Galerie des Glaces : ce souffle glacé, ces murmures étranges, cette ombre fugace dans le miroir. Et si tout cela n’était pas une coïncidence ? L’idée que ces phénomènes puissent être liés à ce qu’elle découvrait ici renforçait son pressentiment.

Arnaud revint avec une pile de documents, qu’il déposa avec soin devant elle. "Voici des notes attribuées à Jean-Baptiste Delacroix. Elles n’ont jamais été étudiées en profondeur, principalement parce qu’elles sont fragmentaires. Mais peut-être y trouverez-vous quelque chose d’intéressant."

Anna se pencha immédiatement dessus, tandis qu’Arnaud s’asseyait à nouveau, observant silencieusement ses gestes. Les pages, jaunies par le temps, portaient des annotations en marge, des croquis rudimentaires et des chiffres énigmatiques. Parmi elles, un dessin attira particulièrement son attention : un schéma rudimentaire qui semblait représenter une section du palais. Une série de lignes reliait ce qui ressemblait à des pièces, mais la plupart des détails étaient effacés ou illisibles.

"Regardez ici," dit-elle, montrant le croquis à Arnaud. "Cela ne vous semble-t-il pas être un plan partiel ?"

Il examina le dessin, ses doigts frôlant délicatement le papier. "C’est possible. Cependant, sans légende claire ou contexte, cela pourrait être n’importe quoi : un brouillon, une idée abandonnée…" Il s’interrompit, ses yeux se plissant alors qu’il remarquait une inscription dans un coin. "Attendez. Ce symbole ici…"

Anna suivit la direction de son doigt. Une étoile gravée à la main, à cinq branches, était discrètement encadrée dans un cercle. Même si elle était petite et subtile, elle semblait délibérée.

"Ce symbole vous dit quelque chose ?" demanda-t-elle.

"Oui," répondit-il lentement, presque à contrecœur. "On retrouve ce motif dans des documents liés aux pratiques ésotériques du XVIIe siècle. Je pensais qu’il s’agissait de simples ornements de l’époque, mais…"

"Mais ?" insista Anna.

"Mais si Delacroix l’a inclus ici, cela pourrait signifier qu’il était impliqué dans quelque chose de plus… clandestin."

Anna sentit un frisson lui parcourir l’échine. L’idée que l’architecte ait pu jouer un rôle dans des activités occultes ou secrètes semblait soudain plausible. "Et si ce symbole était une sorte de marque ? Un indice pour ceux qui savaient quoi chercher ?" Elle se redressa, son regard brûlant d’enthousiasme. "Vous voyez, monsieur Duval, même votre rationalité ne peut pas réfuter que nous avons ici quelque chose de tangible."

Arnaud soupira, mais elle remarqua une lueur intriguée dans ses yeux. Il ne pouvait pas nier qu’il était lui aussi captivé. "C’est une piste à explorer, je l’admets. Cependant, il faudrait croiser ces informations avec d’autres documents, peut-être des cartes anciennes du palais."

"Et nous avons accès à cela ?" demanda Anna, son énergie renouvelée.

"Oui, bien que les cartes les plus anciennes soient rares et fragmentaires. Laissez-moi voir ce que je peux trouver." Il se leva à nouveau, disparaissant dans les dédales de la bibliothèque.

Pendant son absence, Anna continua d’examiner les notes de Delacroix. Plus elle les lisait, plus elle se sentait submergée par une étrange sensation d’urgence. Ces documents semblaient presque vivants, comme si chaque mot, chaque trait de crayon contenait un cri du passé, une tentative désespérée de préserver un secret enfoui.

Elle fut tirée de ses pensées par un souffle léger, presque imperceptible. Instinctivement, elle releva la tête, scrutant les ombres autour d’elle. Les bougies sur la table vacillèrent brièvement, projetant des silhouettes dansantes contre les murs. Une vague de froid traversa la pièce, et elle frissonna malgré elle, comme si quelque chose l’observait.

"Tout va bien ?" La voix d’Arnaud la fit sursauter. Il était revenu, portant un grand rouleau de parchemin qu’il déroula sur la table.

"Oui, oui, tout va bien," répondit-elle précipitamment, bien qu’elle ne puisse s’empêcher de jeter un dernier regard méfiant autour d’elle.

Arnaud ne fit aucun commentaire, concentré sur le parchemin devant eux. "Voici une carte du palais datant de 1701. C’est l’une des plus précises que nous ayons, bien qu’elle ne montre pas les modifications apportées après cette date." Il désigna une section près des appartements royaux. "Cette zone correspondrait à l’endroit où Delacroix aurait travaillé."

En comparant la carte au croquis de Delacroix, Anna remarqua des similitudes frappantes. Des lignes presque identiques semblaient converger vers une section non identifiée. "C’est ici," murmura-t-elle, son doigt suivant la trajectoire. "C’est là que nous devons chercher."

Arnaud resta silencieux quelques instants, observant attentivement les deux documents. "Cela pourrait être une fausse piste," dit-il finalement, bien que sa voix manquât de conviction. "Mais si vous avez raison… cela pourrait être significatif."

Anna sentit un mélange d’excitation et de nervosité l’envahir. Elle savait qu’elle s’approchait de quelque chose, bien qu’elle ignore encore ce que ce "quelque chose" pourrait être. "Alors, allons vérifier," déclara-t-elle avec détermination.

Arnaud haussa un sourcil. "Vous voulez dire, maintenant ?"

"Pourquoi pas ?" répondit-elle avec un sourire espiègle. "L’histoire n’attend pas, monsieur Duval. Et moi non plus."

Il secoua la tête, mais elle remarqua un éclat presque amusé dans son regard. "Très bien. Mais je vous préviens : si nous ne trouvons rien, je ne veux pas entendre vos théories surnaturelles pendant une semaine entière."

Anna éclata de rire, attrapant son carnet et le plan. "Marché conclu."

Alors qu’ils quittaient la bibliothèque, l’ombre des bougies vacillantes derrière eux sembla se prolonger un instant de manière anormalement lente, comme si quelque chose dans la pièce refusait de les laisser partir sans une trace. Mais Anna, trop concentrée sur sa quête, n’y prêta pas attention.