Chapitre 3 — La Directive de Strickland
Colonel Henry Strickland
L’air dans le MOCC était oppressant, comme si la chaleur du désert s’était insinuée dans chaque recoin malgré le vrombissement constant de la climatisation. Le colonel Henry Strickland se tenait immobile sur la plateforme centrale surélevée, les mains fermement croisées dans son dos, ses yeux noisette perçants scrutant la ruche d’activité en contrebas. Le cliquetis rythmique des claviers et les voix précises des officiers se mêlaient au léger sifflement du système de ventilation, tissant une symphonie d’ordre et de vigilance. Les bottes martelaient le sol poli avec une précision méthodique tandis que les soldats allaient et venaient avec détermination entre les bureaux, leurs épaules alourdies par une tension silencieuse mais palpable.
Le regard de Strickland se porta sur le lieutenant Emma Hayes, visible derrière la cloison vitrée de la salle de briefing adjacente. Penchée sur un rapport d’approvisionnement, elle avait les sourcils froncés, concentrée avec une intensité presque palpable. Hayes incarnait la précision et la rigueur : son uniforme impeccable, ses yeux sombres alignés sur les données comme un laser. Elle était tout ce que Strickland admirait chez un soldat : disciplinée, méthodique et inflexible dans sa quête d’excellence. Et pourtant, alors que ses propres mains se crispaient légèrement dans son dos, il ne pouvait s’empêcher de se demander si cette rigidité ne deviendrait pas un jour un fardeau pour elle, comme cela avait été le cas pour lui autrefois.
Son attention se détourna pour se poser sur le capitaine Daniel Rhodes, qui fit son entrée dans le MOCC avec une assurance nonchalante. Les manches de Rhodes étaient retroussées juste assez pour suggérer une touche de rébellion sans toutefois basculer dans l’insubordination. Son attitude décontractée tranchait fortement avec le professionnalisme rigide de Hayes. La mâchoire de Strickland se crispa légèrement. Rhodes possédait un charisme naturel qui lui permettait de rallier ses équipes même dans le chaos et de flirter avec les règles sans jamais les enfreindre complètement. Cette capacité à s’adapter le rendait précieux sur le terrain, mais dans le cadre strict des opérations de la base, cela représentait une faille potentielle.
Un bref échange visuel eut lieu entre Hayes et Rhodes, chargé d’électricité. Hayes se tendit face à la salutation désinvolte de Rhodes, son professionnalisme heurté par sa familiarité apparente. Le sourire de Rhodes fut fugace, mais Strickland remarqua le léger délai dans son regard, qui s’attarda une fraction de seconde de trop. Hayes, quant à elle, demeura impassible, bien qu’un geste rapide pour ajuster son col trahît un tic nerveux que Strickland reconnaissait comme un moyen de se recentrer.
« Colonel, » lança une voix près de lui. Un aide se tenait là, effectuant un salut impeccable. « Le lieutenant Hayes et le capitaine Rhodes sont prêts pour votre briefing. »
Strickland hocha la tête d’un mouvement sec et se dirigea vers les portes vitrées de la salle de briefing. Ses pas nets résonnèrent brièvement avant que la porte ne se referme dans un sifflement discret, isolant la pièce du tumulte extérieur. Hayes et Rhodes se tenaient au garde-à-vous, leurs silhouettes nettes sous l’éclairage cru du plafond. Les traits symétriques de Hayes étaient un masque de discipline maîtrisée ; le visage robuste de Rhodes, bien que composé, laissait transparaître une légère tension. Strickland laissa planer un silence lourd, imposant sa présence dans la pièce.
« Repos, » dit-il d’une voix courte et délibérée. Il prit place à l’extrémité de la table, se penchant légèrement en avant, ses mains posées fermement sur la surface froide du métal. Son regard balaya les deux officiers, s’attardant juste assez pour capter leur attention entière.
« Cette base, » commença-t-il d’un ton posé mais inflexible, « fonctionne avec précision. Chaque approvisionnement, chaque mouvement, chaque décision s’inscrit dans un système plus vaste. Lorsque ce système vacille, tout ce qui en dépend vacille également. Et des vies sont alors en jeu. »
Hayes demeurait rigide, son regard fixé sur Strickland avec une concentration implacable. Rhodes, en revanche, s’appuya légèrement en arrière, les bras croisés de manière détendue, mais ses yeux bleus perçants restaient rivés sur le colonel, révélant une attention sous son apparente décontraction.
« Nous faisons face à une crise logistique, » poursuivit Strickland, sa voix prenant un ton plus grave, chaque mot pesant. « Les retards dans la chaîne d’approvisionnement ne sont pas de simples contretemps – ils perturbent nos opérations et exposent nos failles. Et désormais, des soupçons de sabotage émergent. »
Les sourcils de Hayes se froncèrent imperceptiblement, ses doigts se crispant légèrement autour du rapport d’approvisionnement qu’elle tenait. Rhodes redressa légèrement sa posture, son air nonchalant remplacé par une intensité contrôlée.
Le regard de Strickland devint plus dur. « Je vous assigne tous les deux à travailler ensemble pour résoudre cette situation. Hayes, votre expertise logistique est indéniable. Rhodes, votre expérience sur le terrain vous donne une perspective unique quant à l’impact de ces retards sur les opérations. J’attends des résultats rapides – et impeccables. »
« Oui, mon colonel, » répondit Hayes fermement, sa voix stable bien que sa prise sur le rapport restât tendue.
Rhodes inclina légèrement la tête, un éclat de curiosité traversant ses traits. « Colonel, si je puis me permettre – avons-nous confirmation d’un sabotage ou s’agit-il encore de simples spéculations ? »
La mâchoire de Strickland se contracta et ses mots sortirent avec une précision tranchante. « Réparez la chaîne d’approvisionnement, capitaine. La spéculation n’est pas une action. En cas de preuve de méfaits, vous me les rapporterez immédiatement. Est-ce clair ? »
« Très clair, mon colonel, » répondit Rhodes calmement, bien qu’une lueur calculatrice dans son regard suggérait qu’il enregistrait soigneusement l’information.
Strickland se redressa, reprenant sa posture rigide, les mains croisées derrière son dos. Ses yeux devinrent d’acier alors qu’ils se posaient tour à tour sur les deux officiers. « Une dernière chose, » dit-il, sa voix s’abaissant en un murmure tranchant. « Cette mission exige un professionnalisme absolu. Je n’ai pas besoin de vous rappeler les politiques en matière de fraternisation. »
Hayes ne bougea pas, bien qu’une légère rougeur effleura ses joues. Rhodes, de son côté, serra légèrement la mâchoire, son expression impénétrable, mais il soutint le regard de Strickland sans détourner les yeux.
« Rompez, » conclut Strickland après un moment de silence.
Les deux officiers quittèrent la salle, leurs démarches contrastant nettement : celle de Hayes rapide et déterminée, celle de Rhodes mesurée et délibérée. Strickland les observa traverser le MOCC, leurs silhouettes encadrées un instant par l’embrasure des portes vitrées avant de disparaître dans le couloir. Il nota la tension palpable entre eux, semblable à un fil tendu prêt à se rompre, une connexion à la fois dangereuse et potentiellement cruciale. Alors qu’ils disparaissaient de son champ de vision, il remarqua Rhodes se pencher légèrement vers Hayes, murmurant quelque chose d’inaudible.Hayes répondit par un bref hochement de tête neutre, mais sa main effleura de nouveau son col, un geste fugace qui en disait long aux yeux exercés de Strickland.
Seul dans la salle de briefing, Strickland exhala un souffle lent et maîtrisé. Ses yeux tombèrent sur son bureau, où son journal relié en cuir noir l’attendait. Il traversa la pièce pour le saisir, la texture des bords usés familière sous ses doigts. En ouvrant une page marquée, il parcourut une note inscrite plusieurs années auparavant.
« La discipline est le fondement de la survie. Mais une discipline sans humanité est une structure creuse, vouée à s'effondrer sous son propre poids. »
Ces mots résonnaient plus profondément aujourd’hui qu’au moment où il les avait écrits. Son pouce effleura le ruban plié alors qu’il refermait le journal dans un bruit feutré. Le passé lui avait appris que les fissures dans un système commençaient souvent comme de simples craquelures infimes—ignorées, minimisées ou négligées, jusqu’à ce qu’elles s’élargissent en échecs catastrophiques. Il s’était promis de ne jamais répéter la même erreur.
Ses pensées revinrent à Hayes et Rhodes. Hayes, brillante et inflexible, incarnait la rigueur et la précision, mais risquait de s’isoler par son intransigeance. Rhodes, charismatique et instinctif, savait inspirer et bâtir des ponts, mais son imprévisibilité constituait un danger à part entière. Strickland les avait réunis non pas par hasard, mais par nécessité—deux forces opposées dont l’équilibre combiné pouvait maintenir la base stable.
Et pourtant, une inquiétude persistait en lui. Les fissures, minimes et fragiles, étaient déjà en train de se former. À peine visibles, mais impossibles à nier. La question restait de savoir si elles renforceraient la structure—ou précipiteraient son effondrement.
Strickland reposa le journal sur son bureau, son reflet visible dans la surface vitrée du MOCC au-delà. Se détournant, il redressa sa posture, ses pas mesurés et délibérés alors qu’il retournait vers la plateforme. La survie de la base reposait sur la précision, mais peut-être que, cette fois, la précision seule ne suffirait pas.