Chapitre 3 — Réveil dans un monde inconnu
Éléonore
La première sensation qu'Éléonore perçut fut une chaleur diffuse, incongrue, comme si son corps baignait dans une lumière étrangère. Un parfum floral, doux et enivrant, enveloppait l’air, et elle sentit une étrange vibration sous sa peau, un frémissement presque imperceptible. Quand elle ouvrit les yeux, ce fut pour être éblouie par une lumière dorée qui inondait la pièce, si pure et douce qu’elle semblait vivante. Elle cligna des paupières, désorientée. Ses membres étaient lourds, comme si elle avait été plongée dans un sommeil trop profond.
La texture soyeuse de la couverture qui pesait légèrement sur elle, le matelas moelleux sous son dos, tout cela contrastait violemment avec son lit d’étudiante modeste. En tournant la tête, elle découvrit un plafond voûté, orné de fresques lumineuses représentant des scènes irréelles : des créatures ailées tourbillonnant sous un soleil éternel, des champs de fleurs éclatantes qui semblaient palpiter, comme si la lumière animait chaque détail.
Elle se redressa brusquement, ou plutôt tenta de le faire. Une vague de vertige la força à se rallonger. Les images de la nuit précédente revinrent en flots désordonnés : la ruelle sombre, le cri, le meurtre, la femme terrifiante, l’homme et son cristal lumineux. Une panique sourde monta en elle. Où était-elle ?
Un bruit léger détourna son attention.
— Vous êtes réveillée.
La voix, grave et mesurée, provenait d’un coin de la pièce qu’elle n’avait pas encore remarqué. Un homme s’avança, ses pas presque inaudibles sur le sol de marbre. Il était grand, avec des cheveux blonds légèrement ondulés et des yeux gris acier qui semblaient scruter jusque dans son âme. Sa tunique ivoire, brodée de fils d’or, portait un symbole inconnu, un soleil stylisé brillant d’un éclat presque surnaturel. Tout en lui semblait irréprochable, de sa posture droite à l’élégance de ses gestes. Pourtant, une froideur distante émanait de lui, et Éléonore sentit immédiatement son instinct se tendre.
— Qui… où suis-je ? souffla-t-elle, la gorge sèche, sa voix à peine un murmure.
L’homme s’arrêta à une distance calculée, croisant les mains dans son dos. Il la fixa un instant, comme s’il pesait soigneusement chaque mot avant de répondre.
— Vous êtes au Palais de l’Aube, dit-il enfin. Je suis Raphaël, prince héritier de cette cour.
Les mots résonnèrent dans son esprit, mais leur signification échappait encore à son emprise, glissant comme une brume insaisissable. Palais ? Prince ? Cour ?
— Je… je ne comprends pas, murmura-t-elle en secouant légèrement la tête.
Raphaël s’avança d’un pas, plongeant son regard dans le sien. Éléonore sentit une tension latente, comme si cet homme portait un poids invisible.
— Vous comprendrez bientôt, Éléonore. Mais pour cela, vous devez écouter.
Son prénom, prononcé avec une telle aisance, résonna comme un coup de tonnerre dans son esprit. Elle se redressa cette fois, malgré la faiblesse de ses jambes, et fixa Raphaël avec une peur mêlée de colère.
— Comment connaissez-vous mon nom ? Je veux rentrer chez moi ! Vous n’avez pas le droit de me retenir ici !
Elle tenta de quitter le lit, mais ses jambes fléchirent, et elle s’effondra presque sur elle-même. Raphaël, immobile, la regardait avec un mélange d’impatience et de contrôle froid.
— Soyez raisonnable. Vous êtes faible, et rentrer chez vous n’est plus une option.
Ces mots glacials s’abattirent sur elle comme une sentence irrévocable.
— Qu’est-ce que vous racontez ? balbutia-t-elle, la voix tremblante.
Raphaël laissa échapper un soupir, une ombre d’agacement passant brièvement sur son visage.
— Ceux que vous avez croisés hier soir savent qui vous êtes désormais. Ils ne reculeront devant rien pour vous traquer.
Le ton était posé, mais les implications étaient terrifiantes.
— Et qui suis-je, au juste ? demanda-t-elle, presque en criant.
Raphaël s’approcha lentement.
— Vous êtes une faë, Éléonore. Une enfant née de la magie et des ombres.
Le silence qui s’ensuivit fut assourdissant. Les mots semblaient flotter dans l’air, impossibles à accepter.
— Non, murmura-t-elle, la colère et l’incrédulité se mêlant dans sa voix. Non, c’est ridicule ! Je suis humaine. Vous… vous êtes malade !
— Vous avez été élevée comme une humaine, corrigea Raphaël, mais votre véritable héritage est ici, parmi nous.
Il fit une pause, puis reprit, ses mots plus tranchants :
— Vous êtes une enfant du Crépuscule, envoyée dans le monde humain pour être protégée.
Éléonore éclata d’un rire incrédule, un rire qui sonnait creux et désespéré.
— Protéger de quoi, exactement ? De vous ?
— De ceux qui vous traquent maintenant, répondit-il avec une dureté accrue.
Elle sentit son cœur s’emballer, et une pensée fulgurante la frappa.
— Ma famille… Ma famille adoptive… Ils vont bien ?
Le ton de Raphaël changea à peine, mais une note plus grave se glissa dans sa voix.
— Pour l’instant. Mais si vous refusez de coopérer, ils ne seront pas en sécurité bien longtemps.
Le monde s’effondra autour d’elle. L’image de ses parents adoptifs, de leur appartement rempli de souvenirs, tout cela était désormais menacé.
— Pourquoi moi ? Je ne suis personne ! cria-t-elle, les larmes lui montant aux yeux.
Raphaël s’accroupit légèrement pour croiser son regard, son visage brusquement plus proche, et murmura :
— Vous êtes bien plus que ce que vous croyez. Le destin des deux mondes repose sur vos épaules, qu’il vous plaise ou non.
Elle chercha dans ses yeux une quelconque trace de compassion, mais tout ce qu’elle trouva fut une détermination impassible.
Il fit signe, et une silhouette émergea de l’ombre. Une femme élégante, vêtue d’une robe dorée qui scintillait comme du soleil liquide, entra dans la pièce. Ses yeux d’ambre semblaient percer l’âme même d’Éléonore.
— Si elle refuse, sa famille humaine mourra, déclara la femme d’une voix douce mais terriblement tranchante.
Éléonore sentit son souffle se couper.
— Vous n’avez pas le droit… balbutia-t-elle.
— Ce n’est pas une question de droit, mais de nécessité, répondit Raphaël avec une froideur implacable.
Un silence lourd s’abattit sur la pièce. Éléonore comprit qu’ils étaient sérieux, et un sentiment d’impuissance l’envahit.
— Très bien, murmura-t-elle finalement, chaque mot chargé d’une colère sourde. Je ferai ce que vous voulez.
Raphaël hocha la tête, mais il ne sourit pas.
— Une sage décision, Éléonore.
Elle détourna le regard, mais au fond d’elle, une flamme venait de s’allumer. Une colère qu’elle savait irrépressible, et qui ne faisait que commencer.