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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Le Café des Ombres


Anne Delacourt

Anne examina une dernière fois la clé en argent posée devant elle sur la table du café. Fine et élégante, elle semblait irréelle sous la lumière tamisée des lampes à abat-jour rouge. L’éclat discret du métal capturait une aura mystérieuse, et les mots de Marianne résonnaient encore dans son esprit : « Ce que nous avons oublié peut nous sauver. » Ces paroles, à la fois une promesse et un avertissement, s’étaient imprimées en elle comme une énigme qu’elle ne pouvait ignorer. Mais qui était vraiment Marianne ? Une alliée ? Une manipulatrice ? Et pourquoi semblait-elle en savoir autant ? Anne scruta la salle, comme si l’ombre de Marianne pouvait encore hanter l’endroit.

Autour d’elle, les conversations feutrées se diluaient dans une ambiance ouatée. Le Café La Clé des Ombres semblait exister hors du temps, un lieu où les secrets flottaient entre les murs fatigués et les murmures discrets. Une odeur de café fort et de tabac froid s’insinuait dans l’air, mêlée à un parfum d’ancien, presque comme si le passé lui-même s’attardait là. Les ombres des clients, projetées par les lampes, dansaient sur le parquet usé, créant une atmosphère propice aux confidences mais aussi aux mystères. Anne se sentit étrangement liée à cet endroit, comme si elle devenait à son tour une petite pièce du puzzle invisible qu’il contenait.

Elle allait se lever pour quitter le café lorsqu’une silhouette familière, à la périphérie de son champ de vision, la figea. Julien. Sa haute carrure, son trench-coat froissé et l’écharpe beige négligemment nouée autour de son cou étaient reconnaissables entre mille. Il entra d’un pas assuré mais fatigué, ses yeux sombres balayant la salle avec une attention inquisitrice. Lorsqu’il croisa le regard d’Anne, il s’arrêta net, une surprise presque imperceptible dans son expression. Puis, d’un pas mesuré, il s’approcha.

« Anne, quelle surprise, » murmura-t-il avec un sourire en coin, bien que ses yeux trahissent une pointe d’inquiétude. « Je ne pensais pas te trouver ici. »

Anne inclina légèrement la tête, tentant de masquer son trouble derrière une façade d’indifférence. Elle glissa la clé dans sa poche, ses doigts effleurant le métal froid comme pour s’ancrer. « Et moi, je ne pensais pas te croiser. Le hasard est parfois curieux. »

Julien, sceptique par nature, haussa un sourcil. Il tira une chaise et s’assit sans attendre d’invitation, son regard scrutant Anne avec cette intensité qu’elle trouvait à la fois fascinante et exaspérante. « Alors, qu’est-ce qui t’amène dans un endroit comme celui-ci, à cette heure ? »

Elle hésita. Devait-elle lui parler de Marianne ? De la clé ? De Sophie ? Une lutte intérieure s’engagea en elle. Julien était une figure du passé qu’elle n’avait jamais totalement réussi à effacer, à la fois un rival intellectuel et un allié potentiel. Mais pouvait-elle lui faire confiance ?

« Je poursuis une piste, » finit-elle par dire, pesant chaque mot. « Une piste qui pourrait concerner Sophie. »

Il se redressa légèrement, son expression oscillant entre scepticisme et curiosité. Il passa une main dans ses cheveux bruns légèrement désordonnés, un geste qui trahissait sa nervosité. « Sophie ? » dit-il, son ton chargé de prudence. « Tu sais que… chercher dans le passé peut être dangereux, Anne. Parfois, il vaut mieux laisser certaines choses reposer. »

Un frisson de contrariété traversa Anne. Julien, égal à lui-même : cynique et protecteur, mais toujours enclin à poser des limites là où elle refusait d’en voir. « Et pourtant, c’est exactement ce que tu fais chaque jour en tant que journaliste, non ? Creuser, même si ça fait mal. »

Un sourire fugace passa sur ses lèvres, mais il s’effaça aussi vite qu’il était apparu. « Touché. Mais Sophie… elle est portée disparue depuis dix ans. Qu’est-ce qui te fait penser que… »

« Elle est vivante, Julien, » le coupa-t-elle, sa voix empreinte d’une intensité contenue. « Ou elle l’était récemment. J’ai des preuves. »

Elle sortit une feuille pliée de sa poche et la posa devant lui. Ce n’était pas la clé, mais une copie du message que Sophie avait laissé. Julien s’en empara avec précaution, ses yeux parcourant les mots. Son expression se durcit, passant de la perplexité à une concentration intense.

Lorsqu’il releva enfin les yeux, son regard était empreint d’une gravité nouvelle. « Qui t’a donné ça ? »

« Une femme nommée Marianne, » répondit Anne. Sa voix était basse, presque effacée. « Elle prétend avoir connu Sophie et m’a laissé ça. Elle m’a dit de chercher ce que nous avons oublié. »

Julien plissa les yeux, son expression devenue presque analytique. « Marianne ? C’est étrange. Ce nom ne me dit rien. Mais si elle connaît Sophie, alors elle doit savoir des choses importantes. »

Il posa la feuille sur la table, se penchant légèrement en avant, comme pour réduire la distance entre eux. « Si tu veux que je t’aide, Anne, il faut que je sache tout. »

Anne sentit un tiraillement en elle. Offrir ces informations à Julien signifiait lui rendre une part du contrôle. Mais elle savait aussi qu’il était bien placé pour poser les bonnes questions, pour creuser là où elle-même hésitait.

« Très bien, » dit-elle, sa voix presque inaudible. « Mais pas ici. »

Elle se leva, saisissant son manteau et son sac, tandis que Julien réglait rapidement leur consommation.

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Le froid nocturne mordait la peau, et le pavé humide reflétait la lumière vacillante des réverbères. Anne et Julien marchèrent en silence jusqu’à une place isolée, où elle s’arrêta enfin.

Dans ce calme étrange, Anne raconta tout : la lettre, le parc, le vieil homme, le jeton gravé, et enfin, Marianne. Julien ne l’interrompit que pour poser des questions, chacune précise, presque chirurgicale. Lorsqu’elle mentionna la clé, il tendit la main, mais Anne la ravala dans sa poche.

« Pas encore, » dit-elle. « Je ne sais pas à quoi elle correspond et je préfère la garder avec moi. »

Julien haussa les épaules, un sourire léger adoucissant son visage. « Très bien. Mais tout cela reste encore flou. Une chose est sûre : quelqu’un veut que tu trouves quelque chose, Anne. Et ce quelqu’un joue un jeu que nous ne comprenons pas encore. »

Il marqua une pause, se passant une main sur le menton. « Je peux contacter quelqu’un à la Préfecture. Un ancien collègue. Il pourrait avoir accès à des dossiers qui mentionneraient Sophie ou Marianne. »

Anne fronça légèrement les sourcils. « Pourquoi est-ce la première fois que tu mentionnes ce contact ? »

Julien haussa les épaules, adoptant un ton neutre. « Jusqu’à maintenant, je n’avais pas de raison de l’impliquer. Mais si Sophie est vraiment en vie, alors peut-être que… »

Il s’interrompit, son regard se perdant un instant, comme s’il réfléchissait à quelque chose qu’il n’osait pas dire.

« Très bien, » dit Anne après un instant. « Mais je veux être là. Rien derrière mon dos. »

Julien leva les mains en signe de capitulation. « Pas de secrets, promis. »

Malgré ces mots, Anne savait qu’il gardait toujours une part de ses pensées sous clé. Elle devrait rester vigilante.

Alors qu’ils se séparaient, Julien lança une dernière remarque : « Anne, fais attention. Ce genre de quête… ça change les gens. On trouve parfois des choses qu’on aurait préféré ne jamais savoir. »

Anne ne répondit pas. Serrant la clé dans sa poche, elle sentit le poids du mystère s’alourdir. Elle savait qu’il avait raison. Elle avait déjà commencé à changer.