Chapitre 3 — Secrets dans l'ombre
Gabriel Verlaine
Le craquement des planches sous ses bottes lourdes se fondait dans le vacarme ambiant des bas-fonds de Paris. Gabriel Verlaine, la tête baissée sous la capuche de son manteau usé, avançait d’un pas mesuré, ses yeux balayant avec vigilance les ruelles étroites et sinueuses. La pluie battante, mêlée à la fumée des machines et au tintement métallique des ateliers clandestins, formait une symphonie discordante qui enveloppait les lieux. Ici, dans ces venelles humides et boueuses, la technologie vivait et prospérait dans l’ombre de la domination magique aristocratique.
Gabriel atteignit finalement une porte de métal rouillée, ornée d’un mécanisme complexe d’engrenages qui se mettait en mouvement en réponse à une clé codée. Il sortit de sa poche un petit disque gravé de symboles mécaniques et alchimiques. Après quelques manipulations précises, un déclic sonore retentit et la porte s’ouvrit dans un grincement profond.
L’intérieur de l’atelier était plongé dans une pénombre vibrante, éclairée par la lueur vacillante de lampes à vapeur. Des étagères débordaient de plans détaillés et de pièces de machines, tandis que des tables encombrées de prototypes témoignaient de l’effervescence créative de l’endroit. L’odeur d’huile brûlée et de métal chauffé imprégnait l’air, une fragrance familière que Gabriel trouvait étrangement réconfortante.
— Verlaine, grogna une voix rauque depuis l’ombre. Tu t’enfonces encore dans des ennuis, hein ?
Un homme trapu à la barbe hirsute et aux mains tachées de suie émergea de derrière une pile de pièces détachées. Baptiste, un ancien mécanicien de l’armée reconverti en marchand de gadgets illégaux, l’observait avec un mélange de curiosité et de méfiance.
— Toujours, répondit Gabriel avec un sourire en coin, en tirant une chaise pour s’asseoir. J’ai besoin d’informations.
Baptiste croisa les bras sur sa poitrine robuste, un sourcil levé avec scepticisme.
— On cherche encore des réponses sur cette affaire de Rochefort, c’est ça ?
Gabriel hocha la tête, son regard se faisant plus intense.
— Auguste travaillait sur quelque chose de révolutionnaire. Une machine capable de fusionner magie et technologie. Il en a payé le prix, mais je veux savoir qui l’a tué et pourquoi.
Baptiste grogna, faisant mine de réfléchir, avant de saisir une petite fiole de métal sur l’étagère et de s’asseoir à son tour.
— T’es obsédé par cette histoire, Verlaine. Tu penses vraiment que ça va changer quoi que ce soit ?
Gabriel soutint son regard sans ciller.
— Ça changera tout.
Baptiste soupira, puis dévissa la fiole pour en boire une gorgée.
— J’ai entendu des murmures, dit-il enfin, sa voix plus basse, presque conspiratrice. Des agents du Sénat magique fouinent. Ils posent des questions sur un certain carnet et une machine qui aurait survécu à l’explosion.
Gabriel serra les dents. Ils étaient donc déjà sur la piste.
— Ces types ne viennent pas ici sans raison, reprit Baptiste. Ils savent que les bas-fonds regorgent de dissidents prêts à tout pour récupérer ce genre de technologie.
Gabriel se renversa légèrement sur sa chaise, faisant tourner la fiole vide entre ses doigts.
— Et toi ? Tu sais où ils se cachent ?
Baptiste éclata de rire, un son rauque qui résonna dans l’atelier.
— Même si je savais, tu crois vraiment que je te le dirais ? Ces gars-là… Ils sont pires que les machines de guerre qu’on construisait à l’époque.
Le silence s’installa un instant. Gabriel observa Baptiste, son regard pesant.
— Je les trouverai, murmura-t-il enfin, une détermination froide brillant dans ses yeux sombres.
Baptiste se pencha légèrement, posant un doigt épais sur la table.
— Juste un conseil, Verlaine. Ce carnet, ces archives… ils attireront des gens encore plus dangereux que ceux que tu chasses.
Gabriel se redressa, son sourire en coin masquant mal son impatience.
— Je m’en sors toujours, non ?
Baptiste secoua la tête avec un rire amer, mais il ne répondit pas.
***
Quelques heures plus tard, Gabriel arpentait un autre quartier des bas-fonds, là où les bâtiments se superposaient comme des coquilles empilées, enveloppant les ruelles dans une obscurité presque totale. La pluie s’était arrêtée, mais l’humidité collante rendait l’air oppressant. Il avait suivi les indications de Baptiste jusqu’à une taverne délabrée, un lieu où les espions et mercenaires du Sénat semblaient se rassembler.
Gabriel entra, gardant son manteau fermé pour dissimuler ses armes et ses gadgets. La lumière vacillante des lampes à gaz jetait des ombres mouvantes sur les visages des clients, un mélange de technologues désabusés, de contrebandiers et d’aristocrates déchus. Il balaya la salle du regard, s’arrêtant sur un groupe de trois hommes dans un coin isolé, leurs capes sombres et leurs gants impeccables trahissant leur affiliation au Sénat.
Il s’approcha avec précaution, feignant de commander une boisson au comptoir tout en écoutant leur conversation. Les voix étaient basses, mais il capta des fragments : "carnet… Rochefort… archives scellées dans les catacombes."
Le cœur de Gabriel s’accéléra. Les archives. Si elles existaient vraiment, elles contenaient sûrement des informations cruciales sur le travail d’Auguste. Mais avant qu’il puisse en entendre davantage, l’un des hommes tourna brusquement la tête, son regard affrontant celui de Gabriel avec une suspicion croissante.
— Vous cherchez quelque chose ? demanda-t-il d’une voix froide, presque méprisante.
Gabriel haussa les épaules, s’efforçant de garder son expression neutre.
— Seulement une bière, répondit-il d’un ton désinvolte.
Mais il savait que le subterfuge ne tiendrait pas longtemps. Les espions du Sénat étaient entraînés à détecter les intrus, et Gabriel pouvait déjà voir la tension dans leurs gestes. Lorsqu’il sentit le premier mouvement suspect, il bondit en arrière, évitant de justesse un coup de dague qui visa sa côte.
Le chaos éclata dans la taverne. Gabriel, rapide et précis, esquiva une autre attaque tout en retirant une sphère métallique de sa ceinture. Il la lança au sol, et un nuage de fumée dense emplit la pièce, provoquant des cris et des éclats de verre brisé. Profitant de la confusion, il se glissa vers une sortie latérale, mais pas avant de sentir une brûlure sur son bras, un sortilège ayant effleuré sa peau.
Il courut dans les ruelles, ses bottes éclaboussant les flaques d’eau stagnante. Les espions étaient à ses trousses, leurs pas se rapprochant à chaque instant. Gabriel pivota brusquement dans une impasse, retirant un autre dispositif de sa ceinture. Cette fois, un petit mécanisme de dents et de rouages s’activa, déclenchant une explosion contrôlée qui fit s’effondrer une partie du mur, obstruant le passage derrière lui.
Essoufflé mais vivant, il s’appuya contre un mur, serrant les poings. Ces hommes ne s’arrêteraient pas. Ils voulaient le carnet, les archives, tout ce qui touchait à l’héritage d’Auguste de Rochefort. Il glissa un doigt sur la brûlure de son bras, jurant doucement avant de reprendre sa route.
***
Gabriel retrouva Élise au manoir des Rochefort, comme ils en étaient convenus. Elle l’attendait dans une salle sobre, son air impassible contrastant avec la fatigue visible sur son visage. Le médaillon pendait à son cou, brillant faiblement dans la pénombre.
— Vous avez trouvé quelque chose ? demanda-t-elle sans préambule.
Gabriel hocha la tête, ses traits sérieux.
— Des espions du Sénat. Ils parlent d’archives scellées dans les catacombes sous Paris. Si votre père a laissé des indices, c’est probablement là-bas.
Élise fronça les sourcils, croisant les bras.
— Et comment comptez-vous y accéder sans attirer l’attention ?
Gabriel esquissa un sourire en coin.
— Vous oubliez à qui vous parlez.
Elle resta silencieuse un moment, l’observant comme pour peser ses mots. Gabriel pouvait sentir la méfiance dans son regard, mais aussi une lueur de détermination qu’il commençait à reconnaître.
— Très bien, dit-elle enfin. Mais si nous faisons cela, nous le faisons à ma manière.
Gabriel haussa un sourcil, intrigué.
— Et quelle est votre manière, mademoiselle de Rochefort ?
— Méthodique. Et sans improvisations inutiles.
Il éclata de rire, un son grave et bref.
— Ça promet.
Malgré la tension palpable, un accord tacite passa entre eux. La vérité était en jeu, et ni Élise ni Gabriel n’étaient prêts à reculer.
Alors qu’ils quittaient la salle pour préparer leur expédition, Gabriel ne put s’empêcher de jeter un dernier regard vers le médaillon d’Élise. Cette lumière fragile mais persistante semblait presque murmurer une promesse, un espoir obstiné au milieu des ombres menaçantes qui ne cessaient de se resserrer autour d’eux.