Chapitre 4 — Chapter 4
Il est athée, peut-être ; pourtant il a des moments soudains d’exaltation extraordinaire. « Rien n’existe hors de nous, pense-t-il. Il n’y a qu’un état de l’esprit, un désir de consolation, de repos ; le désir d’une créature autre que ces misérables larves humaines, si faibles, si laides, si lâches. Mais si je peux la concevoir, alors, en un sens, elle existe », et s’avançant dans le sentier, les yeux fixés sur le ciel et les branches, il leur donne sans peine une forme féminine, il voit avec admiration qu’elle devient grave, qu’elle prodigue, avec majesté, lorsque le vent l’agite, dans le sombre balancement de ses feuilles, la pitié, le pardon, l’amour ; puis, soudain, jetée en l’air, passe d’une attitude religieuse à une danse endiablée.
Visions du promeneur solitaire ; visions qui sont pour lui de grandes cornes d’abondance pleines de fruits, le murmure des sirènes qui chevauchent les vagues de la mer verte, des gerbes de roses qu’on lui lance au visage, les pâles figures, que, pour les étreindre, les pêcheurs cherchent dans les flots.
Visions qui sans cesse flottent devant le réel, l’entourent, le cachent ; qui suivent le promeneur solitaire, s’emparent de lui, lui enlèvent le goût de la terre, le désir de rentrer chez lui, et lui donnent en échange une paix profonde, comme si (c’est ce qu’il pense en avançant le long de l’allée de la forêt) toute cette fièvre de la vie était la simplicité même, comme si ces myriades de choses ne faisaient au fond qu’une seule chose et que cette figure, faite de ciel et de branches, se fût élevée de la mer agitée de la vie (il est âgé, il a plus de cinquante ans), forme née de l’écume des vagues, pour répandre, de ses mains magnifiques, la pitié, la bonté, le pardon.
« Ah ! souhaite-t-il, ne jamais revenir chez moi, sous ma lampe dans mon cabinet de travail, ne pas terminer mon livre, ne plus jamais vider ma pipe ni sonner pour que Mrs Turner vienne débarrasser ! mais plutôt marcher droit vers cette grande figure mouvante qui m’enlèvera sur ses branches et me laissera me dissoudre dans le néant comme toutes les choses ! »
Ce chapitre est disponible dans notre application.
Télécharger et continuer à lire