Chapitre 3 — Le Coin Lecture
Nate
L’odeur du papier vieilli se mêlait à une légère fragrance de cire à la lavande tandis que Nate s’aventurait plus profondément dans les couloirs labyrinthiques de la bibliothèque, le clic discret de ses bottes ponctuant le silence. Il y avait quelque chose de magnétique dans cet endroit, une atmosphère qui semblait vibrer de secrets nichés entre ses rayonnages anciens. Les rayons de soleil traversant les vitraux projetaient des éclats de rubis, de saphir et d’émeraude sur le parquet poli, conférant à l’espace une qualité presque éthérée. Nate ajusta la sangle de son sac photo, ses doigts frôlant le bord d’une étagère à proximité. Les reliures craquelées et les lettres fanées des livres murmuraient des vies vécues et des moments préservés. Pendant un bref instant, il imagina ces histoires voyageant à travers le temps, passant d’une paire de mains à une autre.
Il s’arrêta devant une rangée de volumes anciens, attiré par le travail doré complexe sur la reliure particulièrement usée de l’un d’entre eux. Avec une révérence inattendue, il laissa ses doigts planer juste au-dessus du titre, s’émerveillant de l’idée de permanence. C’était un concept qui lui avait toujours échappé, lui, un homme plus habitué aux instants fugaces figés dans des mots et des images.
En tournant un coin, Nate se retrouva dans une alcôve près d’une baie vitrée, un espace qui semblait rayonner de chaleur et d’une invitation silencieuse. Le Coin Lecture.
Des fauteuils surdimensionnés, leur velours usé mais encore moelleux, entouraient une petite table en bois. Une lampe en laiton avec des gravures délicates à sa base projetait une douce lueur dorée sur la scène, illuminant les fines éraflures à la surface de la table—des marques laissées par des années d’usage. Au-delà de la fenêtre, la place pavée s’étendait comme une carte postale, animée de vie. Un musicien de rue se tenait près de l’ancienne fontaine au centre de la place, tirant une mélodie envoûtante d’un violon. Le son filtrait à travers le verre, se mêlant au bourdonnement paisible de la bibliothèque.
Le regard de Nate se posa sur la plaque en laiton de la fontaine, dont les lettres usées scintillaient faiblement au soleil. Il plissa les yeux, intrigué. L’inscription commémorait le rôle de la place comme point de repère pour les abris anti-aériens durant la Seconde Guerre mondiale. Un lien avec la bibliothèque ? Il se fit une note mentale pour creuser la question plus tard, son instinct de journaliste s’aiguisant à l’idée d’une histoire à découvrir.
En entrant pleinement dans l’alcôve, Nate fit glisser une main sur l’accoudoir d’un des fauteuils, le velours usé rugueux sous ses doigts. L’espace semblait vivant, comme s’il avait absorbé des années de conversations chuchotées et de réflexions silencieuses. « C’est… parfait », murmura-t-il, sa voix à peine audible par-dessus les accents lointains du violon. Ce n’était pas seulement la beauté du coin qui le frappait—c’était son calme, son impression d’être préservé de l’effervescence de la modernité. Pour quelqu’un qui vivait d’histoires, cet endroit ressemblait à un coffre au trésor attendant d’être ouvert.
« Tu l’as trouvé », une voix brisa le silence, douce mais teintée d’hésitation.
Nate se retourna, surpris, pour voir Sophie se tenir au bord de l’alcôve. Son carnet était fermement plaqué contre sa poitrine, ses doigts enroulés autour des bords comme s’il s’agissait d’un bouclier. Ses yeux verts allaient de lui à l’espace, son expression partiellement masquée par la lumière se reflétant sur ses lunettes. Il y avait une prudence dans sa posture, comme si elle hésitait à entrer.
« C’était l’endroit préféré de mon père », dit-elle finalement, son ton calme mais déterminé. Les mots restèrent suspendus entre eux, lourds de sens non dit.
Nate se redressa, sentant le poids de ce qu’elle venait de partager. « C’est magnifique », dit-il sincèrement. « On a l’impression qu’il renferme mille histoires qui n’attendent qu’à être racontées. »
Sophie hésitait sur le seuil, ses doigts jouant avec le bord effiloché de la manche de son cardigan. Pendant un instant, on aurait dit qu’elle allait reculer, mais ensuite, avec des mouvements lents et délibérés, elle entra dans l’alcôve. « Ce n’est pas vraiment un espace destiné aux visiteurs », dit-elle, son ton légèrement teinté de prudence.
Nate offrit un sourire en coin, indiquant le fauteuil en face de lui. « Eh bien, je ne sais pas si je compte encore comme un visiteur. Margaret a bien dit que tu étais coincée avec moi. Tu veux me rejoindre, ou c’est réservé exclusivement aux bibliothécaires ? »
Ses lèvres frémirent—une lueur d’amusement qui disparut presque aussitôt. « Il n’y a pas de règles », dit-elle doucement, s’asseyant dans le fauteuil avec une grâce mesurée. Son carnet resta fermement sur ses genoux, ses doigts en suivant les contours comme pour s’ancrer à sa présence.
Nate l’observa, notant la tension dans ses épaules et la manière dont ses lunettes glissaient légèrement sur son nez à cause de l’inclinaison de sa tête. Il était clair qu’elle n’était pas entièrement à l’aise de partager cet espace avec lui. Il s’appuya en arrière, veillant à garder une posture détendue. « Cet endroit », dit-il après un moment, en désignant l’alcôve, « c’est plus qu’une bibliothèque pour toi, non ? »
Son regard s’accrocha au sien, surpris. Pendant un instant, elle ne répondit pas, ses doigts s’immobilisant sur la couverture du carnet. Enfin, elle parla, sa voix douce et empreinte de nostalgie. « Oui. Mon père m’y emmenait tous les samedis quand j’étais enfant. Nous nous asseyions dans ce coin précis, et il me lisait des heures durant. » Elle s’arrêta, ses yeux dérivant vers la baie vitrée. « Il appelait les livres des machines à voyager dans le temps—des ponts vers des mondes oubliés ou à venir. Il croyait qu’ils avaient le pouvoir de préserver les moments pour toujours. »
Nate laissa ses mots flotter, percevant la légère mélancolie dans son ton. « Il devait être un homme bien », dit-il doucement.
Un petit sourire teinté d’amertume apparut sur ses lèvres. « Il l’était. Il appelait cet endroit ‘la meilleure place au premier rang du monde’. »
Nate éclata de rire, bien que ses paroles éveillent en lui un désir plus profond—celui d’une connexion qu’il n’avait jamais tout à fait trouvée. « Je comprends pourquoi il pensait ça », dit-il en regardant par la fenêtre. « C’est comme si tu faisais partie du monde tout en étant séparé de lui. Protégé. »
Sophie pencha légèrement la tête, l’observant. « Je suis surprise d’entendre ça de la part de quelqu’un qui semble plus à l’aise à courir après la prochaine grande histoire. »
Il sourit, bien que son observation touche un point sensible qu’il préférait ignorer. « Peut-être que je cherchais une machine à voyager dans le temps sans le savoir », dit-il avec légèreté.Son regard se posa sur son carnet. « Tu viens encore souvent ici ? »
« Pas autant qu’avant », admit-elle. « Je passe la plupart de mon temps dans la Salle des Archives. Ça m’aide à… rester concentrée. »
« Concentrée sur quoi ? » demanda-t-il doucement, en se penchant en avant.
Sophie hésita, ses doigts se resserrant autour du carnet. « Sur la préservation de ce qui compte. Sur le fait de protéger les choses pour qu’elles ne soient pas… oubliées. »
Ses mots restèrent suspendus dans l’air, bruts et sans défense. Nate ressentit leur poids, la vulnérabilité qu’ils révélaient. Il se pencha en avant, s’appuyant sur ses genoux avec ses coudes. « Je pense que les gens s’en soucient plus que tu ne le crois », dit-il calmement. « Ils ont juste besoin qu’on leur rappelle pourquoi. C’est là que les histoires entrent en jeu. »
Elle le regarda, son expression à la fois sceptique et interrogative. « Tu y crois vraiment ? »
« Absolument », répondit-il. « Les histoires sont la façon dont nous comprenons le monde. Elles nous relient. Et cette bibliothèque ? Elle en regorge. On doit juste trouver le bon moyen de les raconter. »
Pendant un instant, les seuls bruits étaient le doux bourdonnement de la lampe en laiton et les légers accords du violon à l’extérieur. La prise de Sophie sur son carnet s’adoucit légèrement, et Nate perçut un infime changement dans sa posture — une ouverture hésitante, une fissure dans ses murs soigneusement érigés.
« Peut-être », dit-elle finalement, sa voix à peine plus forte qu’un murmure. « Peut-être que tu as raison. »
Nate sourit, sentant qu’il avait remporté une petite mais importante victoire. « Je prends un ‘peut-être’. C’est mieux qu’un ‘non’ catégorique. »
Sophie leva les yeux au ciel, mais son geste manquait de l’habituelle dureté. « Ne prends pas la grosse tête. »
« Je n’oserais pas », dit-il avec un clin d’œil, en s’adossant à son fauteuil. Son regard dériva vers la baie vitrée alors qu’une brise faisait frémir les feuilles à l’extérieur. Sous le vieux velours de la banquette, il remarqua le craquement à peine perceptible d’une planche de parquet lâche. Il mémorisa ce détail, quelque chose à son sujet éveillant les recoins de sa curiosité. Dans un endroit comme celui-ci, il y avait toujours d’autres histoires à découvrir.