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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3La Lettre dans le Tiroir


La pluie n’a pas cessé depuis mon arrivée au Refuge. Son rythme incessant filtre à travers les murs, une toile de fond sombre omniprésente. Je suis assise en tailleur sur le sol, entourée de fragments épars de ma vie. Des livres, une tasse ébréchée, une photo fanée de ma mère—ces miettes sont tout ce qu’il reste pour me relier à des morceaux de moi-même que je ne suis plus certaine de reconnaître.

Je prends la photo entre mes doigts, presque avec révérence, comme si son sourire chaleureux risquait de se briser sous mon toucher. Ses yeux rencontrent les miens—doux mais perçants—et la douleur familière du manque gonfle en moi. Mes doigts glissent sur le pendentif en forme de clé autour de mon cou, sa surface froide m’ancrant dans le présent. Les motifs tourbillonnants gravés dessus semblent danser sous mon pouce, comme un secret qui m’échappe.

La cuisine est ma prochaine destination sur ma liste mentale. Je traverse le salon stérile, le bruit sourd de mes bottes résonnant sur le sol poli. Ce son est absorbé par le bourdonnement constant de la pluie, étouffé mais incessant. Les armoires brillent sous la lumière tamisée, leurs surfaces parfaites et immaculées paraissent presque étrangères, comme si elles ne m’appartenaient pas.

Je commence à déballer une collection hétéroclite d’ustensiles, le tintement des objets brisant le calme ambiant. Un couteau glisse et résonne brusquement contre le comptoir, me faisant sursauter. Je m’arrête, tendant l’oreille. Le silence revient, mais il semble plus lourd, pesant sur mes sens. Je secoue la tête et me concentre de nouveau, déterminée à ignorer le malaise latent qui s’insinue sous ma peau.

Un tiroir attire soudain mon attention. Il est légèrement entrouvert, brisant l’harmonie parfaite et réfrigérante de la cuisine. Mes doigts hésitent à son bord, mon pouls s’emballe. Lentement, je l’ouvre.

À l’intérieur repose une enveloppe jaunie, incongrue parmi les lignes modernes et épurées du tiroir. Mon souffle se suspend. La voir réveille quelque chose d’enfoui en moi, les contours flous d’un souvenir effleurant ma conscience. L’enveloppe semble fragile, ses coins recourbés comme si elle avait été manipulée des centaines de fois.

Je reste figée, mon cœur tambourinant dans ma poitrine. Une petite voix en moi murmure de la laisser là, mais mes doigts agissent d’eux-mêmes, tremblants. Le papier est sec et friable sous mon toucher, si délicat qu’il pourrait se désintégrer si je ne fais pas attention. Aucune inscription, aucun nom—seulement une légère odeur de vieux papier mêlée à quelque chose de métallique. Prenant une profonde inspiration, je l’ouvre.

La note à l’intérieur est griffonnée d’une écriture hâtive et irrégulière, l’encre délavée par endroits. Mes yeux parcourent les mots, et le sol semble se dérober sous mes pieds.

*"L’accord était une erreur. Ils chassent. Si quelque chose m’arrive, trouve le garçon. Il est la clé."*

Le garçon.

Une vague de froid traverse mon corps. Les mots se brouillent alors que mes pensées s’emballent. Puis, comme un coup de tonnerre, un souvenir me frappe : un garçon aux yeux bleus perçants. De la saleté maculant son visage, sa petite main agrippant la mienne avec force désespérée. Son murmure effrayé : *« Cours. »*

La pièce vacille alors que mes genoux heurtent le sol. Je serre la note comme si elle risquait de disparaître. Chaque mot est gravé en moi : *Le garçon. Il est la clé.* Instinctivement, mon pouce effleure le pendentif à mon cou, ses bords mordant ma peau. Cela pourrait-il signifier… lui ? Le garçon de cette nuit-là ? Mais comment ?

Je relis la note, plus lentement cette fois, suppliant les mots de révéler un sens caché. *L’accord. Chasser. Clé.* Ces fragments tourbillonnent dans mon esprit, comme un puzzle que je suis incapable d’assembler. Qui a laissé cette note ? Était-elle destinée à moi ? Ou est-ce que quelqu’un l’a simplement oubliée, inconscient de l’impact qu’elle provoquerait ?

La pluie martèle les fenêtres avec plus d’intensité, chaque goutte augmentant ma nervosité. Mon regard se tourne vers la porte, m’attendant presque à voir quelqu’un entrer soudainement. Mais le couloir au-delà reste vide, silencieux. Pourtant, une tension oppressante s’installe, m’étreignant de plus en plus fort.

Je remets la note précipitamment dans le tiroir et le referme brusquement, le claquement résonnant dans le silence. Le bruit me fait sursauter, et mes doigts s’agrippent au bord du comptoir, cherchant un semblant de stabilité. Les murs semblent se refermer autour de moi, l’air devenant plus dense, plus suffocant.

Une subtile fragrance de cologne flotte dans l’air. Si légère que je pourrais croire l’avoir imaginée. Presque. Mon estomac se noue. Je me détourne, attrapant mon manteau avec une urgence désespérée. J’enfile les manches d’un geste brusque et m’élance dans le couloir, mes pas rapides et maladroits.

L’ascenseur descend lentement, trop lentement, son faible vrombissement insuffisant pour couvrir le tumulte de mes pensées. Lorsque les portes s’ouvrent sur le hall, l’odeur familière de café provenant du café voisin me parvient. Elle est réconfortante, mais elle ne suffit pas à apaiser l’anxiété qui me ronge. La pluie dehors semble m’appeler, promettant une clarté que je désespère de trouver. Sans plus réfléchir, je pousse les portes vitrées.

Les premières gouttes transpercent mon manteau, glaçant ma peau, mais je n’y prête pas attention. J’ai besoin du bruit—des voitures, de la pluie martelant le trottoir—pour étouffer les questions incessantes dans mon esprit. *Qui est le garçon ? Pourquoi ai-je l’impression de le connaître ?*

Mes pas me mènent inconsciemment au parc de Greenstone. Les imposants sapins se dressent au-dessus de moi alors que j’avance sur les sentiers de gravier. L’air est chargé de l’odeur de pin mouillé et de terre humide, une odeur rassurante qui semble m’enraciner dans le moment présent. Une brume légère s’accroche au sol, enveloppant le paysage dans des teintes de vert et de gris estompées. C’est calme ici, trop calme. Le bruissement occasionnel des feuilles me fait sursauter, mais les sentiers restent vides.

À l’extrémité du parc, l’aire de jeux est déserte. Une balançoire grince doucement sous la brise, le bruit amplifiant mon malaise. Je m’arrête sous un arbre, m’appuyant contre son tronc rugueux. La pluie traverse les branches au-dessus, imbibant mes vêtements. Mes doigts trouvent à nouveau le pendentif, le serrant fermement. Le souvenir du murmure du garçon résonne encore, léger et spectral : *« Cours. »*

Un craquement de branche attire mon attention—quelque part derrière moi. Mon cœur s’emballe tandis que je me retourne d’un geste brusque, scrutant les ombres. La brume danse lentement, brouillant les contours du chemin. Mais il n’y a rien.Seul le vent effleure les arbres, portant des murmures que je ne parviens pas à saisir.

Un malaise me ronge, plus intense maintenant. Je n’hésite pas. Je fais demi-tour vers The Haven, accélérant le pas alors que la pluie martèle plus fort mon visage. Mes doigts se resserrent autour du pendentif, son poids familier m'ancrant, même si mon esprit s’agite. Les lumières de la ville se brouillent à travers l’averse, mais je les remarque à peine. Tout ce que j'entends, c’est l’écho des mots de la note : *trouve le garçon.*

En arrivant à mon appartement, je ferme la porte derrière moi et vérifie deux fois la serrure, mes mains tremblantes. Mes vêtements, collés à ma peau, dégoulinent sur le sol brillant, mais je ne sens pas le froid. Mon regard se pose sur le tiroir, la note qu’il contient pesant lourdement sur mon esprit.

Je ne l’ouvre pas à nouveau. Pas ce soir.

À la place, je m’effondre sur le canapé, ramenant mes genoux contre ma poitrine. La pluie continue son rythme implacable contre la vitre, une cadence régulière qui accompagne mes pensées effrénées.

Les paroles d’Alexander résonnent dans mon esprit, sa voix grave s’enroulant autour du souvenir comme une volute de fumée : *« Parfois, le passé nous retrouve là où on s’y attend le moins. »*

Je fixe le plafond, le pendentif en forme de clé pressé contre ma poitrine tel un poids.

Peut-être que le passé ne se contente pas de me retrouver.

Peut-être qu’il a toujours été là, attendant patiemment dans l’ombre.