Chapitre 1 — Prologue - L’ombre et le vide
Troisième personne
La nuit était dense, presque palpable, enveloppant la Falaise de la Solitude d’un manteau d’ombre. Le vent hurlait comme un animal blessé, s’engouffrant entre les rochers escarpés, faisant frissonner les rares herbes qui osaient pousser en ce lieu désolé. L’océan, furieux, s’écrasait avec force contre les parois rocheuses, projetant des éclats d’écume dans l’air, comme une révolte incessante contre la pierre immobile. Une brume humide ondulait autour des rochers, comme un voile de mystère prêt à étouffer toute lumière.
Laura courait. Ses pas, irréguliers et précipités, claquaient sur la roche humide, chaque mouvement un défi lancé à l’équilibre précaire qu’offraient ces terres battues par les éléments. Sa respiration était haletante, presque suffocante, mêlée à des sanglots qu’elle ne parvenait plus à contenir. Ses cheveux, agités par le vent, formaient une aura désordonnée autour de son visage marqué par la peur.
Elle courait, non seulement pour échapper à la silhouette indistincte qui la poursuivait, mais aussi pour fuir des souvenirs qui s’accrochaient à son esprit comme des algues à un rivage. Des fragments de rires, un regard, un murmure devenu un reproche. Pourquoi tout avait-il si mal tourné ?
Le poids de ses pensées l’écrasait autant que le froid mordant de la nuit. Elle jetait des regards frénétiques derrière elle, ses yeux verts, pourtant si lumineux, voilés par la panique. L’ombre persistante la poursuivait, une silhouette indistincte mais oppressante, avançant avec une lenteur calculée, presque mécanique. Une lueur étrange dans sa démarche – un léger boitement ? Ou peut-être une hésitation à peine perceptible ?
— Laisse-moi tranquille ! cria-t-elle, sa voix brisée se perdant dans le tumulte du vent et des vagues.
Aucune réponse. Juste le son rythmé de pas qui se rapprochaient inexorablement, martelant le sol comme un compte à rebours implacable.
Le bord de la falaise apparut soudain devant elle, éclairé par un éclat de lune timide qui perça brièvement la lourde couverture nuageuse. Elle s’arrêta net, ses chaussures glissant sur le sol humide. Le vide s’étendait devant elle, abyssal et implacable, une noirceur qui semblait vouloir l’engloutir.
Elle tourna sur elle-même, cherchant désespérément une issue, un refuge. Rien d’autre que le vent, le roc et cette silhouette qui se tenait désormais à quelques mètres d’elle, immobile, comme si elle savourait l’instant.
— S’il te plaît… murmura Laura, sa voix n’étant plus qu’un souffle. Elle recula d’un pas, ses talons frôlant le bord instable.
L’air semblait se figer autour d’elle, suspendu entre la menace et l’inévitable. Sa peur était une chose vivante, brûlant dans ses veines, un feu glacé qui paralysait ses membres. Les souvenirs qu’elle avait fui, qu’elle avait enterrés, se libéraient maintenant, s’insinuant dans chaque recoin de son esprit. Une soirée d’été sous la lumière dorée. Une promesse non tenue. Un nom chuchoté dans la pénombre.
La silhouette ne bougeait pas. Elle semblait hésiter, ou peut-être savourait-elle la peur qui se dégageait de Laura comme une onde.
— Je te donnerai tout… tout ce que tu veux… mais laisse-moi partir.
Le silence qui suivit était plus glaçant que les hurlements du vent. Finalement, la silhouette fit un pas en avant. Lentement. Calculée. Chaque mouvement semblait peser une éternité.
Laura tenta un dernier recours. Elle ouvrit les bras, comme pour apaiser la menace.
— Tu ne veux pas faire ça… Écoute-moi… Je peux tout arranger…
Mais il n’y avait rien à arranger. Ce moment semblait inéluctable, écrit dans une pierre aussi ancienne que celle de la falaise.
Un autre pas. Puis un autre.
Laura sentit son pied glisser légèrement vers l’arrière. Le bord était traître, friable sous son poids. Elle savait qu’il ne lui restait qu’une chance, mais son corps était figé, paralysé entre l’instinct de survie et la résignation.
Et puis, la silhouette parla enfin. Une voix basse, rauque, presque méconnaissable dans ce chaos, mais vibrante d’un mélange de reproche et d’amertume.
— Tu n’aurais pas dû…
Les mots furent suivis d’un geste brusque, rapide. Laura perdit pied. Elle tenta de s’accrocher, ses mains agrippant le vide. Le hurlement qui s’échappa de sa gorge déchira la nuit.
Et puis, plus rien.
Le vent continua de hurler. L’océan continua de rugir. Une plume blanche, arrachée à un oiseau marin, tourna lentement dans l’air avant de disparaître dans l’obscurité. La silhouette resta immobile, les yeux fixés sur l’abîme qui avait englouti Laura.
Les premières lueurs de l’aube effleurèrent à peine la falaise, mais elles n’apportèrent aucun répit. La Falaise de la Solitude, éternelle et insensible, gardait son secret dans le fracas des vagues et le murmure du vent.