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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Retour à Saint-Malo


Camille Duval

Le taxi s’arrêta devant la maison familiale, ses phares balayant brièvement la façade en pierre avant de s’éteindre. Camille resta un instant immobile, la main sur la poignée de la portière, comme si sortir signifiait céder à un échange tacite avec le passé. Le chauffeur, d’un air las, tourna la tête vers elle.

— C’est bien ici ? demanda-t-il, rompant le silence.

— Oui… Merci, murmura Camille.

Elle lui tendit quelques billets avant de descendre, son souffle se condensant dans l’air glacial de la nuit.

— Pas facile de revenir, hein ? ajouta le chauffeur avec un ton presque compatissant.

Camille ne répondit pas, mais ses lèvres se pincèrent légèrement. Elle détourna les yeux et observa la demeure qui se dressait devant elle, imposante et pourtant étrangement déchue. Les volets bleus, autrefois vifs, étaient ternis par le sel et le temps. Les pierres, empreintes d’humidité, semblaient pleurer sous la lumière diffuse d’un réverbère. Le jardinet, autrefois entretenu avec soin par sa mère, était maintenant envahi par des herbes folles et des ronces, comme si la maison elle-même avait abandonné tout effort pour masquer ses blessures.

Elle hésita sur le seuil, ses clés à la main, et se demanda si le simple fait d’entrer ne risquait pas de bousculer un équilibre fragile. La porte grinça lorsqu’elle l’ouvrit, une plainte sourde qui résonna dans l’obscurité de l’entrée. Une odeur stagnante, mélange de poussière et de souvenirs oubliés, l’enveloppa immédiatement.

Elle alluma une lampe murale, dont la lumière tremblante projeta des ombres mouvantes sur les meubles recouverts de draps. Le silence pesant de la maison s’accordait à son état intérieur : chaque recoin semblait retenir son souffle, attendant qu’elle brise l’immobilité.

Camille posa sa valise à l’entrée, son regard s’attardant sur l’escalier. Combien de fois avait-elle couru sur ces marches, poursuivie par les éclats de rire de Laura ? Le souvenir jaillit avec une précision douloureuse : Laura, riant aux éclats, tendant la main pour l’attirer dans un jeu qu’elles seules comprenaient. Camille détourna rapidement le regard, comme pour se protéger de l’intensité de cette image.

Elle se dirigea vers la cuisine, évitant de monter à l’étage. La pièce était figée dans le temps, ses murs ornés des mêmes carreaux démodés, son buffet encombré de vaisselle ancienne. Elle ouvrit un placard et trouva une vieille bouilloire. Tandis qu’elle la mettait à chauffer, un détail accrocha son regard : une petite fissure s’était formée sur le carrelage près de l’évier, là où sa mère avait autrefois l’habitude de préparer des repas simples mais réconfortants.

Camille s’adossa au plan de travail, les bras croisés, laissant ses pensées dériver. À l’hôpital, sa mère, si forte dans ses souvenirs, n’était plus qu’une ombre silencieuse sous la lumière blafarde des machines. Et ce message… quelque chose dans l’ancienne chambre de Camille. Que voulait-elle dire ?

Le sifflement de la bouilloire la tira de ses réflexions. À peine eut-elle pris une gorgée de thé qu’un bruit sourd retentit quelque part dans la maison. Elle se figea, tendant l’oreille. Cela venait d’au-dessus, du grenier peut-être.

Bien qu’un frisson d’appréhension lui parcourût l’échine, elle posa sa tasse et monta lentement l’escalier. Chaque marche craquait sous son poids, amplifiant le silence environnant. Arrivée sur le palier, elle fixa la porte de sa chambre, sentant son cœur s’accélérer.

Elle poussa la porte avec précaution. La pièce semblait inchangée : les murs d’un bleu pâle, le lit aux draps soigneusement tirés, la bibliothèque regorgeant de livres d’enfance. Pourtant, une tension invisible flottait dans l’air. Elle examina la pièce avec attention, sa respiration se faisant plus lente. Rien ne semblait déplacé… jusqu’à ce qu’elle aperçoive un cadre photo brisé sur le sol, près de sa coiffeuse.

Elle s’agenouilla pour le ramasser. Ses doigts effleurèrent l’image abîmée : une photo d’elle et de Laura, prises lors d’une sortie à la plage. Laura riait, ses cheveux ébouriffés par le vent, tandis que Camille, plus réservée, esquissait un sourire timide.

Quelque chose, pourtant, attira son regard. Derrière le verre fendu, une inscription à peine visible était griffonnée au dos de la photo : « Toujours ensemble, quoi qu’il arrive. » Ces mots, écrits par Laura, lui revinrent brusquement en mémoire, réveillant un souvenir d’une promesse échangée un été, un après-midi où tout semblait possible.

Camille sentit ses doigts se crisper autour du cadre. Était-ce vraiment une coïncidence que cet objet ait été brisé ? Elle scruta la pièce, cherchant une explication rationnelle, mais rien ne semblait justifier la chute soudaine de la photo.

Un frisson glacé descendit le long de sa nuque. Elle se força à respirer lentement, attribuant l’incident à sa fatigue. Redescendue dans la cuisine, elle tenta de se convaincre que ce n’était qu’une illusion.

La nuit suivante, pourtant, le trouble persista. Le sifflement du vent à l’extérieur se mêlait à une vibration sourde dans les murs. Couchée dans son ancienne chambre, Camille se retournait sans cesse. Chaque ombre projetée par la lampe lui rappelait les contours d’un souvenir qu’elle n’était pas prête à affronter.

Elle finit par sombrer dans un sommeil agité, mais un son la réveilla en sursaut peu avant l’aube. Une voix indistincte, douce et lointaine, semblait lui murmurer un nom : « Laura… »

Elle se leva brusquement, ses pieds nus frôlant le sol froid. Incapable de rester dans la chambre, elle descendit les escaliers et ouvrit la porte d’entrée. L’air marin froid s’engouffra dans la maison.

Elle marcha sans but, ses pas résonnant faiblement sur les pavés de Saint-Malo. La lumière grisâtre de l’aube baignait la ville endormie, tandis que le bruit des vagues l’attirait irrésistiblement. Elle atteignit les remparts, se tenant face à l’horizon infini.

La mer, agitée, reflétait les tourments de son esprit. Les vagues semblaient chuchoter des vérités enfouies, des secrets qu’elle n’osait encore affronter.

De retour à la maison, elle se dirigea directement vers le grenier, évitant de se laisser distraire. L’odeur de bois vieilli et de textiles poussiéreux l’envahit lorsqu’elle ouvrit la trappe.

Le grenier était encombré de vieilles malles et de cartons jaunis. Camille fouilla méthodiquement, soulevant des couvertures et ouvrant des boîtes à la recherche de quelque chose qui aurait pu appartenir à Laura. Son regard s’arrêta sur un coffre en bois sculpté, dissimulé sous une pile de linge ancien.

Elle s’accroupit, sa main tremblante soulevant le couvercle. À l’intérieur, des lettres soigneusement pliées, adressées à Laura, et un carnet en cuir usé. Camille prit l’un des courriers, reconnaissant immédiatement l’écriture de sa mère.

« Ma chère Laura,

Je sais que tu veux fuir, échapper à tout cela. Mais n’oublie jamais que tu n’es pas seule. Camille t’aime, même si elle ne le dit pas… »

Camille s’interrompit, le souffle coupé. Elle posa la lettre et ouvrit précautionneusement le carnet. Les pages, emplies de pensées manuscrites, transportaient des fragments de la vie de Laura qu’elle ignorait.

Ce n’était pas seulement des souvenirs : il y avait des allusions à des rencontres secrètes, des peurs indicibles, des promesses rompues.

Camille referma le carnet, ses doigts crispés sur la couverture. Sa mère avait su. Peut-être avait-elle même essayé d’aider Laura.

La maison, spectatrice silencieuse, semblait retenir son souffle. Camille, debout au milieu des échos du passé, réalisa que son retour à Saint-Malo ne serait pas une simple visite. C’était une confrontation.