Chapitre 3 — Messages Effacés
Clara Villeneuve
Clara referma doucement la porte de son appartement, laissant tomber son sac sur le canapé en cuir noir. L’agitation du tribunal et le poids des révélations sur le "Projet Horizon" pulsaient encore dans son esprit. Le dossier trouvé sur sa voiture ne quittait pas ses pensées, bien que soigneusement rangé dans son sac. Elle avait besoin de réponses, mais avant cela, elle avait besoin d’un instant pour reprendre son souffle. Ses doigts tremblèrent légèrement lorsqu’elle se servit un verre d’eau, tentant de calmer l’anxiété sourde qui s’était installée. Le bourdonnement de son téléphone brisa le silence, une alerte qui fit remonter sa tension. Elle le sortit pour trouver un écran vide. Sa boîte de réception et son historique d’appels étaient tous deux totalement effacés.
Clara fronça les sourcils, son esprit basculant immédiatement en mode analytique. Elle savait qu’elle n’avait pas effacé ses messages ni supprimé son historique. Chaque détail de l’appel reçu plus tôt au tribunal lui revint en mémoire : *« Faites attention à qui vous faites confiance… »* Une sueur froide la gagna alors qu’elle accédait aux paramètres pour chercher une explication. Rien n’indiquait une anomalie. Pourtant, Clara savait. Quelqu’un l’avait surveillée.
Un sentiment d’impuissance, qu’elle méprisait plus que tout, s’insinua en elle. Elle serra les dents pour étouffer un instant de panique. On n’était plus simplement dans le cadre d’une affaire de justice. C’était personnel. Elle attrapa son manteau, fourra le téléphone dans sa poche et se dirigea rapidement vers la porte.
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L’arrière-salle de la petite boutique d’informatique située dans une ruelle étroite près de Bastille était encombrée de câbles, de moniteurs clignotants et de boîtes en carton empilées sans souci d’ordre. L’odeur de plastique chaud et de café rassis imprégnait l’air, renforçant l’atmosphère de chaos calculé. Julien, un homme d’une trentaine d’années à la barbe mal taillée et au T-shirt noir orné d’un slogan informatique abscons, tapotait frénétiquement sur un clavier.
« Ton téléphone est blindé de sécurité, Clara. Mais quelqu’un a réussi à y pénétrer. »
Clara se tenait debout à côté de lui, les bras croisés, son expression fermée trahissant une tension contenue. « Qu’est-ce que ça signifie exactement ? »
Julien tourna sa chaise vers elle, ses épaules s’affaissant légèrement sous la gravité de la situation. « Ça signifie que tu as été piratée. Probablement via un logiciel espion. Tout ce que tu fais sur ton téléphone, chaque appel, chaque message, chaque localisation… tout est accessible à celui qui a installé ça. »
Clara sentit une colère froide monter en elle, plus nette que la peur. « Et mes messages ? »
« Effacés, probablement à distance. » Julien désigna l’écran de son ordinateur où des lignes de code défilaient à une vitesse hypnotique. « Si tu veux mon avis, ils veulent te perturber, te faire comprendre qu’ils te surveillent. Un avertissement. »
Elle inspira profondément, ses pensées s’emballant. « Peut-on retrouver cette personne ? »
Julien secoua la tête, un mélange d’excuse et d’inquiétude dans son regard. « Pas directement. Ces logiciels renvoient à des serveurs anonymes, souvent hébergés à l’étranger. Ce que je peux faire, c’est nettoyer ton téléphone et renforcer sa sécurité. Mais si on t’a ciblée une fois, ils peuvent recommencer. »
Clara détourna les yeux, regardant les moniteurs clignotants comme si elle pouvait y trouver des réponses. Julien, sentant son trouble, ajouta avec une sincérité malhabile :
« Écoute, Clara, je sais que tu t’embarques dans un truc sérieux. Mais si ces gens sont suffisamment puissants pour pirater ton téléphone, c’est qu’ils ne plaisantent pas. Fais attention à toi. »
Elle hocha doucement la tête et lui posa une main sur l’épaule. « Merci, Julien. »
Elle s’apprêtait à partir lorsqu’il l’arrêta.
« Une dernière chose. Si tu tiens à garder tes infos en sécurité… oublie ton téléphone. Les vieux carnets, ça reste plus sûr. »
Elle lui adressa un léger sourire, presque ironique. « Noté. »
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Le vent glacial de Paris la cueillit en sortant, mais Clara ne ralentit pas. Elle marcha d’un pas rapide, le regard rivé sur le pavé humide. Les pensées tourbillonnaient dans son esprit : le "Projet Horizon", le piratage, les menaces. Tout semblait converger vers Marina Leblanc. Son appartement, elle en était sûre, contenait encore des indices négligés.
Elle arriva devant l’immeuble de Marina, un bâtiment bohème du Marais, avec des murs couverts de graffitis artistiques et des fenêtres éclairées révélant des appartements animés. Elle sortit la clé que Monroe lui avait donnée et pénétra dans le loft de la journaliste.
L’ambiance y était figée, presque spectrale. L’odeur familière d’un parfum floral flottait encore dans l’air, mais le désordre méthodique des piles de documents, les tableaux d’affichage couverts de notes et de photos, et l’ordinateur laissé en veille sur une table témoignaient d’un esprit en pleine ébullition interrompu brutalement. Clara alluma une lampe, scrutant chaque détail.
Elle s’installa devant l’ordinateur, mais la machine était protégée par un mot de passe. Elle soupira, frustrée. Marina aurait-elle laissé des indices ailleurs ? Elle examina les murs tapissés de photos et de coupures de journaux. Les lignes rouges reliant des noms et des dates dessinaient un réseau complexe, presque labyrinthique.
En cherchant dans les tiroirs, elle trouva des carnets remplis de notes manuscrites, mais rien ne mentionnait directement le "Projet Horizon". Puis, comme guidée par une intuition soudaine, elle examina les cadres accrochés au mur. Derrière l’un d’eux, dissimulée entre le tableau et le mur, une note manuscrite apparut.
Clara la lut à haute voix, dans un murmure :
« Le Café des Investigateurs, mercredi à 18h. »
Son cœur accéléra. Marina avait donc prévu de rencontrer quelqu’un. Peut-être un confident, un collègue, ou même un informateur. L’heure exacte indiquait que ce rendez-vous était important. Elle sortit son carnet, comme Julien le lui avait conseillé, et y copia soigneusement l’information.
Alors qu’elle remettait le cadre en place, une sensation étrange, presque viscérale, la traversa. Le silence du loft semblait soudain plus pesant, les ombres plus menaçantes. Elle se retourna brusquement, scannant la pièce du regard, son souffle se raccourcissant légèrement. Rien. Mais cette impression persistante d’être observée ne la quittait pas.
Clara savait qu’elle devait partir. Elle rangea rapidement la note dans son sac, vérifia qu’elle n’avait rien laissé derrière elle, et sortit de l’appartement, verrouillant soigneusement la porte.
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De retour dans sa voiture, elle jeta un regard inquiet autour d’elle avant de démarrer. Le rendez-vous au Café des Investigateurs, ce lieu énigmatique que Marina avait fréquenté, la remplissait à la fois d’espoir et d’appréhension.
Elle activa la radio pour couvrir le bourdonnement de ses pensées, mais les nouvelles semblaient étrangement synchronisées avec sa propre réalité : un scandale politique éclatait autour d’une multinationale célèbre, bien que les détails restent flous. Clara sentit une boule de stress se loger dans son estomac. Cette affaire dépassait tout ce qu’elle avait imaginé.
En arrivant chez elle, elle verrouilla sa porte et se laissa tomber dans son fauteuil, épuisée. Les éléments du puzzle s’accumulaient, mais sans s’assembler. Marina, Monroe, le "Projet Horizon"… Tout cela formait un réseau d’une complexité oppressante.
Puis, un bruit léger provenant de son bureau attira son attention. C’était son téléphone, posé et silencieux, mais un message non lu clignotait sur l’écran. Elle s’approcha lentement, le cœur battant.
Le message était bref, anonyme, et glaçant :
*« Vous vous aventurez sur un terrain dangereux, Maître Villeneuve. Abandonnez tant qu’il est encore temps. »*
Clara relut les mots plusieurs fois, son sang se glaçant à chaque lecture. Elle ferma le message, éteignit son téléphone, et s’assit dans la pénombre, seule avec ses pensées.
Le danger était réel, palpable. Mais il était hors de question qu’elle recule.