Chapitre 2 — Les Preuves Accablantes
Clara Villeneuve
Le Tribunal de Grande Instance de Paris se dressait devant Clara, austère et imposant, une forteresse de pierre grise marquant la gravité des luttes qui s’y déroulaient. Les colonnes massives encadraient l’entrée principale, et les escaliers interminables s’élevaient comme un défi à quiconque osait s’y aventurer. Clara resserra sa prise sur son parapluie noir, le bruit de ses talons sur le pavé résonnant dans l’air humide. La fine bruine qui tombait depuis l’aube accentuait l’atmosphère pesante, comme si même le ciel portait le poids des accusations qui allaient être débattues.
À l’intérieur, les couloirs carrelés baignaient dans une lumière artificielle froide. Des avocats en robes noires, des journalistes armés de leurs blocs-notes et des citoyens anonymes se croisaient, tous chuchotant, tous semblant pressés. Clara se dirigea vers la salle d’audience où se tiendrait la première audience préliminaire de Thierry Monroe. Le murmure continu, mêlé aux bruits réguliers de pas, amplifiait la tension. Elle prit une profonde inspiration avant de franchir les grandes portes en bois sombre.
La salle d’audience était vaste mais oppressante, un espace dominé par des boiseries sombres et des drapeaux républicains soigneusement accrochés aux murs. Le banc des juges surplombait la pièce, le regard de l’autorité scrutant tout en contrebas. Thierry Monroe était déjà installé derrière la table des accusés. Vêtu d’un costume gris impeccable, il semblait étrangement calme, presque détaché, bien que ses yeux bleus perçants parcouraient la salle avec une intensité silencieuse. Pourtant, Clara nota un détail : ses doigts tapotaient doucement le bord de la table, comme un métronome nerveux. Un geste infime, mais révélateur d’une tension sous-jacente.
Clara prit place à la table de la défense, disposant calmement ses documents devant elle. Elle sentait les regards du public peser sur elle, curieux, sceptiques. Une pensée fugace traversa son esprit : *Ils veulent voir si je faiblis. Pas aujourd’hui.* Elle redressa légèrement ses épaules, projetant une assurance calculée.
« La séance est ouverte, » annonça le juge d’une voix grave, résonnant dans l’espace silencieux.
Mathieu Leroy, le procureur, se leva, sa robe noire immaculée tombant avec une précision presque théâtrale. Droit et confiant, il s’avança pour prendre la parole. Clara l’observa attentivement. Leroy, dans son rôle habituel, affichait un mélange calculé de conviction et de ferveur. Son ton était assuré, presque insidieux, tandis qu’il exposait les preuves.
« Mesdames et Messieurs, » commença-t-il, se tournant vers la cour, « ce procès n’est pas compliqué. Nous avons un crime horrible : Marina Leblanc, assassinée dans sa propre maison, trahie par l’homme en qui elle avait le plus confiance. »
Il marqua une pause, laissant ses mots s’imprégner dans l’esprit des jurés et du public. Clara nota l’habileté de cette pause, un geste calculé pour manipuler l’émotion collective. Mais elle demeura immobile, son visage impénétrable.
« Les preuves sont claires, » continua-t-il. « L’arme du crime, un scalpel chirurgical, portait les empreintes de l’accusé. Les voisins ont entendu une dispute violente ce soir-là. Et, enfin, l’accusé n’a aucun alibi. »
Leroy se tourna vers Clara, un sourire à peine perceptible sur ses lèvres, comme pour la défier. Elle ne bougea pas, mais intérieurement, elle analysait déjà chaque mot. *Les empreintes. Partiellement visibles ? Complètes ?* Elle fit une note rapide sur son bloc-notes, son stylo glissant avec précision.
« Mais ce n’est pas tout, » ajouta-t-il. « Nous avons également des preuves circonstancielles supplémentaires. » Leroy leva une chemise de documents qu’il tendit à un greffier. Bientôt, des images de la scène de crime furent projetées sur un écran à la vue de tous. Clara sentit un frisson parcourir la salle.
Les photographies montraient l’intérieur impeccable de la villa de Monroe, jusqu’à ce que la dernière image apparaisse : le corps de Marina Leblanc, gisant sur le sol, le sang maculant le parquet brillant. Clara détourna brièvement les yeux. Pas par faiblesse – non, jamais – mais pour se concentrer sur les marges de l’image, sur les détails. *Une montre sur le sol près du corps ? Étrange qu’elle ne soit pas mentionnée dans le dossier.*
Leroy poursuivit son récit, détaillant les témoignages des voisins. « L’un des témoins a entendu une voix masculine crier. Une voix qu’il a identifiée comme celle de l’accusé. »
Cette déclaration fit tiquer Clara. Ce détail, livré avec une précision suspecte, semblait trop parfait. Elle fronça imperceptiblement les sourcils et fit une nouvelle note : *Identifier ce témoin. Déterminer s’il a été influencé.*
Elle détourna ensuite son attention vers Thierry Monroe, guettant une réaction. Mais il demeurait stoïque, son regard fixé droit devant lui. Ce calme imperturbable lui posait problème. Était-ce une maîtrise absolue ? Ou, pire, un véritable détachement ?
Lorsqu’elle reporta son regard sur le public, un homme attira son attention. Assis au fond de la salle, vêtu d’un trench-coat sombre et d’un chapeau légèrement incliné, il semblait étrangement immobile. Alors que tous les autres réagissaient aux preuves ou échangeaient des murmures, cet homme observait. Pas le procès, mais Clara. Elle sentit un frisson lui parcourir l’échine, mais elle garda son regard fixé sur lui quelques secondes de plus, mémorisant ses traits flous sous l’éclairage tamisé.
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Après l’audience, Clara quitta la salle, ignorant les journalistes qui se pressaient pour obtenir des commentaires. Elle traversa rapidement les couloirs du tribunal, les talons résonnant comme un métronome, et sortit dans l’air gris de Paris. La pluie avait cessé, mais l’humidité persistait, s’accrochant à son manteau comme une seconde peau. Elle ralentit un instant en atteignant sa voiture, laissant son esprit revisiter les preuves exposées, cherchant déjà les failles dans l’accusation.
C’est alors qu’elle remarqua une enveloppe glissée dans la poignée de la portière. Aucun nom, aucune indication, juste un papier blanc plié avec précision. Immédiatement, son attention se tendit. Elle jeta un regard rapide autour d’elle : la rue semblait déserte, mais le sentiment d’être observée la poursuivait.
Elle ouvrit l’enveloppe avec précaution. À l’intérieur se trouvait un dossier contenant quelques pages imprimées. Son cœur s’accéléra en découvrant des articles signés par Marina Leblanc, tous liés à un mystérieux « Projet Horizon ». Une note manuscrite attira immédiatement son attention :
*"Recherchez là où ils ne veulent pas que vous regardiez. Le système est verrouillé, mais il y a toujours une clé. Marina savait."*
Le message, à la fois intriguant et inquiétant, resserra l’étau autour de ses pensées comme une main invisible. Elle rangea rapidement les documents dans son sac, son regard scrutant de nouveau les environs. L’homme au trench-coat traversa son esprit, un rappel persistant qu’elle n’était pas seule dans cette quête.
Alors qu’elle démarrait, son téléphone vibra sur le siège passager. Un numéro masqué. Elle hésita, puis décrocha une fois garée dans une rue plus tranquille.
« Maître Villeneuve, » murmura une voix masculine, basse et nerveuse. « Marina travaillait sur quelque chose de bien plus grand. »
Clara ne dit rien, attendant qu’il continue.
« Je ne peux pas parler ici. Mais sachez ceci : le Projet Horizon n’est pas qu’une simple enquête. Et si vous insistez, vous allez attirer leur attention. »
Une pause, puis la voix ajouta, presque dans un souffle : « Faites attention à qui vous faites confiance. » L’appel fut coupé avant qu’elle ne puisse répondre.
Clara resta immobile, le téléphone toujours à la main. Le poids de ses doutes se mêlait à une certitude naissante : cette affaire dépassait de loin un simple procès pour meurtre. C’était une bataille contre un ennemi invisible, systémique. Et désormais, chaque pas qu’elle ferait serait scruté de près.
Elle reprit la route, ses pensées tournoyant autour des pièces éparses qu’elle devait assembler. La pluie, bien qu’arrêtée, semblait encore hanter l’air, comme une promesse de tempêtes à venir.