Chapitre 3 — Menaces Silencieuses
Emma Lavoie
La lumière crue du réverbère filtrant à travers ses rideaux réveilla Emma en sursaut. Elle ne s’était pas endormie intentionnellement, mais la fatigue accumulée de la soirée au « Nocturne » avait fini par la terrasser. La sensation d’être épiée l’habitait encore, comme un poids invisible sur sa poitrine. Elle balaya la pièce du regard, son appartement plongé dans une semi-obscurité rassurante. Pourtant, elle sentit une tension diffuse, comme si l’air lui-même portait un avertissement.
Elle se redressa lentement, les pieds nus effleurant le parquet glacé. Tirant légèrement le rideau, elle scruta la rue en contrebas. Une silhouette immobile, adossée à un lampadaire, attira son attention. L’homme semblait fixer sa fenêtre. Une froideur lui parcourut l’échine. Était-ce une coïncidence ? Non. Quand il tourna les talons pour disparaître dans l’ombre, un frisson de panique s’installa en elle.
Emma referma le rideau, vérifiant machinalement que la serrure de sa fenêtre était bien verrouillée. Elle alluma une lampe, dont la lumière douce projeta des ombres tremblantes sur les piles de dossiers qui jonchaient sa table basse. Elle saisit son carnet de notes, mais ses mains tremblaient légèrement. Chaque fibre de son être était tendue entre la peur viscérale et une résolution froide. Elle devait analyser, comprendre.
Alors qu’elle feuilletait nerveusement ses notes, son téléphone vibra violemment sur la table, brisant le silence oppressant de la pièce. Un message anonyme s’afficha : *« Abandonnez. Avant qu’il ne soit trop tard. »*
Elle fixa l’écran, son souffle court. Les menaces voilées faisaient partie des risques de son métier, mais celle-ci semblait extraordinairement personnelle. Son instinct lui hurlait qu’elle avait franchi une ligne invisible. Elle hésita, puis répondit avec précaution : *« Qui êtes-vous ? »*
Le silence fut lourd, pesant, jusqu’à ce qu’un nouveau message arrive. Cette fois, un fichier joint. Emma hésita, son pouce suspendu au-dessus de l’écran. Lorsqu’elle ouvrit le fichier, la vue de la photo lui coupa le souffle : une image d’elle-même, prise au « Nocturne », une coupe de champagne à la main, le regard plongé dans la foule. Elle se remémora cet instant précis – elle scrutait la femme en blanc.
Une deuxième photo arriva presque immédiatement. On la voyait quittant le club, sa silhouette éclairée par la lumière d’un néon. Mais dans l’ombre derrière elle, une forme indistincte semblait la suivre. Ce détail, bien que flou, était terrifiant. Emma posa brusquement son téléphone sur la table, son cœur battant à tout rompre.
Le silence s’épaississait autour d’elle, chaque craquement du bâtiment la faisant sursauter. Elle se leva d’un bond, vérifiant le verrou de sa porte d’entrée avant de le tourner une deuxième fois. Elle s’accroupit ensuite devant son bureau, entrouvrant un tiroir verrouillé. À l’intérieur, parmi des souvenirs soigneusement dissimulés, elle trouva un carnet d’adresses usé. Ses doigts effleurèrent brièvement une photo déchirée de son père, avant qu’elle ne la repousse. Ce n’était pas le moment de plonger dans le passé.
Son regard se posa sur un numéro griffonné en marge : celui de Louis Mercier, un ancien collègue devenu détective privé. Elle composa son numéro. Après quelques tonalités, une voix rauque et endormie répondit :
« Mercier. »
« Louis, c’est Emma. »
Un silence suivi d’un soupir. « Emma. Ça faisait longtemps. Je pensais que tu avais oublié mon existence. »
Elle ignora la remarque. « J’ai besoin de ton aide. Tout de suite. »
« Je suis censé m’inquiéter ? » demanda-t-il, une pointe de sarcasme dans la voix.
« Je suis suivie. Et je pense que c’est lié à une enquête que je mène. » Sa voix se tendit. « Il faut qu’on parle. En personne. Disons demain matin, au café près du Jardin des Plantes ? »
« Emma, qu’est-ce que tu as encore fait ? »
« Je t’expliquerai tout là-bas. »
Louis grogna, mais accepta finalement. Un poids s’allégea dans sa poitrine, mais pas assez pour qu’elle se sente hors de danger.
Le reste de la nuit fut une lutte entre l’épuisement et la vigilance. Elle tenta de décrypter ses notes, cherchant désespérément un début de réponse. Le symbole gravé sur la chevalière – cette grappe de raisin stylisée – revenait sans cesse dans son esprit. Pourquoi ce détail semblait-il si central ? Et pourquoi les visages des disparues lui paraissaient-ils si familiers, comme si elle avait raté un lien vital ?
Quand l’aube pointa, la lumière pâle révélant les contours de son appartement, Emma retourna à la fenêtre. La rue était déserte, mais l’image de l’homme sous le lampadaire restait vivace dans son esprit.
Quelques heures plus tard, un coup sec résonna à sa porte. Son cœur bondit, et elle attrapa instinctivement un coupe-papier sur la table avant de s’approcher prudemment du judas. Personne.
Elle ouvrit prudemment la porte. Une enveloppe brune reposait sur son tapis. Elle la ramassa, l’examinant minutieusement. Pas d’adresse. Pas de timbre. Seulement son nom, écrit à la main, en lettres capitales.
Ses doigts tremblaient légèrement en ouvrant l’enveloppe. À l’intérieur, des photos. Certaines étaient identiques à celles reçues par SMS, mais d’autres montraient des femmes qu’elle avait reconnues dans le dossier sur les disparitions. La dernière photo, cependant, était différente. C’était une image d’elle au « Nocturne », engagée dans une conversation tendue avec Raphaël Dumar.
Un message accompagnait les clichés, écrit en caractères dactylographiés :
*« Vous êtes allée trop loin. Reculez, ou vous partagerez leur sort. »*
Emma s’effondra dans son fauteuil, fixant le texte. Ce n’était plus une suggestion. C’était une promesse.
Un instant, elle se laissa envahir par la peur. Mais une étincelle de colère raviva sa détermination. Ces menaces ne suffiraient pas à l’arrêter. Elle relut les photos, cherchant un détail qu’elle aurait manqué. Le regard d’une des disparues semblait fixé sur un bracelet, presque identique à celui qu’elle avait vu sur l’homme à la chevalière. Une connexion ?
Emma se redressa. Une chose était claire : elle ne reculerait pas. Peu importe les conséquences.