Chapitre 3 — Un Garde dans l’Ombre
Alternance entre Élisa Montaigne et Gabriel Wolf
Le silence régnait toujours dans les couloirs de l’Hôtel Particulier Montaigne, mais ce soir, il semblait plus oppressant que jamais. Élisa avançait d’un pas rapide, ses talons résonnant sur le parquet ciré. Les ombres projetées par les appliques dorées dansaient sur les murs, créant des formes indistinctes qui semblaient s’animer à chaque pas. Les murmures et regards scrutateurs de la réception funéraire résonnaient encore dans sa tête, alourdissant son esprit et ses épaules.
Alors qu’elle atteignait la porte de son bureau, elle s’arrêta, hésitant un instant. Les souvenirs de ce lieu, des heures passées à analyser les notes laissées par son père, se mêlaient à une fatigue écrasante. Elle poussa la porte, espérant un bref moment de répit.
À peine entrée, elle fut frappée par une bouffée d’air froid. Une des grandes fenêtres était entrouverte, laissant passer la rumeur lointaine de la ville endormie et une pluie battante. Une fine odeur de terre humide flottait dans l’air. Fronçant les sourcils, Élisa s’avança et referma la fenêtre d’un geste sec, son regard scrutant les alentours. Ce détail incongru éveilla une méfiance instinctive.
Un bruit feutré. Légèrement métallique. Presque imperceptible.
Elle se retourna brusquement, le cœur battant à tout rompre. Ses yeux fouillaient la pièce, sondant les coins obscurs où les ombres semblaient se resserrer.
« Qui est là ? » lança-t-elle, sa voix résonnant dans l’espace vide.
Aucune réponse. Juste le bruit étouffé de la pluie contre les vitres.
Puis, soudain, une silhouette surgit des ténèbres. Rapide, précise. Avant qu’Élisa ne puisse réagir, une main gantée saisit son poignet, la forçant à lâcher le stylo qu’elle tenait encore distraitement. Elle se débattit, son instinct de survie prenant le dessus sur la panique qui menaçait de l’envahir. La peur laissa rapidement place à une colère froide.
Un coup sourd retentit. L’agresseur s’effondra comme une marionnette dont on aurait coupé les fils. Gabriel Wolf émergea de l’encadrement de la porte, une arme déjà rangée dans son holster et une expression aussi impassible que le marbre des statues de la bibliothèque.
« Vous allez bien ? » demanda-t-il, son ton neutre contrastant avec la tension palpable dans l’air.
Élisa, encore haletante, hocha la tête, même si ses mains tremblaient visiblement. Gabriel ignora le choc évident qui marquait ses traits et s’accroupit auprès de l’agresseur inconscient. Avec une efficacité glaciale, il fouilla l’homme et en retira un couteau fin, une clé USB et un téléphone.
« Qui est-ce ? » demanda Élisa, retrouvant un semblant de contrôle dans sa voix.
Gabriel se releva et planta ses yeux gris, froids et calculateurs, dans les siens. « Quelqu’un de bien entraîné, en tout cas. Ce n’est pas un amateur. »
Élisa croisa les bras, essayant de masquer le tremblement de ses doigts. « Alors comment a-t-il pu entrer ici ? Ce lieu est supposé être sécurisé. »
Gabriel ne répondit pas immédiatement. Il entreprit de vérifier les autres recoins de la pièce, ses mouvements précis et silencieux. Lorsqu’il fut certain qu’aucune autre menace ne se cachait dans l’ombre, il se tourna à nouveau vers elle.
« Votre système de sécurité a été compromis. Cet homme savait ce qu’il faisait. Et il n’est probablement pas seul. »
Les mots frappèrent Élisa comme un coup de poignard. Elle serra les dents, laissant sa colère prendre le dessus sur son anxiété. « Peut-être que le vrai problème, c’est justement votre présence, Gabriel. Une mise en scène pour me faire croire que j’ai besoin de vous ? »
Gabriel resta imperturbable, son visage une pure énigme. « Si je n’avais pas été là, vous seriez peut-être morte à l’heure qu’il est. Je ne suis pas là pour satisfaire vos caprices, mademoiselle Montaigne. Je suis ici pour vous protéger, que cela vous plaise ou non. »
Il y avait dans son ton une fermeté tranchante, dépourvue de toute chaleur. Pourtant, un éclat imperceptible dans son regard semblait indiquer qu’il était légèrement atteint par ses paroles acerbes.
Avant qu’Élisa ne puisse répondre, l’arrivée précipitée d’Antoine Bertrand détourna leur attention.
« Que s’est-il passé ? » demanda-t-il, sa voix teintée d’une inquiétude presque sincère. Ses yeux effleurèrent l’agresseur inconscient avant de s’attarder sur Gabriel.
« Une tentative d’assassinat, » répondit Gabriel en rangeant le couteau dans sa ceinture. « Votre sécurité laisse sérieusement à désirer, Antoine. »
Antoine pâlit légèrement, mais sa contenance habituelle reprit rapidement le dessus. « Il est évident que nous devons renforcer nos mesures. En attendant, ce soir prouve que votre présence ici est indispensable, Monsieur Wolf. »
Il se tourna alors vers Élisa, son regard mêlant reproche et sollicitude. « Élisa, vous devez comprendre que vous ne pouvez pas tout affronter seule. Gabriel est ici pour veiller sur vous. Vous devez coopérer avec lui. »
Élisa sentit sa colère monter. « Je n’ai jamais demandé à être surveillée comme une enfant. Et je refuse de dépendre de quelqu’un que je n’ai jamais choisi. »
Antoine esquissa un sourire calculateur, son ton devenant presque paternel. « Ce n’est pas une faiblesse de s’entourer de personnes compétentes. Vous avez tout à gagner à l’écouter. »
Gabriel, qui observait la scène sans intervenir, remarqua une légère tension dans les épaules d’Antoine. Était-ce de l’irritation, ou autre chose ?
« Faites ce que vous voulez, » céda Élisa, en détournant le regard. « Mais débarrassez-moi de ce corps. Et je ne veux plus d’attaque dans cette maison. »
Elle quitta la pièce, son pas rapide trahissant l’agitation qui bouillonnait sous sa façade froide.
Restés seuls, Gabriel et Antoine échangèrent un regard appuyé.
« Vous avez intérêt à bien faire votre travail, » murmura Antoine, baissant légèrement la voix. « Si quelque chose lui arrive, je ne tolérerai aucun échec. »
Gabriel ne répondit pas immédiatement. Puis, avec un sourire énigmatique, il répondit : « Vous feriez bien d’éviter les menaces inutiles. Je ne suis pas ici pour vous plaire, Bertrand. Je suis ici pour elle. »
Antoine quitta la pièce sans un mot de plus.
Seul avec l’inconnu inconscient, Gabriel observa la clé USB dans la paume de sa main. Il y avait dessus une gravure discrète : un symbole en forme de croix entrelacée, qu’il reconnut immédiatement comme appartenant à un réseau criminel puissant. Un frisson glacial lui parcourut l’échine.
Plus loin dans l’Hôtel Particulier, Élisa était dans sa chambre, debout devant un miroir. Le reflet qu’elle voyait semblait appartenir à une étrangère – une femme prisonnière d’un monde qu’elle ne comprenait pas encore.
La pluie continuait de frapper les fenêtres, amplifiant le silence autour d’elle. Pour la première fois depuis la mort de son père, elle laissa une larme rouler sur sa joue, mais l’essuya rapidement.
Un murmure s’éleva dans son esprit : « Fais confiance à l’ombre, pas à la lumière. »
Elle inspira profondément, se promettant qu’elle ne serait plus jamais prise au dépourvu. Elle apprendrait. Elle deviendrait plus forte.
Dans l’obscurité de la nuit, la guerre ne faisait que commencer.