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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Funérailles et Chuchotements


Élisa Montaigne

La lumière grise d’un ciel parisien maussade glissait sur les murs de pierre de l’église Saint-Augustin, où une foule dense et silencieuse s'était rassemblée pour les funérailles d’Étienne Montaigne. Les cloches, lourdes et imposantes, résonnaient dans l’air humide, chaque tintement pesant sur les épaules d’Élisa. Vêtue d’un tailleur noir à la coupe impeccable, elle se tenait droite près du cercueil de son père, son visage figé comme une statue de marbre. Pourtant, derrière cette maîtrise apparente, un chaos grondait : douleur, colère, et une peur qu’elle refusait de nommer.

Le velours sombre recouvrant le cercueil semblait absorber la lumière, tout comme les regards de l’assemblée. Parmi la foule, Élisa distinguait des clivages invisibles mais bien réels : d’un côté, les représentants de la haute société, parés de leurs bijoux discrets et de leurs airs compassés ; de l’autre, des figures issues du monde criminel, dont les sourires polis dissimulaient des ambitions prédatrices. Chaque murmure portait une question implicite : serait-elle capable de porter cet héritage ?

Antoine Bertrand, toujours impeccable dans un costume sombre, se tenait juste derrière elle, une présence rassurante pour l’œil non averti. Il s’était penché vers elle plus tôt pour lui murmurer des mots soigneusement choisis : « Élisa, ne baissez jamais les yeux devant eux. Vous êtes une Montaigne. Ils doivent le savoir. »

Gabriel Wolf, quant à lui, se tenait à l’écart, sa stature imposante et son regard de glace dominant la scène. Bien que discret, il semblait capter chaque mouvement, chaque murmure, comme un prédateur surveillant son territoire. Élisa avait soigneusement évité de croiser son regard. L’idée même qu’il ait été imposé comme son protecteur la hérissait.

Le prêtre achevait la cérémonie, sa voix monotone résonnant sous les voûtes ornées. Soudain, un frisson parcourut la nuque d’Élisa, attirant son regard vers l’arrière de la nef. Là, dans l’ombre, se trouvait Léon Gaspard. Il ne cherchait pas à se dissimuler, mais sa position en retrait, couplée à son sourire carnassier, donnait l’impression qu’il s’amusait d’un spectacle dont il tirait les ficelles.

Quand la cérémonie se termina et que le cercueil fut emporté, la foule se dispersa lentement sur le parvis humide. Antoine prit la main d’Élisa, la guidant parmi les invités avec une maîtrise calculée. « Ne laissez pas ces vautours vous approcher trop près, Élisa. Pas sans contrôle. »

Les condoléances pleuvaient, chaque mot chargé d’une hypocrisie à peine voilée. Élisa répondait avec une politesse mécanique, bien consciente que derrière ces visages neutres, les alliances et les trahisons se dessinaient déjà.

Léon n’attendit pas longtemps avant de s’approcher. Sa démarche était celle d’un homme habitué à dominer son environnement. Les conversations autour d’eux s’éteignirent presque immédiatement, et les regards se tournèrent, certains curieux, d’autres réprobateurs.

« Mademoiselle Montaigne, » dit-il en inclinant légèrement la tête, ses yeux sombres brillant d’une malice contenue. « Mes plus sincères condoléances. Votre père était un homme… inoubliable. »

Élisa sentit son estomac se nouer, mais elle força son corps à rester immobile. « Merci, Monsieur Gaspard. Votre présence… était inattendue. »

Un léger sourire effleura ses lèvres. « Parfois, les surprises sont nécessaires. Paris peut être un lieu si… imprévisible, surtout pour une jeune femme qui porte un tel poids sur ses épaules. » Il s'approcha légèrement, abaissant sa voix. « Assurez-vous simplement d’être entourée des bonnes personnes. »

Avant qu’Élisa ne puisse répondre, une ombre imposante s’interposa. Gabriel était là, silencieux mais indéniablement menaçant. Son regard, froid et tranchant, s’accrocha à celui de Léon.

« Monsieur Gaspard, » dit-il d’une voix basse et mesurée, « je crois que votre voiture vous attend. »

Léon le toisa un instant, son sourire s’élargissant légèrement. « Bien sûr. » Il s’inclina légèrement devant Élisa. « Prenez soin de vous, mademoiselle Montaigne. » Puis il s’éloigna, disparaissant dans la foule comme une ombre glissant hors de portée.

« Je n’ai pas besoin de votre intervention, » lança Élisa à Gabriel, maintenant un ton glacial. « Je peux gérer ces situations seule. »

« Ce n’est pas votre sécurité que vous sous-estimez, » répondit-il calmement. « C’est leur danger. »

Antoine arriva juste à temps pour interrompre leur échange. « Élisa, il y a des gens à qui vous devez encore parler. C’est une question de stratégie. »

Élisa hésita, mais céda. En naviguant dans la réception qui suivit, elle sentit le poids de chaque regard, de chaque sourire. Les conversations étaient un jeu de masques, où chaque mot était une manœuvre et chaque pause, une menace.

Près des fenêtres, elle croisa un regard inconnu. L’homme était mince, vêtu sobrement, mais ses yeux semblaient s’accrocher à elle avec une intensité dérangeante. Quand elle fit un pas dans sa direction, il disparut dans la foule.

Plus tard, alors qu’elle se retrouvait temporairement seule, Antoine s’approcha, un verre à la main. « Vous voyez, ma chère, vous pourriez éviter tout cela en me laissant vous soulager un peu de vos responsabilités. Vous êtes encore jeune, et ce monde est… complexe. »

Élisa releva les yeux vers lui, son regard brillant d’une froide détermination. « Non, Antoine. Ce qui reste de mon autorité, je le garde. Vous avez votre place, et moi la mienne. »

Le sourire d’Antoine s’élargit, mais il était aussi froid que calculé. « Très bien. Mais souvenez-vous, Élisa : l’hésitation est une faiblesse que vos ennemis n’hésiteront pas à exploiter. »

Alors que la réception touchait à sa fin, Élisa se tint près des lourdes portes. La pluie battait les vitres, traçant des lignes irrégulières qui semblaient refléter ses pensées fracturées. Les paroles de son père résonnaient encore dans son esprit : « Fais confiance à l’ombre, pas à la lumière. »

Gabriel apparut à ses côtés, sa présence aussi silencieuse que le grondement lointain du tonnerre. « Il est temps de partir. »

Élisa hocha la tête, jetant un dernier regard à la foule derrière elle. Ces visages, ces masques, ces jeux de pouvoir... Elle savait qu’elle devait trouver sa propre place dans ce monde et apprendre à en manipuler les règles avant que celles-ci ne la consument.

En montant dans la voiture qui l’attendait, elle serra les poings. Paris n’était pas seulement une ville, mais un champ de bataille. Et si elle devait survivre, elle n’avait d’autre choix que de devenir une stratège digne du nom Montaigne.

La voiture s’éloigna, la pluie s’écrasant contre les vitres alors qu’Élisa fixait le paysage flou, son esprit déjà tourné vers ce qu’elle devait affronter ensuite.