Chapitre 3 — Première Rencontre avec Gabriel
Claire Duval
L'odeur persistante de papier ancien et de cuir usé envahissait l'air lorsque Claire poussa la lourde porte en bois de la bibliothèque. Une étrange sensation d'être attirée par cet endroit l'avait saisie dès son réveil. Elle n'aurait su dire pourquoi, mais tout son être semblait en quête de réponses qu’elle espérait trouver ici.
La pièce s'étendait devant elle, massive et silencieuse, baignée dans une pénombre tamisée par la lumière diffuse des chandeliers. Les étagères, hautes jusqu’au plafond, formaient un labyrinthe de savoir et de mystère, leur contenu soigneusement aligné, comme si le temps lui-même avait trop de respect pour déranger cet ordre. Claire avança prudemment, ses pas étouffés sur le tapis épais.
Elle n'était jamais entrée ici auparavant. Madame Dupont l’avait mentionnée brièvement, lui suggérant que c’était un lieu de contemplation réservé à Gabriel. Pourtant, ce matin-là, un murmure persistant, délicat et à peine audible — ou peut-être une intuition — l’avait convaincue de franchir ce seuil.
Elle effleura une étagère du bout des doigts, suivant les lignes dorées gravées sur les tranches des livres. Des titres en latin, en français ancien, en langues qu’elle ne reconnaissait pas. Chaque volume semblait contenir une part de l’histoire de Ravencourt, un fragment des mystères qui l’entouraient. Elle s’immobilisa devant une section où les livres portaient des symboles ésotériques gravés dans le cuir, leur simple présence la troublant.
Une chaleur soudaine émana du médaillon qu’elle portait autour du cou, si vive qu’elle porta instinctivement la main à sa poitrine. Le poids rassurant de l’objet, bien que familier, lui semblait aujourd’hui chargé d’un sens qu’elle ne pouvait encore comprendre.
Alors qu’elle tendait la main vers un livre orné d’un étrange sceau, un souffle glacé balaya la pièce, éteignant brièvement une ou deux chandelles. Elle frissonna, hésitant à poursuivre son geste, lorsqu’une voix grave et froide brisa le silence :
« Vous ne devriez pas être ici. »
Claire sursauta, retirant sa main comme si elle avait été brûlée. Elle se retourna brusquement et croisa le regard perçant de Gabriel de Montfort. Il se tenait à l’ombre d’une étagère, à quelques pas seulement. Sa silhouette élancée était enveloppée d’une redingote noire, et ses yeux gris acier semblaient capables de la percer à jour.
« Je… Je ne voulais pas déranger, » dit Claire, la voix légèrement tremblante, son regard fuyant brièvement vers les livres.
Gabriel s’avança lentement, son visage grave et impassible. « La bibliothèque n’est pas un lieu pour les curieux. »
Claire sentit une vague de défi monter en elle malgré l’autorité de ses paroles. Elle redressa ses épaules, cherchant à contenir son appréhension. « Si vous ne vouliez pas que j’entre, il aurait suffi de verrouiller la porte. »
Un sourire infime, amer, effleura les lèvres de Gabriel, mais il disparut presque aussitôt. « Les portes ouvertes ne signifient pas l’accès libre, mademoiselle Duval. Ici, certaines connaissances sont aussi dangereuses que des armes. »
Elle déglutit, son regard dérivant à nouveau vers les livres ésotériques. « Le château regorge de mystères. Si je dois rester ici et protéger Isabelle comme vous l’avez demandé, je dois comprendre ce qui m’entoure. »
Gabriel s’arrêta devant elle, imposant et pourtant étrangement vulnérable. Son regard tomba sur le médaillon autour de son cou, et quelque chose dans ses traits se durcit imperceptiblement.
« Ce n’est pas le château que vous devez craindre, » murmura-t-il, sa voix plus basse, presque un avertissement.
Claire fronça les sourcils, son cœur battant plus vite. « Que voulez-vous dire ? Vous savez quelque chose, n’est-ce pas ? Quelque chose qui concerne tout cela… et moi. »
Il détourna les yeux vers une étagère voisine, comme si la conversation le mettait mal à l’aise. « Certaines vérités devraient rester enfouies. Vous êtes ici pour protéger Isabelle. Concentrez-vous sur cela. »
Une colère sourde monta en elle, alimentée par son propre sentiment d’impuissance. « Et moi ? Dois-je simplement ignorer les ombres, les murmures, les avertissements constants ? Dois-je ignorer cette sensation que tout, ici, est lié à moi, d’une manière ou d’une autre ? »
Gabriel la regarda à nouveau, plus intensément cette fois, et Claire sentit son souffle se raccourcir sous ce regard. Il y avait dans ses yeux une douleur insondable, un fardeau qu’il portait depuis si longtemps qu’il semblait faire partie de lui.
« Votre curiosité vous perdra, mademoiselle Duval, » dit-il d’un ton tranchant.
Elle serra les poings, refusant de détourner les yeux. « Vous pouvez essayer de m’effrayer avec vos énigmes, mais je ne suis pas venue ici pour me détourner de la vérité. »
Gabriel ferma brièvement les yeux, ses mâchoires se contractant comme s’il luttait contre ses propres pensées. Lorsqu’il parla à nouveau, sa voix était plus douce, mais empreinte d’une gravité qui fit frissonner Claire.
« Si vous voulez survivre ici, mademoiselle Duval, apprenez à poser les bonnes limites. »
Il tourna légèrement la tête, comme s’il écoutait quelque chose dans le silence. Un bruit lointain dans le château, peut-être. Puis il recula, se fondant presque dans l’ombre des étagères.
« Ne touchez pas à ces livres, » ajouta-t-il, désignant les volumes ornés de symboles. « Ils ne contiennent rien qui puisse vous aider. »
Claire le regarda s’éloigner, son esprit agité de questions sans réponses. Lorsqu’il atteignit la porte, il s’arrêta et tourna la tête à moitié, un éclat de mélancolie voilant son regard.
« Les livres ne sont pas toujours des amis ; certains contiennent des vérités qu’on ne peut oublier. »
La porte se referma derrière lui, laissant Claire seule au milieu des livres et de la pénombre. Elle posa une main contre son médaillon, sentant à nouveau cette chaleur étrange qui pulsait doucement.
Elle ferma les yeux. Les mots de Gabriel résonnaient dans son esprit, mais elle savait qu’elle ne pouvait pas les écouter. Ce château, ces mystères, tout cela ne pouvait être ignoré. Elle était venue chercher des réponses, et elle les trouverait, peu importe ce que Gabriel ou quiconque tenterait de lui cacher.
Prenant une profonde inspiration, elle tourna à nouveau son regard vers les étagères. Un livre parmi ceux qui semblaient interdits brillait faiblement sous la lumière vacillante d’un chandelier. Elle s’approcha, hésitante, mais résolue.
Lorsqu’elle effleura le dos de l’ouvrage, un léger souffle d’air balaya la pièce, éteignant presque toutes les bougies. Une ombre fugace, indistincte, sembla glisser sur le sol avant de disparaître. Claire se figea, le souffle court, mais une présence intangible sembla l’encourager à continuer.
Elle recula finalement, se promettant de revenir. Mais une chose était certaine : Gabriel de Montfort savait bien plus qu’il ne voulait l’admettre, et elle ferait tout pour découvrir ce qui se cachait derrière ses avertissements.