Chapitre 3 — Atterrissage à Paris
Claire et Julian
L’avion atterrit avec une légère secousse, et la cabine fut envahie par le bruit familier des passagers rassemblant leurs affaires. Claire Dupont ajusta la sangle de son sac en cuir, ses doigts effleurant la boucle en laiton usée. Elle évita soigneusement de jeter un coup d'œil vers Julian Laurent, bien que sa présence à côté d’elle fût comme une chaleur palpable dans l’espace confiné. La tension entre eux persistait, un fil invisible tendu à l’extrême sans jamais se briser.
Ils patientaient côte à côte dans l’étroite allée, attendant leur tour pour débarquer. Claire se concentra sur les détails qui l’entouraient : les compartiments à bagages qui se refermaient dans un bruit sec, l’odeur légère de café rassis qui flânait dans l’air, le murmure lointain d’un bébé qui pleurait quelques rangées plus loin. Tout, sauf l’homme à ses côtés.
Une fois descendus de la passerelle, le chaos de l’aéroport Charles de Gaulle les enveloppa—des annonces résonnant depuis des haut-parleurs invisibles, le bourdonnement des tapis roulants, et le bruissement pressé des chaussures sur les sols brillants. Claire s’accueillit à ce vacarme, espérant qu’il étoufferait la tension qui s’agrippait à elle depuis le vol.
« C’est ici que nos chemins se séparent, je suppose », dit Julian d’une voix calme mais lourde de sens, chargée d’un poids flottant entre eux. Il ajusta la sangle de son sac de voyage, le cuir émettant un léger grincement.
Claire hocha la tête, ses yeux noisette croisant les siens un bref instant avant de s’en détourner. « Oui. Bonne chance pour... tout. »
Pendant une fraction de seconde, il parut hésiter, comme s’il s’apprêtait à ajouter quelque chose. Ses lèvres s’entrouvrirent, mais aucun mot ne sortit. À la place, il esquissa un léger sourire teinté de regret. « Toi aussi. »
Il s’éloigna vers la sortie, sa silhouette large disparaissant peu à peu dans la foule. Claire resta immobile un moment, ses yeux fixés sur son départ, ses jointures blanchissant alors qu’elle serrait la sangle de son sac. Elle ressentit une douleur sourde—une pointe de quelque chose qu’elle ne pouvait nommer, prise entre colère, culpabilité, et une tendresse qu’elle croyait avoir enfouie depuis longtemps.
La file de taxis à l’extérieur s’étirait interminablement sous le ciel gris de Paris. Claire agrippa fermement son sac, ses doigts traçant distraitement la poche cachée où reposait la carte postale. Le bord du papier pressait légèrement contre ses doigts, ravivant un souvenir qu’elle s’était interdit de revisiter depuis des mois : l’écriture de Julian, les courbes de ses mots, l’espoir doux-amer gravé sur ce petit vestige de leur passé. La douleur dans sa poitrine s’intensifia, mais cette fois, elle se permit de l’accepter, en reconnaissant sa source. La présence de Julian avait rouvert une vieille blessure qu’elle s’était convaincue d’avoir guérie.
Quand son tour arriva, elle glissa sur le siège arrière d’un taxi, son sac photo posé sur ses genoux comme un bouclier. « Hôtel Saint-Clément, s’il vous plaît », murmura-t-elle au chauffeur, d’une voix plus assurée qu’elle ne se sentait.
Alors que la voiture s’éloignait de l’aéroport, Paris commença à se dévoiler devant elle—ses boulevards bordés de marronniers, ses balcons en fer forgé, et la douce teinte des fleurs printanières débordant des jardinières. La Seine, en mouvement lent, scintillait au loin, sa surface adoucie sous le ciel couvert. Elle entrouvrit légèrement la fenêtre, laissant l’air frais et humide apporter avec lui l’odeur du pavé mouillé par la pluie et celle du pain fraîchement sorti du four.
Ses pensées retournèrent à Julian. À la manière dont sa voix s’était adoucie quand il avait parlé de Henri Moreau. À sa façon de se tenir, avec cette mélancolie discrète qu’il portait comme une seconde peau depuis leur séparation. Elle se demanda, pas pour la première fois, si elle avait réellement tourné la page—ou si elle avait simplement enfoui le passé sous des couches de travail et d’ambition.
Son hôtel se situait dans une rue tranquille, à l’écart des quartiers touristiques animés. La chambre était modeste mais lumineuse, la lumière filtrant à travers des rideaux vaporeux qui dansaient doucement dans la brise. Claire déballa ses affaires méthodiquement, posant son appareil photo sur le petit bureau près de la fenêtre. Elle plongea la main dans son sac et en sortit son carnet, feuilletant des pages remplies de croquis et de notes. Ses doigts s’arrêtèrent sur une page vierge, son esprit vagabondant à nouveau vers leur conversation.
Les portraits de Julian dans sa prochaine exposition la hantaient. Elle avait hésité pendant des mois à les inclure, sachant qu’ils révéleraient une part d’elle-même qu’elle n’était pas prête à admettre. En valait-ce la peine ? Était-ce juste pour lui ? Sa main resta suspendue un instant au-dessus de son sac, tentée de récupérer la carte postale dont elle connaissait parfaitement l’emplacement. Mais elle secoua la tête, refermant brusquement le carnet.
De l’autre côté de la ville, Julian déverrouilla la porte de son appartement de location, la clé accrochant légèrement avant que la serrure ne cède. L’espace était petit mais fonctionnel, avec une cuisine étroite et une fenêtre donnant sur une ruelle pavée. Il laissa tomber son sac sur le canapé usé et resta immobile un moment, laissant le silence l’envahir.
L’appartement sentait légèrement la lavande, un parfum probablement laissé par un occupant précédent. Cela le ramena douloureusement dans le passé, aux sachets que Claire glissait dans leurs tiroirs. Le souvenir persista, indésirable et doux-amer, avant qu’il ne l’écarte.
Il sortit son journal relié en cuir de son sac, le posant sur la petite table à manger. La couverture était écornée, les bords usés par des années de manipulation. Julian traça la reliure avec son pouce avant de l’ouvrir à une page marquée d’un ruban.
L’entrée était datée d’il y a presque deux ans, griffonnée au cours d’une nuit sans sommeil, alors qu’il croyait encore qu’ils pouvaient sauver ce qu’ils avaient construit ensemble. Les mots se brouillaient légèrement tandis que ses pensées s’égaraient : *« Je ne sais pas si je m’accroche parce que je l’aime ou parce que j’ai peur de ce qui viendra après. »* Sa poitrine se serra. Il referma brusquement le journal, la mâchoire crispée.
Il se dirigea vers la cuisine, ouvrant placards et tiroirs pour se familiariser avec l’espace. Le rythme familier d’une cuisine, même aussi modeste que celle-ci, lui apporta une petite dose de réconfort. Il trouva une planche à découper et un couteau, tranchant une pomme avec aisance. Le craquement net de la lame contre le fruit l’ancrait, l’acte tactile apaisant l’agitation dans sa poitrine.
Mais ses pensées revenaient sans cesse à Henri.Il ne savait pas à quoi s’attendre demain—à quel point Henri aurait l’air fragile, quelles paroles ils échangeraient. La casserole en cuivre qu’Henri lui avait prêtée autrefois lui revint à l’esprit, ainsi que le conseil bourru de l’homme âgé : « Respecte les outils, et ils te respecteront. » Julian avait passé des années à essayer de vivre selon de telles leçons. Et pourtant, se tenant ici maintenant, le poids de ses propres doutes semblait plus lourd que jamais.
De retour à l’hôtel, Claire se tenait près de la fenêtre, son appareil photo à la main. La rue en contrebas était tranquille, à l’exception d’un piéton ou d’un cycliste qui passait de temps à autre. Elle ajusta l’objectif, cadrant une photo du balcon en face, avec ses garde-corps en fer forgé décorés de lierre grimpant.
À travers le viseur, le monde semblait gérable, contenu. Elle prit la photo, le doux déclic de l’obturateur rompant le silence. La photographie avait toujours été son moyen de donner un sens aux choses, de saisir ces moments fugaces qu’elle peinait à retenir.
Mais lorsqu’elle abaissa l’appareil, elle se rendit compte que l’image qu’elle avait capturée n’était pas tout à fait ce qu’elle voulait. C’était beau, oui, mais il manquait quelque chose—de la profondeur, de l’émotion, cette qualité intangible qui transformait une photo en bien plus qu’une simple image.
Son regard se posa sur la sacoche posée sur le bureau. Le cuir était lisse, usé par des années d’utilisation, sa surface marquée de légères rayures et éraflures racontant leur propre histoire. Ses doigts la démangeaient à l’idée de saisir la carte postale, de tenir ce petit fragment de son passé auquel elle s’était accrochée tout ce temps. Mais elle ne le fit pas. À la place, elle s’allongea sur les oreillers, fixant le plafond alors que le poids de la journée s’abattait sur elle.
Julian, lui aussi, ressentait le poids de la journée alors qu’il se tenait près de la fenêtre, le trognon de pomme à la main. Il regarda l’allée en contrebas, où la lumière d’un lampadaire projetait de longues ombres sur les pavés.
Et inévitablement, il pensa à Claire. À la manière dont elle l’avait regardé pendant le vol—pas avec colère ou ressentiment, mais avec quelque chose de plus complexe, quelque chose qui reflétait les émotions entremêlées dans sa propre poitrine.
Dans leurs coins respectifs de la ville, Claire et Julian se retrouvèrent incapables de dormir. La ville à l’extérieur bourdonnait de son rythme habituel, mais à l’intérieur, leurs pensées tourbillonnaient, agitées et irrésolues.
Paris avait toujours été une ville de contrastes—lumière et ombre, histoire et modernité, beauté et mélancolie. Et maintenant, elle semblait devenir la scène de ce qui allait advenir.