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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3L'Invitation de la Rose Noire


Le Salon de la Rose Noire était un sanctuaire d’ombres, un refuge où les secrets murmuraient et où le pouvoir bouillonnait sous la surface. Lucien franchit l’entrée dissimulée sous la façade modeste de la boutique de vins, ses pas silencieux résonnant sur les marches de pierre usées. L’air devenait plus dense à mesure qu’il descendait, chargé des essences mêlées de vin vieilli, d’encens enivrant et d’une énergie primordiale qui imprégnait les lieux comme une seconde peau.

La salle s’étendait devant lui, une scène d’élégance décadente figée dans le temps. Des draperies de velours cramoisi coulaient le long des murs, leurs plis capturant les lueurs vacillantes des flammes des bougies. Les douces et mélancoliques notes d’un piano à queue s’élevaient, flottant dans l’air comme des échos d’une époque révolue. Les clients, humains et vampires, étaient installés dans des fauteuils somptueux, leurs conversations empreintes de mystères et d’intentions voilées. Des regards se posèrent sur lui – certains curieux, d’autres méfiants – mais aucun ne s’attarda trop longtemps. Depuis des décennies, Lucien était un habitué de ce lieu, sa présence étant une constante au milieu des intrigues changeantes du salon.

Il avançait avec calme et précision, son costume sombre un mariage impeccable de sophistication intemporelle et de modernité. Tandis qu’il parcourait la pièce du regard, il aperçut son invitée. Isabelle Laurent était assise à une petite table dans un coin, sa posture impeccablement droite, son tailleur si net qu’il semblait trancher à travers l’opulence de la pièce. Contre la toile de fond de velours et d’ombres, elle était un éclat de verre – élégante, inflexible et subtilement, dangereusement, hors contexte.

Ses yeux gris analysaient sans relâche chaque détail de la salle. Bien que son visage affichât un masque de détachement froid, Lucien remarqua une légère tension dans sa mâchoire et la manière dont ses doigts effleuraient le bord de son verre en un rythme mesuré. Elle était hors de son élément, et cela la déstabilisait.

« Mademoiselle Laurent, » salua Lucien, sa voix basse et fluide, suffisamment pesante pour atteindre ses oreilles sans attirer d’attention indésirable. « Je suis honoré que vous ayez accepté mon invitation. »

Son regard se posa sur lui, perçant et inquisiteur. « Monsieur d’Artois, » répondit-elle en se levant. Sa poignée de main, ferme et délibérée, était un bouclier de professionnalisme masquant son inconfort. « Vous avez choisi un lieu bien singulier pour une rencontre d’affaires. »

Lucien esquissa un léger sourire, un sourire qui semblait contenir des secrets qu’il gardait jalousement. « La Rose Noire a un certain… charme, vous ne trouvez pas ? C’est un endroit où l’on peut parler librement, à l’abri des regards et des oreilles indiscrets. »

Ses lèvres se crispèrent légèrement tandis qu’elle reprenait sa place, son scepticisme évident. Lucien fit signe à un serveur passant, d’un geste subtil de la main, commandant un millésime qu’il savait parfait pour la situation. Il sentit son regard perçant alors qu’il s’installait en face d’elle, chacun de ses gestes mesurés et précis.

« Vous semblez très à l’aise ici, » remarqua-t-elle, son ton léger mais chargé de curiosité.

« J’ai trouvé cet endroit propice à des discussions profondes et significatives, » répondit-il en inclinant légèrement la tête. « Et vous, mademoiselle Laurent ? Que pensez-vous de cet endroit ? »

Ses yeux balayèrent la pièce – les murs drapés, les recoins tamisés, et les clients aux mouvements empreints d’une grâce presque irréelle. « C’est… différent, » finit-elle par dire, son ton gardant une neutralité calculée.

Différent. Un choix de mots prudent. Lucien appréciait sa retenue, bien qu’il observât le subtil rythme de son pouls à la base de son cou – un rappel discret de son humanité qu’il s’efforça d’ignorer. Son regard s’attarda un instant, puis revint à ses yeux.

« Passons au sujet qui nous réunit, » proposa-t-elle, sa voix devenant plus directe.

« Bien sûr. » Il se pencha légèrement en avant, posant ses avant-bras sur la table. « Comme je l’ai mentionné lors du gala, je crois que nos entreprises ont le potentiel de réaliser ensemble quelque chose d’exceptionnel. Laurent Industries a l’innovation, la vision. Mon réseau apporte la stabilité, les ressources, et… certains éclairages qui pourraient s’avérer inestimables pour vos ambitions mondiales. »

Ses yeux se plissèrent légèrement, disséquant ses paroles avec une précision chirurgicale. « Et qu’est-ce que vous gagnez exactement dans cet arrangement, monsieur d’Artois ? »

« Une question légitime, » répondit-il calmement, sa voix posée. « Je peux naturellement profiter de l’expansion de mes propres intérêts. Mais au-delà de cela, votre travail me fascine. Votre entreprise redéfinit des frontières que d’autres n’osent même pas approcher. J’admire votre audace, mademoiselle Laurent. »

Un léger sourire effleura ses lèvres, sans atteindre ses yeux. « La flatterie est une approche intéressante pour une proposition d’affaires, » répondit-elle sèchement.

« Ce n’est pas de la flatterie, » corrigea Lucien, son ton imprégné de sincérité. « Simplement une observation. Vous avez bâti quelque chose de remarquable, de durable. Je veux simplement m’assurer que cela atteigne son plein potentiel. »

Sa tête s’inclina légèrement, et son regard l’étudia avec une intensité qui aurait pu déstabiliser un homme moins sûr de lui. « Et qu’est-ce qui garantit que vous ne tenterez pas de prendre le contrôle une fois l’accord signé ? »

Le sourire de Lucien s’approfondit, une ombre fugace et plus sombre y dansant. « La confiance est la base de tout partenariat, mademoiselle Laurent. Et la confiance, comme vous le savez, se mérite. »

Son silence parlait pour elle. Elle ne lui faisait pas encore confiance, mais une lueur d’intrigue brillait dans ses yeux. Il pouvait le voir dans la cadence légère de ses doigts tapotant la table, son esprit déjà en train de peser les risques et les avantages.

Le serveur revint avec le vin et le versa dans deux verres en cristal. Lucien leva le sien, faisant doucement tourner le liquide rubis. « Portons un toast, » proposa-t-il, levant son verre. « À l’ambition. Qu’elle nous mène à la grandeur. »

Elle hésita un instant avant de lever son verre. « À l’ambition, » répéta-t-elle, sa voix ferme malgré une tension sous-jacente.

Leurs verres s’entrechoquèrent doucement, le son absorbé par l’atmosphère feutrée du salon. Tandis qu’elle prenait une gorgée mesurée, l’attention de Lucien resta fixée sur elle, captant l’éclat fugitif d’incertitude qu’elle dissimulait habilement.

« Mademoiselle Laurent, » commença-t-il d’un ton adouci, « je comprends que la confiance ne vous vienne pas facilement. Et c’est une bonne chose. Vous avez dû vous battre pour construire ce que vous avez, et je respecte cela. Mais je vous assure que mes intentions sont sincères. »« Je cherche un partenariat, pas une domination. »

Ses yeux scrutèrent son visage, comme pour détecter les failles dans sa façade. « Vous êtes très habile dans cet art, » dit-elle finalement, sa voix empreinte d’un amusement sec.

« Dans quel art ? » demanda-t-il, se penchant légèrement en arrière.

« Celui d’être… persuasif, » répondit-elle. « Peut-être même trop habile. »

Lucien laissa échapper un rire grave et riche. « Je vais considérer cela comme un compliment. »

« Prenez-le comme vous voulez, » répliqua-t-elle en posant doucement son verre. « Mais comprenez bien une chose, Monsieur D’Artois : je ne négocie pas de compromis. Si j’accepte cette fusion, ce sera à mes conditions. »

« Évidemment, » répondit-il en inclinant la tête avec respect. « Je n’attendrais rien de moins. »

La conversation dévia alors vers des détails plus concrets de la fusion proposée. Lucien la laissa guider l’échange, impressionné par sa capacité à disséquer les complexités avec une aisance remarquable. Elle était, sans l’ombre d’un doute, redoutable – autant comme adversaire que comme alliée précieuse.

Au fil de la soirée, l’admiration de Lucien pour Isabelle Laurent grandit. Elle n’était semblable à personne qu’il avait rencontré dans toute sa longue existence – inflexible, mais vulnérable ; calculatrice, mais profondément humaine.

Un éclat subtil attira soudain son attention. Ses yeux se posèrent brièvement sur le pendentif reposant délicatement contre sa clavicule. Le Pendentif du Gardien. Les runes gravées y luisaient faiblement en sa présence, une réaction discrète mais indéniable.

Le sourire de Lucien vacilla imperceptiblement avant qu’il ne retrouve rapidement son masque, son expression redevenant parfaitement lisse. « Une pièce magnifique, » fit-il remarquer d’un ton désinvolte, indiquant le pendentif d’un léger geste.

La main d’Isabelle se déplaça instinctivement pour le saisir, ses doigts effleurant le métal froid. « C’est… un héritage familial, » répondit-elle, méfiante.

« Intéressant, » murmura-t-il, enregistrant soigneusement cette information. La réaction du pendentif confirmait ses soupçons – Isabelle Laurent était bien plus qu’elle ne le laissait paraître.

La soirée s’acheva sur une poignée de main, ferme et assurée. Tandis que Lucien suivait du regard sa silhouette disparaissant dans l’ombre, une lueur d’émotion qu’il n’avait pas ressentie depuis des siècles émergea au fond de lui.

L’espoir.