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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3L'Invitation au Manoir Villefort


Lucia Moreno

La nuit tombait doucement sur Paris, enveloppant la ville d’une obscurité veloutée où les lumières tremblantes des lampadaires tentaient de percer le voile. Une fine bruine s'ajoutait au froid mordant de l’hiver, rendant l'atmosphère encore plus oppressante. Lucia Moreno, ajustant son blouson en cuir, resserra instinctivement la doublure de sa botte où était dissimulée une dague fine. La froideur de l’acier contre sa cheville lui apportait un semblant de réconfort face à l’incertitude croissante.

En approchant du manoir Villefort, son cœur battait un peu plus vite. Le bâtiment dominait l’horizon comme une relique d’une époque révolue. Caché derrière des grilles de fer forgé ornées de motifs complexes, il semblait à la fois majestueux et menaçant. Les murs d’un blanc défraîchi, envahis par le lierre, étaient surmontés de gargouilles aux visages grotesques. Dans l’obscurité, ces sculptures ressemblaient à des sentinelles silencieuses, leurs regards figés semblant suivre chaque mouvement.

Lucia prit une profonde inspiration et poussa la grille. Le grincement strident qui s’ensuivit brisa l’harmonie du silence et fit frissonner Lucia. Elle s’immobilisa un instant, attentive au moindre bruit. L’air, chargé d’une humidité pesante, portait avec lui un parfum métallique qui s’accrochait à ses narines. Rien. Seulement le bruissement du vent dans les branches. Elle se força à avancer.

Le chemin pavé qui menait à l’entrée principale était encadré de buissons taillés avec une précision presque trop parfaite, comme si chaque feuille avait été calculée. Une ombre fugace sembla se mouvoir à l’extrémité de son champ de vision. Lucia se retourna brusquement, ses yeux scrutant les ténèbres. Mais il n’y avait rien. La paranoïa… ou autre chose ? Elle resserra sa prise sur le col de son blouson et pressa le pas.

Arrivée devant les imposantes doubles portes en bois massif, elle hésita une fraction de seconde. Elle effleura le pendentif autour de son cou, un geste instinctif qu'elle n'avait pas prévu. Puis, rassemblant son courage, elle frappa trois fois. La vibration résonna dans ses os, comme une mise en garde.

La porte s’ouvrit lentement, dévoilant un majordome au visage impassible, vêtu d’un costume noir impeccable. Ses yeux noirs et froids l’évaluèrent brièvement, comme s’il cherchait à déceler une faiblesse.

— "Mademoiselle Moreno, vous êtes attendue," dit-il d’une voix monocorde, s’écartant légèrement pour lui laisser le passage.

Lucia entrouvrit les lèvres, mais renonça à parler. Elle entra, son regard absorbé par l’intérieur du manoir. Le hall principal était gigantesque, baigné d’une lumière tamisée qui émanait de lustres en cristal suspendus au plafond vertigineusement haut. Les murs, tapissés de tableaux anciens, représentaient des scènes de chasse et des portraits d’aristocrates oubliés. Les visages austères sur les toiles semblaient la juger en silence. Le parquet en bois sombre, parfait, réfléchissait faiblement les lueurs dansantes des chandeliers.

Un craquement léger derrière elle la fit se retourner, mais ce n’était que le majordome refermant doucement les portes. Un instant, elle eut l’impression que les murs se refermaient sur elle.

— "Suivez-moi," ordonna le majordome d’un ton neutre.

Lucia lui emboîta le pas, chaque claquement de ses bottines résonnant légèrement dans l’immensité du hall. Une étrange chaleur semblait émaner de l’endroit, mais elle ne parvenait pas à dissiper le froid qui s’était ancré au plus profond d’elle.

Les couloirs qu’ils traversèrent étaient bordés de tapis persans aux motifs complexes. Chaque pièce, entrevue rapidement, semblait contenir une histoire murmurée : bibliothèques croulant sous des volumes anciens, salons ornés de meubles antiques plongés dans une pénombre oppressante. Une ombre sembla glisser derrière une porte entrebâillée. Lucia s’arrêta brièvement, tendant l’oreille, mais le majordome ne ralentit pas.

Ils s’arrêtèrent enfin devant une porte massive, plus élaborée que les autres. Le majordome posa une main gantée sur la poignée et s’inclina légèrement.

— "Monsieur de Villefort vous attend," déclara-t-il avant de disparaître dans le couloir comme une ombre.

Lucia prit une profonde inspiration, son esprit oscillant entre méfiance et détermination. Elle repoussa doucement la porte, prête à tout.

La pièce qui s’offrit à elle était à la fois austère et captivante. Des tentures rouges profondes couvraient les murs, et un feu crépitait dans une cheminée de marbre noir. L’odeur persistante de cire fondue et de bois brûlé ajoutait à l’atmosphère. Raphaël de Villefort se tenait près d’une fenêtre, une coupe de vin rouge à la main. La lumière de la lune baignait son profil sculptural, accentuant la pâleur surnaturelle de sa peau.

— "Mademoiselle Moreno," dit-il sans se retourner, sa voix basse et envoûtante glissant dans l’air comme une mélodie sombre. "Je suis ravi que vous ayez accepté mon invitation."

Lucia franchit le seuil, ses sens en alerte.

— "Je ne suis pas là pour des mondanités," répliqua-t-elle sèchement. "Je veux des réponses."

Raphaël se retourna enfin, ses yeux gris perçants rencontrant ceux de Lucia. Il esquissa un sourire subtil, presque imperceptible.

— "Vous recherchez la vérité," murmura-t-il en avançant d’un pas fluide. "Mais la vérité a un prix. Êtes-vous prête à le payer ?"

Lucia soutint son regard, même si son cœur battait plus vite.

— "Je n’ai pas traversé tout ça pour reculer maintenant."

Raphaël inclina légèrement la tête, semblant apprécier son audace. Il posa sa coupe de vin sur une table basse et désigna un fauteuil près de la cheminée.

— "Asseyez-vous, je vous prie. Nous avons beaucoup à discuter."

Lucia resta debout, les bras croisés.

— "Je suis bien ici," répondit-elle.

Raphaël sembla amusé par son défi, mais son expression devint rapidement plus grave.

— "Très bien," dit-il calmement. "Votre sœur, Elisa… elle n’a pas disparu par accident. Elle a été arrachée à votre monde."

Lucia sentit son estomac se contracter, mais elle garda son visage impassible.

— "Par qui ?"

Raphaël détourna brièvement le regard, comme s’il pesait ses mots.

— "Par une entité que vous ne pouvez pas encore comprendre. Mais sachez ceci : elle est encore en vie."

Ces mots la frappèrent comme un coup de poing, et son souffle se fit plus court.

— "Où ?" insista-t-elle, sa voix trahissant une pointe d’urgence.

Raphaël s’arrêta, ses yeux glacials se posant sur elle.

— "Entre les mains du Marionnettiste des Ombres."

Un silence lourd tomba sur la pièce. Ce nom, elle l’avait déjà entendu, murmuré dans les témoignages les plus incohérents.

— "Pourquoi nous ?" lâcha-t-elle.

Raphaël hésita, puis répondit d’une voix plus basse :

— "Parce que vous êtes bien plus qu’une simple humaine. Et votre sœur… était un appât pour vous."

Avant qu’elle ne puisse répondre, une secousse ébranla soudain le manoir, faisant vibrer les murs. Lucia chancela.

— "Ils arrivent," murmura Raphaël en fixant la porte.

Elle s’ouvrit violemment, laissant apparaître une silhouette massive et menaçante aux yeux luisants.

— "Si vous voulez survivre, faites exactement ce que je dis," déclara Raphaël en saisissant son bras et en l’entraînant vers une porte dissimulée derrière une bibliothèque.

Le claquement de la porte derrière eux plongea Lucia dans une obscurité oppressante. Mais elle savait une chose : elle venait de franchir une frontière invisible, et rien ne serait plus jamais comme avant.