Chapitre 3 — Saveurs du Souvenir
Maris
La cuisine était animée par les arômes d’ail rôti et de thym, enveloppant Maris dans un cocon de familiarité. La lumière du soleil filtrait à travers les grandes fenêtres, dansant sur les carreaux colorés que sa grand-mère avait posés des décennies auparavant—chacun d’eux un écho de son héritage. Le comptoir en bois usé était saupoudré de farine, alors que ses doigts façonnaient les bords d’une pâte dorée en délicates ondulations. Au centre de la cuisine trônait la boîte à recettes, sa surface finement sculptée adoucie par des décennies d’utilisation respectueuse. Ce n’était pas simplement un objet ; c’était une gardienne d’histoires, un réceptacle d’amour et de souvenirs.
Maris passa doucement le bout de ses doigts sur les sculptures, les rainures familières et réconfortantes. Glissant le couvercle, elle sortit délicatement une fiche de recette. Les bords étaient légèrement effilochés, l’encre pâlie mais indéniablement celle de sa grand-mère : des boucles élégantes de cursive dansant sur la page. Elle sourit doucement en lisant le titre : *Tarte au Citron.* Juste en dessous, une note griffonnée par sa grand-mère : *« L'acide équilibre le sucré, comme la vie. »*
« L'acide équilibre le sucré, comme la vie », murmura Maris. Sa voix était douce, mais les mots résonnaient dans l’air calme, comme si sa grand-mère elle-même les avait chuchotés. Ces mots lui étaient familiers, mais aujourd’hui, ils semblaient chargés d’un sens nouveau.
Les leçons de sa grand-mère avaient toujours transcendé l’art culinaire. Chaque recette était accompagnée de vérités enveloppées dans une simplicité trompeuse, comme si chaque plat contenait un secret pour affronter la complexité de la vie. Elle pouvait presque entendre la voix de sa grand-mère maintenant, chaleureuse et chantante : *« Souviens-toi, ma chérie, rien qui vaut la peine d’être savouré ne vient sans un peu d’acidité. »*
Une vague de nostalgie la traversa alors qu’elle se tournait vers les citrons alignés sur le comptoir. Ils scintillaient sous la lumière du soleil, chacun vibrant d’un jaune éclatant. Elle attrapa sa râpe, l’odeur vive des agrumes s’élevant dans l’air alors qu’elle pelait les zestes éclatants. L’acidité tranchait à travers la chaleur beurrée qui emplissait déjà la cuisine, son piquant la ramenant au cœur de son travail.
Son rythme était méthodique, chaque geste précis—le fouet en main, les œufs et le sucre se mélangeant en une mousse pâle tandis que la coque de la tarte refroidissait à proximité. Pourtant, malgré le réconfort que ces gestes auraient dû lui apporter, le doute se glissa en elle comme un invité indésirable. Le livre de recettes, son hommage sincère à sa grand-mère, semblait écrasant dans sa portée. Comment pouvait-elle capturer toute une vie de chaleur, de sagesse et de moments partagés en quelques pages seulement ?
Sa poitrine se serra lorsqu’une autre voix s’imposa, dure et tranchante. *« Tu n’es rien sans précision, Maris. La cuisine, c’est le contrôle. »* Les paroles de Victor la transpercèrent comme une vieille blessure qui refusait de guérir. Même ici, dans le sanctuaire de sa cuisine, son ombre persistait, ternissant la lumière que sa grand-mère avait allumée.
Elle agrippa le fouet plus fermement, ses jointures blanchissant avant qu’elle ne le repose avec un soupir tremblant. « Non », murmura-t-elle dans la pièce vide, secouant la tête. Ce n’était pas la cuisine de Victor. C’était la sienne. Et jamais sa grand-mère n’avait prononcé le mot *contrôle.* La cuisine était un acte d’amour, un moyen de créer quelque chose de plus grand que la somme de ses parties.
Son regard dériva vers le tableau de liège au-dessus du comptoir. Parmi le désordre de recettes découpées et de notes griffonnées se trouvait une photo fanée de sa grand-mère dans un jardin, un panier de citrons blottis dans ses bras. Son sourire était paisible, une confiance tranquille émanant de son visage. Maris laissa l’image l’apaiser, puisant en elle une force nouvelle.
L’odeur des citrons la ramena à ses pensées sur le parc et cet homme—Eamon, pensa-t-elle qu’il s’appelait—qui l’avait aidée à ramasser ses biscuits tombés près de la fontaine. Son calme l’avait intriguée, sa gentillesse réfléchie offrant une sérénité qu’elle ne savait pas rechercher. Il y avait quelque chose de stabilisant en sa présence, une quiétude qui contrastait avec le tumulte de doutes qu’elle portait en elle.
Ses joues s’empourprèrent lorsqu’elle réalisa que sa main s’était arrêtée en plein mouvement. Elle se ressaisit et versa le mélange citronné dans la coque de la tarte avant de la glisser dans le four. La chaleur de la pièce augmenta tandis qu’elle refermait la porte, les parfums mêlés de citron et de beurre la submergeant comme un souvenir d’après-midi ensoleillés sous les soins vigilants de sa grand-mère.
Alors que la tarte cuisait, Maris entreprit de nettoyer les comptoirs, ses gestes rapides mais automatiques. Une fois encore, ses pensées dérivèrent vers le livre de recettes. Et si elle échouait ? Et si les mots et les plats qu’elle assemblait avec soin ne rendaient pas justice à l’héritage de sa grand-mère, le laissant amoindri au lieu d’être honoré ? Le poids de cette idée l’écrasait, lourd et inévitable.
Le minuteur sonna, la tirant de ses pensées en spirale. Elle enfila les gants de cuisine usés de sa grand-mère et ouvrit la porte. La tarte sortit dans un souffle de chaleur dorée, sa surface légèrement brillante, les bords caramélisés craquant à peine. Elle était, à première vue, parfaite.
Et pourtant, alors que Maris la posait sur la grille pour la laisser refroidir, un vide lui étreignit la poitrine. La tarte était impeccable en apparence, mais quelque chose semblait manquer—peut-être une âme. Sans les mains qui avaient pétri à ses côtés, sans les rires qui avaient empli cette cuisine jadis, elle semblait incomplète.
Elle s’effondra sur une chaise à la table, son regard tombant à nouveau sur la boîte à recettes. Farfouillant à l’intérieur, elle trouva un petit morceau de papier plié, coincé entre les fiches. Les bords étaient tachés, l’encre pâlie mais lisible. L’écriture de sa grand-mère s’y déployait en courbes élégantes :
*« La nourriture n’est pas seulement ce que nous mangeons ; c’est ce que nous partageons. »*
« La nourriture n’est pas seulement ce que nous mangeons ; c’est ce que nous partageons », murmura Maris à voix haute, sa voix s’attardant sur le dernier mot. Un nœud se défit dans sa poitrine alors que le sens des mots se révélait pleinement. La tarte n’était pas vide—elle attendait. Elle attendait d’être partagée, d’être remplie des liens et des moments qui lui donneraient une vie au-delà de ses ingrédients. Sa grand-mère avait toujours compris cela, elle l’avait incarné. Peut-être était-il temps pour Maris de l’adopter aussi.
Son téléphone vibra sur le comptoir, son écran s’illuminant d’un nouveau message.Elle essuya ses mains sur son tablier et saisit le téléphone, le nom de Reni s’affichant en haut. Le message disait : *« Salut, ma chérie. Le parc organise un concours de pâtisserie communautaire le week-end prochain. Apporte quelque chose. On adorerait te voir ! »*
Maris hésita, son pouce flottant au-dessus du clavier, son estomac se nouant. Un concours de pâtisserie... L’idée même éveillait en elle des émotions contradictoires—une nervosité entremêlée avec une lueur d’espoir, si ténue mais présente. Son premier instinct fut de refuser. Elle n’était pas encore prête, n’est-ce pas ?
Son regard se posa à nouveau sur la tarte, sa surface dorée scintillant doucement sous la lumière de fin d’après-midi. Les paroles de sa grand-mère résonnèrent dans son esprit, calmes et pleines de certitude : *La nourriture, c’est ce que nous partageons.*
Maris inspira profondément, ses doigts tapant une réponse. *« Je serai là. »*
En appuyant sur le bouton d’envoi, une chaleur nouvelle s’alluma en elle. Ce n’était pas la fin de ses doutes, mais ce n’était pas leur triomphe non plus. Elle reporta son attention sur la tarte, cette fois avec un sourire sincère et apaisé. Quoi qu’il arrive, elle y ferait face—une recette, une connexion, un pas après l’autre.