Chapitre 3 — L’Alliance Contre-Nature
Troisième personne
Des éclairs zèbrent un ciel d’encre au-dessus des Terres Creuses, illuminant un camp de fortune niché entre des falaises déchiquetées. La pluie torrentielle martèle des tentes de toile grossière, transformant le sol en une boue visqueuse qui aspire les bottes des hommes et des bêtes. Sous un auvent de fer, Viktor Stahl se tient droit, immobile, son armure gravée de runes luisant d’une froide détermination sous la lueur vacillante des torches. Chaque goutte d’eau qui s’écrase sur le métal résonne comme un tambour de guerre, un écho à la tempête qui gronde en lui. À ses côtés, Ronan, sous sa forme humaine mais avec une posture bestiale, grogne sourdement, ses muscles tendus sous une peau couturée de cicatrices. Ses yeux, d’un jaune perçant, trahissent une rage à peine contenue, et ses poings serrés tremblent d’une fureur qui menace d’exploser. L’air, saturé d’humidité et d’une odeur âcre de fer rouillé, semble vibrer d’une tension prête à se rompre.
Dans la main gantée de Viktor repose une sphère de fer, pulsant d’une énergie bleutée, anti-magie pure, captant l’attention de Ronan. Ce dernier y jette un regard méfiant, ses lèvres se retroussant sur des canines à peine humaines. Un grognement bas roule dans sa gorge, mais Viktor ne cille pas, ses yeux d’acier rivés sur l’horizon invisible, là où la brume cramoisie du Voile Sanglant s’entremêle à la pluie. Leur alliance est une lame à double tranchant, une nécessité forgée dans le feu de la haine commune, mais prête à se briser au moindre faux pas.
« Elle est la clé de la purge, » tranche Viktor, sa voix froide et précise comme une lame affûtée, chaque mot pesé pour frapper. « Élise Moreau. Une abomination qui corrompt tout ce qu’elle touche. Si nous ne l’arrêtons pas, sa malédiction s’étendra comme un feu sauvage. » Il tourne lentement la tête vers Ronan, un sourire sans chaleur étirant ses lèvres fines. « Tu comprends cela, n’est-ce pas, bête ? »
Le mot résonne comme une gifle. Ronan redresse les épaules, un grondement plus profond montant de sa poitrine, ses ongles s’enfonçant dans ses paumes jusqu’à faire perler le sang. « Ne m’insulte pas, humain, » crache-t-il, sa voix rauque et chargée de venin. « Je ne suis pas ici pour tes jeux ou ta cause. Mathis a affaibli la meute en protégeant cette fille. Elle nous mène à la ruine. Je reprends ce qui m’appartient, et si ça signifie l’écraser, ainsi soit-il. »
Viktor incline légèrement la tête, un éclat de mépris traversant son regard, mais il ne répond pas immédiatement. Il fait tourner la sphère dans sa main, son éclat bleuté projetant des ombres mouvantes sur son visage taillé dans la pierre. « Alors nous sommes d’accord sur l’essentiel, » dit-il enfin, son ton glacial masquant à peine son dédain. « Elle doit mourir. Et Mathis, ton soi-disant alpha, tombera avec elle. »
Ronan serre les dents, ses mâchoires crispées au point de faire saillir les veines de son cou. La mention de Mathis ravive une douleur ancienne, une blessure d’orgueil qui n’a jamais cicatrisé. Il détourne le regard, fixant la pluie qui s’abat sans relâche sur le camp, où des soldats de l’Ordre du Fer, armés de lances et d’arbalètes, se mêlent aux silhouettes massives de loups dissidents. « Il est faible, » grogne-t-il, presque pour lui-même. « Un traître à notre sang. Il a choisi cette… chose, au détriment de la meute. Je vais le lui faire payer. »
Un silence lourd s’installe, ponctué par le crépitement des torches et le rugissement de l’orage. Viktor déroule un parchemin trempé sur une table de fortune, les bords noircis par l’humidité, révélant une carte grossière des Profondeurs des Terres Creuses. Ses doigts gantés tracent des lignes entre des points marqués de runes, des lieux où Élise et Mathis pourraient chercher refuge ou poursuivre leur quête maudite. « Ils se dirigent vers la crypte, » murmure-t-il, plus à lui-même qu’à Ronan. « Le Sceau Écarlate… une relique qu’ils croient pouvoir utiliser. Mais ils ignorent le prix. Nous les intercepterons là-bas. »
Ronan se penche sur la carte, ses yeux plissés, son souffle chaud formant des volutes dans l’air glacial. « Mes loups peuvent les encercler, » dit-il, tapotant un doigt griffu sur une zone de tunnels. « On les pousse dans un piège, on les brise. Pas besoin de tes jouets de fer. » Son regard glisse vers la sphère, une méfiance instinctive crispant ses traits.
Viktor ricane, un son sec et sans joie. « Ta force brute ne suffira pas contre elle. Sa magie est… instable, mais puissante. Cette sphère coupera son lien avec la corruption qui coule dans ses veines. » Il referme la main sur l’objet, son éclat s’atténuant un instant. « Mes hommes s’occuperont du reste. Toi, contente-toi de tenir tes bêtes en laisse. »
Le grondement de Ronan revient, plus guttural, ses yeux lançant des éclairs. Il fait un pas vers Viktor, sa carrure imposante dominant l’homme en armure, mais ce dernier ne recule pas, son regard aussi dur que l’acier qu’il porte. « Je ne suis pas ton chien, Stahl, » grogne Ronan, sa voix tremblante de fureur contenue. « On chasse ensemble, mais si tu crois pouvoir me donner des ordres, je te déchirerai la gorge avant que tu ne voies le jour. »
Un sourire cruel étire les lèvres de Viktor, mais il lève une main en signe d’apaisement, presque moqueur. « Bien sûr, alpha, » dit-il, le titre teinté d’une ironie mordante. « Fais ce que tu fais de mieux. Traque. Moi, je m’assure que la proie ne s’échappe pas. » Il tourne les talons, laissant Ronan bouillonner dans son coin, la pluie ruisselant sur son visage contracté par la rage.
Alors que Ronan s’éloigne d’un pas lourd pour rassembler ses loups, ses grondements résonnant dans la nuit, Viktor reste seul sous l’auvent, son regard se posant sur une caisse de fer verrouillée, posée à l’écart sur une table. La pluie s’intensifie, chaque goutte tambourinant contre le métal comme un compte à rebours. Il s’approche lentement, ses doigts gantés faisant jouer un mécanisme complexe, et le couvercle s’ouvre dans un grincement sinistre. À l’intérieur repose une arme qui semble absorber la lumière ambiante : une lance aux pointes multiples, gravées de runes complexes, pulsant d’une énergie bleuâtre plus intense encore que celle de la sphère. L’arme vibre légèrement, comme animée d’une vie propre, et un sourire rare, cruel, fend le visage de Viktor.
« Tu couperas la source même de son mal, » murmure-t-il, ses mots avalés par le rugissement de l’orage, mais empreints d’une certitude fanatique. Il referme la caisse avec un claquement sec, son regard se perdant dans la pluie battante qui noie le camp. Autour de lui, les ombres des soldats de l’Ordre et des loups de Ronan se mêlent dans la pénombre, une armée de ténèbres prête à fondre sur Élise et Mathis. Les torches vacillent sous le vent, projetant des lueurs incertaines sur des visages durs et des crocs luisants, tandis qu’un éclair déchire le ciel, illuminant un instant le chaos organisé de cette traque impitoyable.
Quelque part dans les Profondeurs, Élise et Mathis ignorent encore l’étau qui se resserre autour d’eux. Mais ici, sous la pluie implacable des Terres Creuses, Viktor Stahl sait que leur temps est compté. « Rien ne survivra à ce fer, » souffle-t-il, sa voix un serment dans l’obscurité, un présage de la tempête bien plus mortelle qui s’annonce.