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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 1Voix dans la nuit


Sophie Delacroix

Les projecteurs de la patinoire privée de Chamonix projetaient une lumière vive sur la glace immaculée, illuminant les moindres craquelures de sa surface. Sophie se tenait dans l’ombre des gradins, le souffle court. Le silence habituel de cet endroit, qu’elle considérait comme un sanctuaire, était brisé ce soir par des éclats de voix. Une dispute.

Elle plia les genoux légèrement, se dissimulant derrière une rangée de sièges en bois qui grinçaient sous le poids du passé. Le froid s’insinuait dans ses chaussures, mordant ses orteils, mais elle n’y prêtait pas attention. Ses doigts gantés s’accrochaient au bord du siège devant elle, tandis que son regard restait rivé sur la scène qui se déroulait sur la glace.

Guillaume, son entraîneur, faisait face à un homme qu’elle ne reconnaissait pas immédiatement. Grand, imposant, l’individu portait un manteau sombre, son visage à moitié dissimulé par le col relevé. Une écharpe noire couvrait son cou, et ses gants de cuir claquaient contre ses paumes comme une menace silencieuse. Sa posture trahissait une colère contenue, tandis que Guillaume, plus petit mais étrangement calme, le regardait avec une intensité qu’elle ne lui connaissait pas.

« Tu crois que ça va passer inaperçu ? » lança l’inconnu d’une voix basse, presque rauque, mais suffisamment forte pour résonner dans la patinoire.

Sophie fronça les sourcils. Elle ne comprenait pas tout, mais le ton était menaçant. Guillaume se redressa, croisa les bras sur sa poitrine, mais Sophie remarqua un léger mouvement de sa main droite, comme s’il serrait quelque chose dans sa poche.

« Vous vous trompez si vous pensez que je vais me taire, » répondit-il, sa voix vibrante de défi. « Ce que vous faites… ça dépasse les limites. »

Un frisson parcourut Sophie. Elle n’avait jamais vu Guillaume dans une telle posture de confrontation. Il était d’ordinaire un homme affable, patient, toujours prêt à calmer les esprits. Mais ce soir, il semblait transformé, animé d’une énergie que même la distance ne parvenait pas à estomper.

« Les limites, ce sont les faibles qui les respectent, » rétorqua l’inconnu, un rictus glacial étirant ses lèvres. « Vous devriez y réfléchir à deux fois avant de faire un pas de travers. »

Le cœur de Sophie battait à tout rompre. Chaque mot prononcé semblait chargé d’une menace latente, comme si l’air lui-même devenait plus lourd.

« Et si je ne me tais pas ? » demanda Guillaume, presque en défi.

L’homme fit un pas en avant, rompant la distance entre eux. Sophie retint son souffle, sentant son corps se figer sous l’effet du froid et de la peur. Ses mains tremblaient légèrement, et un goût métallique envahit sa bouche, témoin de son anxiété croissante. Elle voulut s’approcher, intervenir, mais ses jambes restaient figées, plantées dans le sol glacé.

L’inconnu agrippa Guillaume par le col, et leurs visages se rapprochèrent. Le claquement sourd des patins sur la glace résonna tandis que Guillaume glissait légèrement sous la pression.

« Alors, c’est toi qui disparaîtras, » murmura l’homme d’une voix si basse que Sophie ne put l’entendre distinctement.

Un bruit retentit soudain, sec et violent. Le son claqua dans l’air comme un coup de tonnerre dans la nuit silencieuse. Guillaume vacilla, et l’inconnu recula d’un pas, le laissant tituber. Sophie porta une main à sa bouche pour éviter de crier.

L’homme pivota, ses chaussures frappant la glace dans un bruit léger mais menaçant. Dans son mouvement, ses gants de cuir brillèrent un instant sous le faisceau des projecteurs. Il traversa la patinoire d’un pas rapide et déterminé, disparaissant dans l’ombre des gradins opposés. Sophie n’osait toujours pas bouger. Guillaume était toujours debout, mais à peine. Son souffle semblait laborieux, sa silhouette vacillante.

Puis il s’effondra.

Le choc de son corps contre la glace résonna dans toute la patinoire, envoyant un écho glaçant à travers les gradins. Sophie sentit sa gorge se serrer, son instinct la poussant à courir vers lui. Mais elle ne pouvait pas. Elle ne devait pas.

Des pas résonnèrent à nouveau, plus éloignés cette fois. L’inconnu s’éloignait, mais l’angoisse restait palpable. Sophie recula lentement, ses yeux fixés sur le corps immobile de Guillaume. Elle glissa hors des gradins, se faufilant dans l’obscurité avec précaution, alors qu’un souvenir douloureux surgissait dans son esprit : l’encouragement de Guillaume après sa chute lors d’une compétition cruciale. « Peu importe ce que tu affrontes, tu te relèveras toujours, Sophie, » lui avait-il dit.

Sa respiration était saccadée tandis qu’elle atteignait l’issue de secours. Elle posa une main tremblante sur la porte métallique, avant de se retourner une dernière fois.

Le corps de Guillaume, étendu sur la glace, semblait minuscule et vulnérable. Sophie sentit une vague de culpabilité l’envahir. Mais que pouvait-elle faire ? La peur d’être découverte, d’être impliquée, paralysait ses pensées.

Elle poussa la porte, s’échappant dans la nuit glaciale. L’air vif mordit son visage, mais elle continuait de marcher, ses pas s’enfonçant dans la neige fraîche. Le froid mordait ses joues, mais elle ne prêtait pas attention à la brûlure physique – un feu intérieur, celui de la panique et de l'impuissance, engloutissait tout.

Elle s’arrêta enfin au coin d’une rue déserte, son souffle formant des volutes blanches devant elle. Sa poitrine se soulevait rapidement, et ses mains refusaient de cesser de trembler.

Un cri étouffé s’échappa de ses lèvres alors qu’elle réalisait pleinement ce qu’elle venait de voir. Guillaume, son mentor, son pilier, était mort. Et elle avait été témoin de ses derniers instants.

Mais ce n’était pas un accident, elle le savait.

Sophie regarda autour d’elle, s’assurant qu’elle était seule. Son esprit tournoyait tandis qu’elle essayait de comprendre ce qu’il fallait faire. Appeler la police ? Et si personne ne la croyait ? Et si cet homme mystérieux savait qu’elle avait été là, cachée dans les gradins ?

Un détail revint brusquement dans son esprit. Guillaume avait mentionné, quelques jours auparavant, qu’il voulait lui confier quelque chose d’important. Mais il n’avait jamais eu l’occasion de le faire.

Cette pensée fut comme une étincelle dans le brouillard de son esprit. Si cet homme était venu ici pour menacer Guillaume, cela signifiait qu’il y avait quelque chose de plus grand en jeu. Quelque chose que Guillaume savait, et qui lui avait coûté la vie.

Sophie recula contre un mur, ses genoux fléchissant sous le poids de cette révélation. Elle ne pouvait pas rester passive.

Sa respiration se calma peu à peu, et elle redressa la tête.

Elle ne savait pas encore comment, mais elle savait une chose : elle devait découvrir la vérité.