Chapitre 3 — Le Wagon Oublié
Sera
Le soleil était bas dans le ciel lorsque Sera atteignit les abords du terrain du cirque. Au-delà des rangées de roulottes et de la chaude lueur des lanternes, elle se retrouva entourée par le murmure apaisant de la nature. Ici, à l’écart du chaos organisé du monde de la troupe, se dressait le wagon oublié, tel un gardien silencieux des souvenirs, sa silhouette projetant une ombre allongée sur l’horizon crépusculaire. Le bois usé, déformé et écaillé, lui conférait une étrange noblesse. Du lierre s’enroulait obstinément autour de ses bords, ses vrilles sinueuses s’immisçant dans les fissures de la peinture fanée. Des fleurs sauvages se balançaient sous la douce brise, leur parfum sucré se mêlant aux fragrances familières de sciure et de terre humide qui persistaient, même ici.
Sera hésita au seuil, ses bottes s’enfonçant légèrement dans le sol meuble. Le wagon n’avait jamais été une simple relique abandonnée : c’était un reliquaire de rêves et de peines. Autrefois vibrant de l’énergie créative des rires et des projets de ses parents, il se dressait désormais tel un mausolée, lourd du poids du temps et du deuil. Elle l’avait évité pendant des années, refusant d’affronter les souvenirs qu’il contenait. Mais maintenant, avec le journal de son père glissé dans la sacoche à son côté et l’écho de ses derniers mots — *« Notre héritage en dépend. Protège-le »* — résonnant dans son esprit, elle ne pouvait plus reculer.
Sa main gantée se posa sur la porte délavée. Pendant un bref instant, elle songea à faire demi-tour, à laisser le passé intact, ses secrets intacts. L’idée de revivre ces souvenirs lui serra la poitrine. Mais les mots énigmatiques du journal tourbillonnaient dans son esprit, et elle savait qu’elle ne pouvait plus les ignorer. Prenant une profonde inspiration pour se donner du courage, elle poussa la porte, le bois se plaignant dans un long grincement. Une poussière fantomatique s’éleva, captant la lumière décroissante qui filtrait à travers des fenêtres fissurées, baignant le wagon dans une lueur dorée et voilée.
L’air à l’intérieur était dense, imprégné de l’odeur moite du bois et du papier trop longtemps exposés à l’humidité. Sous cette odeur persistait une trace subtile de lavande — le parfum de sa mère — imprégnée dans des sachets fanés depuis longtemps. Les yeux émeraude de Sera s’acclimatèrent lentement à la pénombre, embrassant le tableau mélancolique figé dans le temps. Des costumes, ternis par les années, s’affaissaient sur des chaises brisées, tels des artistes oubliés. Des accessoires reposaient de travers contre les murs, leurs couleurs, autrefois éclatantes, désormais fanées, leur usage depuis longtemps oublié. Une canne en bois, finement sculptée de motifs floraux, gisait dans un coin, tandis qu’un éventail à sequins était posé sur une affiche fanée annonçant les débuts éblouissants de ses parents.
Un sanglot lui échappa alors qu’une vague de chagrin et de nostalgie l’envahissait. Pendant un instant, elle crut entendre leurs voix — la voix grave et rassurante de son père, le rire de sa mère, léger comme le tintement de cloches. Leur souvenir emplit sa poitrine, à la fois doux-amer et douloureux. Ses genoux fléchirent sous le poids de leur absence, mais elle serra les dents pour se ressaisir. Elle n’était pas là pour les pleurer — pas cette fois. Elle était là pour comprendre, pour assembler les fragments de ce qu’ils avaient laissé derrière eux.
S’avançant plus profondément dans le wagon, ses bottes raclèrent doucement le sol couvert de poussière. Le plancher craquait sous son poids, chaque son ravivant des souvenirs intimes de son enfance passée ici, à observer ses parents concevoir leurs numéros et rêver de l’avenir du cirque. Son regard s’arrêta sur une petite malle usée glissée sous la table. Le verrou, rouillé depuis longtemps, cédait facilement. S’agenouillant, elle souleva doucement le couvercle, qui émit un gémissement sous la pression.
À l’intérieur, des fragments de la vie de ses parents reposaient intacts. Une photographie fanée attira son attention : sa mère suspendue en plein vol, les bras tendus comme si elle essayait d’attraper les étoiles, tandis que son père se tenait dessous, ajustant les câbles avec un sourire fier. Sera passa son pouce sur les bords de la photo avant de la reposer. En dessous, un petit médaillon en argent, lisse et froid dans sa paume, portait des étoiles finement gravées sur sa surface. Distraitement, elle en traça les motifs avant de le replacer avec soin. Enfin, une pile de papiers reliés par un ruban effiloché retint son attention.
En dénouant le paquet, un objet glissa entre les pages et atterrit doucement sur ses genoux. Son souffle se suspendit lorsque ses doigts effleurèrent sa couverture en cuir. C’était un journal — pas celui de son père, mais un plus petit, délicatement relié. Lorsqu’elle l’ouvrit, les boucles familières et les traits serrés de l’écriture de sa mère firent monter un nœud dans sa gorge.
Ses mains tremblèrent en tournant les pages, la voix de sa mère émergeant en douces traînées d’encre. La plupart des entrées étaient banales — des notes sur des costumes et des croquis de formations de numéros — mais, plus loin dans le journal, le ton changea. Les mots devinrent plus lourds, chargés de tension.
*« Alain insiste. Il dit que nous devons le cacher, le garder en sécurité. Mais je me demande si nous en comprenons vraiment l’importance. Le pendentif est bien plus qu’un simple symbole — il semble presque vivant entre nos mains, un lien avec quelque chose de plus grand. Peut-être est-ce pour cela que Lucien y est si obsédé. Il voit du pouvoir là où nous voyons de l’unité. J’espère seulement que nous avons raison de le lui cacher. »*
Le pendentif.
Le souffle de Sera s’accéléra tandis qu’elle poursuivait sa lecture, son pouls résonnant comme un tambour. D’autres indices et fragments apparurent, éparpillés au fil des pages : *« Sous les étoiles, »* avait écrit sa mère, *« là où tous les débuts et toutes les fins s’entrelacent. »*
« Sous les étoiles, » murmura Sera à voix haute, les mots s’étranglant dans sa gorge. La phrase énigmatique de sa mère résonna en elle, réveillant quelque chose de profond et d’instinctif. Le pendentif n’était pas qu’une relique. Les mots de sa mère lui avaient donné une vie, le connectant à quelque chose de vaste, d’essentiel pour le cirque et pour la famille qui l’avait construit. Ses parents y avaient vu un symbole d’unité, un reflet de leurs croyances. Lucien, bien sûr, y avait vu tout autre chose.
Et soudain, tout devint clair. *« Sous les étoiles »* — ce n’était pas qu’une expression poétique. Cela devait signifier quelque chose de concret. Les derniers mots de son père, *« sous la piste, »* s’alignèrent soudain avec ceux de sa mère. La tente Étoilée elle-même, avec ses motifs célestes et son cercle central, semblait être la connexion la plus évidente. Et si le pendentif avait été caché là, depuis tout ce temps ?La charrette grinça doucement derrière elle, la tirant brusquement de ses pensées. Sa tête se releva d’un coup, son souffle coupé net. Le bruit était trop délibéré pour être simplement celui de la charrette se tassant sous son propre poids. Elle se figea, tendant l’oreille. Un léger froissement suivit, puis le craquement de pas sur le gravier.
« Qui est là ? » lança-t-elle d'une voix tranchante, brisant le silence. Elle se leva rapidement, ses doigts se resserrant fermement autour du journal.
Aucune réponse.
Elle s’approcha de la porte, ses pas mesurés et lents. La charrette semblait plus petite maintenant, les murs se resserrant autour d’elle tandis que ses sens s’étendaient au-delà. Scrutant le crépuscule, son regard perçant d’émeraude balaya les hautes herbes et les fleurs sauvages à l’extérieur. Les légères perturbations dans la terre meuble—une traînée de petites empreintes précises—firent bondir son pouls.
Sa mâchoire se contracta. Quelqu’un était passé par là. Quelqu’un l’avait vue.
Hésitant entre suivre la piste ou faire demi-tour, son instinct finit par trancher. Elle sortit, observant l’horizon. Quiconque était là était parti depuis longtemps, mais leur présence portait un message clair : elle n’était pas la seule à chercher le pendentif.
Son regard se tourna vers le cœur du cirque. Sur le ciel qui s’assombrissait, la Tente Étoilée s’élevait comme une balise, sa toile usée captant la faible lumière des premières étoiles. Le journal pressé contre son flanc, lourd mais rassurant, lui rappelait la vérité qu’elle devait découvrir. Si le pendentif était caché là où elle le soupçonnait, elle ne faisait pas seulement face au temps, mais aussi à ceux qui voudraient voir l’héritage de ses parents réduit à néant.
« Sous les étoiles, » murmura-t-elle, sa voix désormais ferme. Les mots pesaient davantage, porteurs à la fois d’espoir et d’urgence. Avec une détermination nouvelle parcourant ses veines, elle se mit en marche vers la tente. Elle protégerait ce que ses parents avaient laissé derrière eux. Elle ne laisserait ni Lucien ni quiconque d’autre lui arracher cela.
Les réponses qu’elle cherchait semblaient plus proches désormais. Mais le danger aussi.