Chapitre 3 — L'Embuscade
Valdemar Sørensen
Le grondement sourd d’un moteur brisa le silence de la nuit. Valdemar conduisait à travers les rues désertes de la zone industrielle, ses mains fermement agrippées au volant. Les réverbères projetaient des éclats de lumière intermittents dans l’habitacle, sculptant des ombres sur son visage tendu. Le message anonyme reçu la veille résonnait encore dans son esprit. *"Le plus proche de toi portera le coup."* Ces mots, bien qu’ambigus, s’étaient insinués profondément en lui, glissant comme du poison dans ses pensées. Pourtant, il n’avait pas le luxe de céder à la paranoia. Ce soir, il avait une réunion cruciale avec un groupe d’alliés potentiels – un risque nécessaire pour préserver la stabilité du clan.
Ingrid avait insisté pour l'accompagner, argumentant qu’ils ne devaient pas se diviser en ces temps incertains. Mais il lui avait ordonné de rester au manoir, préférant la savoir en sécurité. Le simple fait qu’elle soit une rare personne en qui il pouvait placer sa confiance suffisait à justifier sa décision.
Le GPS indiqua qu’il approchait de l’entrepôt désigné. Une carcasse massive en béton surgit devant lui, ses murs couverts de graffitis effacés par le temps. Le bâtiment avait l’air abandonné, mais l’expérience de Valdemar lui apprenait à ne jamais se fier aux apparences. Il coupa le moteur, laissant le silence s’installer, puis inspecta minutieusement les alentours à travers le pare-brise embué. Une lumière vacillante au loin et un bruit métallique, léger mais distinct, le firent hésiter une fraction de seconde.
Il sortit enfin du véhicule, ajustant le col de son manteau long pour se protéger du froid mordant de la nuit. Ses bottes écrasaient le gravier avec un bruit trop net, chaque pas amplifiant l’étrange immobilité de l’endroit. Une fine brume serpentait au sol, masquant partiellement le décor désolé et accentuant l’atmosphère oppressante.
En approchant de l’entrée, il aperçut un détail qui attira son attention. Une rune *Tiwaz* gravée à la main sur le cadre métallique de la porte. Une inscription nordique symbolisant le combat et le sacrifice, mais aussi une subtile moquerie dans ce contexte. Cela le mit encore davantage sur ses gardes.
Valdemar poussa la lourde porte métallique avec précaution, ses muscles tendus, prêt à réagir au moindre danger. L’intérieur était sombre, éclairé seulement par quelques rayons de lumière lunaire s’infiltrant à travers les fissures du toit. L’odeur d’humidité et de métal rouillé saturait l’air, réveillant des souvenirs d’anciens repaires où des alliances avaient été scellées… ou brisées.
Une silhouette se tenait au centre de l’entrepôt, sous un faisceau lumineux naturel. Mikael, l’un de ses contacts, leva une main hésitante en guise de salut.
« Jarl, merci d’être venu, » lança-t-il, sa voix légèrement tremblante.
Valdemar ne répondit pas immédiatement. Il s’avança lentement, chaque pas mesuré, ses yeux gris-bleu scrutant les moindres détails autour de lui. Ses instincts criaient à l’incohérence – pourquoi Mikael était-il seul ?
« Où sont les autres ? » demanda-t-il enfin, son ton sec et tranchant.
Mikael déglutit visiblement, évitant son regard. « Ils arrivent… Je crois. Je— »
Le bruit aigu d’un cliquetis métallique le coupa net. Valdemar se figea, chacun de ses sens en alerte. Ce son ne devait pas être là. Il pivota juste à temps pour voir les ombres bouger. Une embuscade.
Un cri retentit, sauvage et menaçant, suivi du fracas des bottes sur le béton. Valdemar bondit sur le côté, une balle sifflant à quelques centimètres de son épaule. Il roula derrière une pile de caisses abandonnées, ses mouvements rapides mais précis. Son esprit travaillait à toute vitesse.
Un coup de feu résonna, et Mikael s’effondra lourdement au sol, une tache rouge sombre s’élargissant sur sa poitrine. Valdemar le fixa une seconde, observant les convulsions de son corps. Aucun mot, aucun soupir ne vint. *Traître ou victime ?* La question resterait sans réponse.
Les assaillants, une demi-douzaine d’hommes armés et cagoulés, se dispersaient dans l’entrepôt, leurs voix basses se mêlant aux échos de leurs pas. Valdemar amorça son plan de survie. Désarmé, il attrapa une barre métallique abandonnée près de sa cachette et attendit, son souffle contrôlé malgré l’adrénaline.
L’un des hommes contourna la pile de caisses. Valdemar émergea comme une ombre, abattant la barre avec une précision brutale. Le craquement sourd d’un crâne fracturé retentit, suivi d’un bruit mat lorsque le corps s’effondra.
Il ne put célébrer cette victoire. Un deuxième assaillant l’attaqua par-derrière, frappant violemment son abdomen avec la crosse d’un fusil. Valdemar plia sous l’impact, mais sa force brute prit le dessus. Il attrapa l’homme, le projetant au sol avant de lui briser la trachée d’un coup de poing net.
Une douleur fulgurante lui coupa soudain le souffle. Une lame froide s’enfonça dans son flanc gauche. Ses muscles se raidirent alors qu’un cri silencieux se forma dans sa gorge. Il se retourna, repoussant son agresseur d’un coup de coude désespéré. Le sang coulait déjà, imbibant sa chemise et rendant ses mouvements plus lourds.
Il vacilla légèrement mais se força à rester debout. Autour de lui, les assaillants se regroupaient. Leur chef, un homme massif vêtu de noir, s’avança lentement.
« Valdemar Sørensen, » dit-il d’une voix rauque et moqueuse. « Le grand Jarl réduit à cela. Ton règne touche à sa fin. »
Les mots frappèrent fort, mais Valdemar ne cilla pas. Ses yeux perçants fixèrent son adversaire.
« Qui t’envoie ? » grogna-t-il, serrant sa plaie pour tenter de ralentir l’hémorragie.
Un rictus se dessina sous le masque. « Tu le sais déjà. »
Ce ton, cette assurance. Sigurd. Le nom brûla dans son esprit, mais il le repoussa. Ce n’était pas encore le moment d’affronter cette vérité.
Dans un dernier élan de volonté, il saisit un éclat de verre au sol et le lança précisément. La lame improvisée s’enfonça dans la gorge de l’un des hommes, qui s’effondra dans un gargouillement. Cet instant de chaos fut suffisant pour permettre à Valdemar de s’échapper.
Il tituba vers une sortie latérale, chaque pas un supplice. Dehors, l’air nocturne semblait encore plus glacé, la brume épaisse rendant chaque repère visuel flou.
Ses forces diminuaient rapidement. Ses bottes traînaient sur le gravier humide, laissant des traces rouges derrière lui. Un vertige le prit, brouillant sa vision. Pourtant, il continua. Toujours en avant. Toujours debout.
Enfin, il aperçut les lumières d’une rue animée au loin. Elles vacillaient comme un mirage, mais elles étaient sa seule chance.
À bout de forces, il atteignit le trottoir. Son corps s’effondra lourdement, le béton froid contre sa joue contrastant avec la chaleur poisseuse de son sang. Avant que l’obscurité ne l’engloutisse complètement, une dernière pensée, presque un serment, traversa son esprit : *La trahison m’atteint, mais elle ne m’abattra pas.*