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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Tensions Croissantes


Valdemar Sørensen

Les pas de Valdemar résonnaient dans les couloirs du manoir, rythmés, mesurés, mais lourds d’une tension contenue. Les murs ornés de boucliers anciens et de lames émoussées, vestiges d’un temps où les batailles se déroulaient à ciel ouvert et non dans l’ombre de la trahison, semblaient presque se refermer sur lui. En lui, la colère bouillonnait encore à propos des provocations subtiles mais calculées de Sigurd. Pourtant, ce n’était pas le moment de céder à des instincts impulsifs. Les enjeux étaient bien trop importants. Il savait que chaque regard, chaque mot échangé lors de cette réunion laissait une empreinte durable sur son autorité.

Il s’arrêta devant une fenêtre étroite, le regard perdu dans la nuit tombante. Au loin, les lumières de la ville scintillaient, froides et indifférentes. Ici, dans cet héritage familial étouffant, il portait sur ses épaules les attentes de générations passées et la menace de celles à venir. Il inspira profondément, cherchant à calmer le tumulte de son esprit.

Un cri retentit depuis la cour intérieure, attirant son attention. Il descendit rapidement l’escalier de pierre, franchissant les grandes portes de bois massif qui menaient à l’extérieur. Là, sous un ciel bas et chargé de nuages, les membres du clan s’entraînaient. La cour, éclairée par des torches plantées dans le sol, était un espace de terre battue où la violence se mêlait à une discipline rigoureuse.

Valdemar observa en silence les mouvements des hommes et des femmes. Certains s’affrontaient dans des combats au corps à corps, d’autres maniaient les armes sous l’œil attentif de Harald, un guerrier expérimenté et loyal lieutenant. Harald, un homme massif à la barbe grisonnante et aux mains calleuses, aboyait des ordres, corrigeant les postures, exigeant plus d’efforts, plus de précision.

« La lame n’est efficace que si celui qui la tient sait où frapper ! » tonna Harald en frappant du plat de son épée contre le sol.

Valdemar croisa les bras, scrutant chaque mouvement, chaque visage. La loyauté du clan Sørensen ne se mesurait pas seulement à leurs mots ou leurs actes de soumission. Elle se mesurait ici, dans leur capacité à se battre pour lui, à défendre ce qu’ils possédaient. Mais même ces démonstrations de force ne pouvaient apaiser la méfiance qui s’insinuait dans les rangs.

Un éclat de voix attira soudain son attention. Deux jeunes recrues, Kjell et Marius, s’affrontaient dans un duel d’entraînement, mais leur conflit dépassait les règles imposées par Harald. Kjell s’élança avec une brutalité excessive, manquant de blesser sérieusement Marius, qui réagit avec une hostilité égale. Les torches vacillèrent alors que les deux hommes roulaient à terre, échangeant des coups désordonnés.

« Assez ! » tonna Harald, s’interposant d’un geste ferme et séparant les deux combattants d’une prise autoritaire.

Valdemar s’avança, dominant rapidement la scène. Son regard perçant fit taire les murmures qui s’élevaient autour de la cour.

« Expliquez-vous, » ordonna-t-il d’une voix froide.

Kjell baissa les yeux, visiblement envahi par une honte mêlée de colère. « Il m’a accusé de ne pas être digne de porter les couleurs du clan, Jarl. »

Marius tenta de se justifier, mais Valdemar leva une main pour l’interrompre.

« Vos querelles personnelles n’ont aucune place ici. » Son ton était glacial, chaque mot porté par une autorité implacable. « Si l’un de vous doute de la loyauté de l’autre, qu’il le prouve sur le champ, devant moi. Sinon, reprenez vos armes et entrainez-vous comme des frères. »

Un silence de plomb s’installa. Après un moment, Kjell et Marius récupérèrent leurs armes et se remirent en position, plus disciplinés cette fois. Valdemar détourna les yeux, mais l’incident continua à le hanter. La méfiance se propageait comme une maladie, même parmi les plus jeunes.

Harald s’approcha de Valdemar, essuyant la sueur de son front du revers de la main. « Jarl, ils s’améliorent, mais… certains manquent encore d’endurance. »

Valdemar hocha la tête, ses yeux perçants fixant un jeune homme maladroit et hésitant dans ses frappes. « Celui-là, comment s’appelle-t-il ? »

« Erik, fils de Thorsten. Il est encore jeune, mais prometteur. »

« Alors qu’il promette moins et qu’il prouve plus. Le port ne sera pas défendu par des promesses. »

Harald acquiesça, un sourire en coin. Valdemar se détourna, mais pas avant d’avoir vu un mouvement dans l’ombre des murailles.

Sigurd.

Appuyé nonchalamment contre une colonne de pierre, les bras croisés, il observait la scène. Le sourire narquois qu’il arborait piqua Valdemar comme une lame. Il s’approcha, ses pas lourds écrasant les graviers sous ses bottes.

« Frère, toujours en observation ? » lança Valdemar, sa voix contrôlée mais empreinte d’une froideur palpable.

Sigurd haussa un sourcil, se redressant légèrement. « Observer est parfois plus révélateur qu’agir. Tu devrais essayer. »

Valdemar serra les mâchoires, mais ne mordit pas à l’hameçon. « Et qu’as-tu appris en observant ? »

Sigurd haussa les épaules, comme si la réponse était évidente. « Que la force brute a ses limites. Mais ce n’est pas ce qui m’inquiète. C’est la peur. Elle se répand, doucement, subtilement, parmi nos gens. Et tu sais aussi bien que moi qu’une peur mal gérée est plus dangereuse qu’un ennemi déclaré. »

La tension monta d’un cran. Sigurd ne feignait même plus d’être subtil. Valdemar s’approcha, réduisant la distance entre eux, ses yeux gris-bleu fixant intensément ceux de son frère.

« La peur n’a sa place que chez ceux qui manquent de foi. Si elle existe, c’est à cause des paroles d’empoisonneurs. »

Sigurd sourit, un sourire qui ne monta pas jusqu’à ses yeux. « Peut-être. Ou peut-être est-ce que ta vision rigide du leadership commence à s’effriter. Après tout, même les murs les plus solides finissent par céder sous la pression du temps. »

Cette fois, Valdemar ne répondit pas. Il savait que Sigurd cherchait à le pousser à bout, à le forcer à une réaction qui pourrait entacher son autorité. Il s’écarta de son frère, laissant le silence sceller leur échange. Mais la graine du doute, plantée par les mots de Sigurd, continuait de germer.

Plus tard dans la soirée, après avoir quitté la cour et la présence suffocante de son frère, Valdemar regagna son bureau. Une pièce sombre, éclairée par une seule lampe à huile, où les murs étaient couverts de cartes et de notes stratégiques. Sur son bureau trônait un carnet ouvert, rempli d’écrits codés détaillant les opérations du clan.

Il se servit un verre d’Aquavit, le liquide clair brûlant sa gorge alors qu’il s’asseyait dans le fauteuil en cuir usé. Le silence de la pièce était presque assourdissant après le chaos de la cour.

C’est à ce moment qu’un coup discret se fit entendre à la porte.

« Entrez. »

Un jeune homme apparut, visiblement nerveux. Il tenait dans ses mains une enveloppe, scellée d’un cachet rouge.

« Jarl, ceci est arrivé pour vous. Aucun expéditeur, juste… ceci. »

Valdemar prit l’enveloppe, congédiant le messager d’un geste de la main. L’insigne sur le cachet attira immédiatement son attention. Une rune gravée dans la cire rouge : *Raidho*, symbole de voyage, de mouvement, mais aussi de destin.

Il brisa le cachet et déplia le papier. Les mots inscrits étaient courts, mais leur impact, immense :

« Le plus proche de toi est celui qui portera le coup. Prépare-toi. »

Valdemar relut les mots plusieurs fois, son esprit tournant à toute vitesse. Cela confirmait ce qu’il soupçonnait déjà : une trahison imminente, orchestrée de l’intérieur. Sigurd ? Ou un autre ? Il passa en revue mentalement les événements récents, se demandant si l’un des incidents de la soirée pouvait fournir un indice.

Il serra le papier dans son poing avant de le jeter dans la cheminée, où les flammes dévoraient rapidement le message. Quoi qu’il arrive, il ne montrerait pas ses doutes. La force, la loyauté, la vision. Voilà ce qui soutenait son pouvoir. Mais désormais, il savait une chose avec certitude.

Le danger était bien plus proche qu’il ne l’avait imaginé.