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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 1Bienvenue à Crestview


Sophie Lane

La silhouette déchiquetée du pénitencier de Crestview se découpait sur un ciel gris ardoise alors que Sophie Lane arrivait pour son service. Les murs de béton de la prison, striés de taches d’humidité et marqués par les décennies de négligence, s’élevaient comme une forteresse à la lisière de la forêt environnante. Sophie gara sa voiture sur le parking en gravier, les pneus crissant doucement dans le calme du matin. Elle ajusta le bracelet argenté à son poignet, le pendentif gravé du mot « Espoir » froid contre sa peau. Ce geste était devenu pour elle un rituel, une manière de se recentrer avant de pénétrer dans ce monde d’acier, de béton et de tension. Elle fit glisser le bijou sous sa manche, une promesse silencieuse à elle-même de ne jamais perdre de vue ce qu’il représentait.

Une tour de garde dominait les portes principales, et la silhouette distante du gardien posté en haut lui jeta un regard rapide et indifférent avant de reprendre sa vigilance sur les alentours. Sophie franchit le premier poste de contrôle de sécurité, se pliant à la fouille de routine avec une expression neutre. Le détecteur de métaux émit un bip strident, mais l’agent en poste, après un rapide coup d’œil à son badge d’identification, la laissa passer. Le dernier portail s’ouvrit avec le cliquetis familier de sa carte magnétique, un bruit qui résonnait faiblement dans le couloir au-delà, semblable à un avertissement lointain. La lourde porte se referma dans un grincement derrière elle, l’enfermant dans le monde qu’elle avait délibérément choisi d’affronter.

Le bloc cellulaire s’étirait devant elle, une artère ombragée pulsant d’une tension contenue. Des rangées de portes métalliques bordaient le couloir étroit, chacune ornée d’une petite ouverture rectangulaire destinée aux plateaux-repas. L’air était saturé d’un mélange oppressant d’odeurs de sueur, de désinfectant et de rouille, une combinaison à laquelle Sophie s’était depuis longtemps habituée. Au-dessus d’elle, les néons grésillaient et vacillaient à intervalles irréguliers, projetant des ombres dansantes sur le sol de béton fissuré. Des murmures et des voix s’élevaient derrière les portes d’acier, montant et descendant, créant une symphonie fragmentée semblable à celle d’une ruche agitée.

« Lane ! » Une voix sèche perça le brouhaha ambiant, tirant Sophie brusquement de ses pensées.

L’agent Mark Daniels s’avança dans le couloir, ses lourdes bottes martelant le sol avec une autorité calculée. Son uniforme, impeccable et immaculé, contrastait nettement avec l’état délabré de l’établissement. Sa coupe militaire et ses yeux gris perçants lui donnaient l’air d’un homme qui aimait avoir le contrôle absolu. Instinctivement, Sophie redressa la tête, sa main effleurant le trousseau de clés accroché à sa ceinture.

« Tu es en retard », aboya Daniels en s’arrêtant à quelques pas d’elle.

D’un coup d’œil, Sophie vérifia l’horloge au-dessus du poste de garde—il lui restait encore cinq minutes avant le début officiel de son service. Gardant un visage impassible, elle soutint le regard de Daniels. « Je suis arrivée à l’heure, monsieur. »

Le froncement de sourcils de Daniels s’intensifia, creusant davantage les rides sur son front. « Être à l’heure, ce n’est pas être en avance, et être en avance, c’est ce que j’attends. On dirait que la ponctualité n’est pas ton point fort, Lane. » Son ton était mordant, calculé pour piquer.

« Oui, monsieur », répondit Sophie calmement, sa voix ferme mais posée, refusant de se laisser déstabiliser.

Daniels la dévisagea un instant de plus, comme s’il cherchait une faille dans son calme. Puis, d’un geste brusque de la main, il s’écarta. « Va dans la cour. Torres et les autres sont là-bas. Essaie de les empêcher de s’entretuer. »

« Oui, monsieur », répéta Sophie, son ton toujours égal. Elle ignora l’envie de lever les yeux au ciel en passant devant lui.

La cour s’étendait devant elle, nue et austère sous le ciel gris du matin. L’asphalte craquelé courait jusqu’aux hautes clôtures en mailles de chaîne surmontées de fils barbelés, le bruissement lointain de la forêt à peine audible sous le murmure constant des détenus. Le vent froid caressait ses cheveux, apportant avec lui une odeur subtile de terre humide et de décomposition. De petits groupes de détenus parsemaient la cour, leurs gestes calculés et tendus, tels des animaux engagés dans une trêve fragile. Le cliquetis de pas sur l’asphalte résonnait par intermittence, ponctuant le grondement bas des conversations.

Miguel Torres se tenait près du bord de la cour, les mains enfouies dans les poches de son uniforme. Son calme et sa vigilance lui donnaient une aura différente de l’agitation générale. Il parlait doucement à deux jeunes détenus, son langage corporel détendu mais empreint d’autorité. Sophie se dirigea vers lui, son regard scrutant la cour à la recherche de tout signe potentiel de problème.

Miguel remarqua son arrivée et inclina légèrement la tête en guise de salut. « Agent Lane », dit-il, sa voix chaleureuse malgré l’atmosphère tendue. « Encore un matin à survivre à Daniels, je vois. »

Sophie se permit un léger sourire, bref mais sincère, avant de reprendre un ton professionnel. « À peine. Comment ça se passe ici ? »

Le regard de Miguel se dirigea vers un groupe rassemblé près de la clôture, où les voix s’élevaient légèrement au-dessus du brouhaha ambiant. « Les esprits s’échauffent aujourd’hui. Peut-être à cause du temps. Ou juste la routine. » Une expression fugace, presque imperceptible, traversa son visage, mais il la masqua rapidement.

« Garde un œil sur eux pour moi », dit Sophie, ses mots teintés de respect. Miguel avait une capacité presque instinctive à lire les tensions naissantes de la cour—une qualité que même les gardiens les plus expérimentés lui enviaient.

« Toujours. » Il bougea subtilement, sa main frôlant le minuscule tatouage d’une colombe à l’intérieur de son poignet dans un geste apparemment inconscient. Le regard de Sophie s’attarda un instant sur le dessin délicat, en contraste frappant avec la peau marquée de Miguel.

Un éclat de voix rompit brusquement la fragile quiétude. Sophie se tourna vers la source pour voir deux détenus se faisant face près de la clôture, leurs postures tendues d’hostilité. Une petite foule s’assemblait déjà autour d’eux, les murmures se transformant en une agitation croissante. La tension devint palpable, faisant monter l’adrénaline de Sophie. Mais elle garda le contrôle, avançant avec une urgence mesurée vers la scène.

« Séparez-vous ! » ordonna-t-elle d’une voix forte et autoritaire en se frayant un chemin dans le cercle de spectateurs. La foule hésita, reculant juste assez pour qu’elle puisse passer.

Les deux hommes s’immobilisèrent, les poings à demi levés. L’un d’eux, un homme maigre à la barbe clairsemée, se tourna avec un ricanement moqueur dans sa direction.« Qu’est-ce qui ne va pas, Lane ? » lança-t-il d’un ton traînant. « Tu as peur qu’on gâche ta petite promenade du matin ? »

Sophie ne broncha pas. Elle s’avança, ses yeux fixant les siens avec une intensité calme. « Non, » répondit-elle d’un ton posé, « mais j’ai peur que vous gâchiez vos chances de finir la journée hors de l’isolement. Calmez-vous. »

Le sourire narquois du détenu vacilla, sa bravade fléchissant sous son regard inébranlable. Il jeta un coup d’œil à son adversaire — un jeune homme avec une lèvre éclatée — avant d’abaisser ses poings. Le jeune homme imita le geste à contrecœur, bien que son regard furieux persista. Sophie se plaça entre eux, sa présence formant une barrière silencieuse.

« Retournez à vos groupes, » dit-elle d’un ton qui ne laissait aucune place à la discussion. « Maintenant. »

La tension resta suspendue un instant avant que la foule ne commence à se disperser, des murmures et des pas traînants remplissant le vide. Les doigts de Sophie effleurèrent le pendentif de son bracelet sous sa manche, le métal froid l’ancrant alors que l’adrénaline retombait.

Miguel croisa son regard alors qu’elle se retournait vers le centre de la cour. « Bien joué, » dit-il, sa voix suffisamment basse pour qu’elle seule puisse l’entendre. « Tout le monde n’aurait pas fait comme toi. »

Sophie haussa légèrement les épaules, bien que son ton trahît une pointe de lucidité. « Ça fait partie du boulot. »

Miguel inclina la tête, son regard posé et réfléchi. « Pas la partie qui intéresse la plupart des gens. »

Avant que Sophie ne puisse répondre, l’alarme stridente de la cour retentit, dispersant les détenus vers les portes des blocs cellulaires. Ils avançaient en lignes lâches et irrégulières, leurs grognements s’estompant alors que la tension se dissipait lentement. Sophie suivit à l’arrière, scrutant les groupes à la recherche de signes persistants d’agitation.

De retour au poste de garde, Daniels s’appuyait nonchalamment contre l’encadrement de la porte, les bras croisés. Le sourire sur son visage n’avait rien d’amical.

« Tu as géré cette petite dispute dans la cour, hein ? » demanda-t-il, son ton dégoulinant de condescendance.

« Oui, » répondit Sophie calmement, soutenant son regard sans vaciller.

Daniels ricana sombrement, se plaçant sur son chemin. « T’as eu de la chance que ça n’ait pas dégénéré. La prochaine fois, ne perds pas de temps à parler. Fais-les taire direct. »

La mâchoire de Sophie se crispa, mais elle garda un ton posé. « Je les ai calmés, » dit-elle. « Sans que personne ne soit blessé. »

Le sourire de Daniels s’effaça, remplacé par une lueur froide dans ses yeux. L’air entre eux semblait vibrer d’une tension non dite. Puis il se décala, son expression indéchiffrable.

« Souviens-toi juste, Lane, » dit-il alors qu’elle passait. « Cet endroit n’est pas fait pour se faire des amis. C’est pour maintenir l’ordre. N’oublie pas où va ta loyauté. »

Sophie ne répondit pas. Elle poussa la porte et entra dans le poste, le léger bourdonnement des moniteurs obsolètes emplissant la pièce. Elle s’assit sur sa chaise, laissant échapper un soupir discret, ses doigts retrouvant le bracelet sous sa manche.

Ce n’était pas le travail qu’elle avait imaginé lorsqu’elle avait franchi pour la première fois les portes de Crestview, le cœur rempli d’optimisme et l’esprit brûlant d’espoir de faire une vraie différence. Son regard tomba sur le rapport devant elle — un récit sec et clinique de l’incident qu’elle venait de résoudre sans violence. Les mots se brouillèrent un instant alors que la voix de sa mère résonnait doucement dans son esprit :

L’espoir, avait dit sa mère. Parfois, c’est tout ce dont tu as besoin pour faire une différence.

Sophie n’était plus sûre d’y croire. Mais en remettant en ordre le papier et en commençant à écrire, elle savait une chose : elle n’était pas encore prête à abandonner.