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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Silence Brisé


Éléonore "Léo" Duval

Le tintement des cuillères contre les tasses à café résonnait comme un écho mécanique dans l’air oppressant du cabinet d’avocats. Éléonore "Léo" Duval, vêtue d’un tailleur gris clair impeccable, traversa le hall désert, ses escarpins claquant sur le sol en marbre poli. La lumière crue des néons accentuait les ombres sous ses yeux, vestiges d’une nuit sans sommeil hantée par les images de la soirée précédente : le regard perçant d’Alejandro Carrera, les murmures nerveux d’Ortiz, les silhouettes dans la brume parisienne. Chaque détail semblait désormais charger l’atmosphère d’une tension sourde, presque palpable.

Les murmures des conversations de couloir, d’ordinaire omniprésents, avaient disparu. Le silence, inhabituel et pesant, lui glaçait la nuque. Quelque chose clochait. Léo fronça les sourcils lorsqu’elle aperçut un groupe d’assistants rassemblés près de la salle de réunion principale, leurs visages tendus et leurs chuchotements inquiets s’éteignant à son approche.

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda-t-elle d’un ton sec, son regard balayant le groupe.

Un jeune stagiaire, visiblement mal à l’aise, déglutit avant de répondre. « C’est… aux informations, madame Duval. Rafael Ortiz… Il est mort. Assassiné. »

Léo sentit son souffle se couper, comme si l’air venait de quitter ses poumons. L’image d’Ortiz, debout près du bar avec son sourire crispé et ses confidences menaçantes, la frappa de plein fouet. Une vague de pensées contradictoires l’envahit : était-ce un règlement de comptes ? Une mise en garde ? Et pourquoi ressentait-elle soudain ce mélange étrange de peur et de culpabilité ?

« Où avez-vous entendu ça ? » Sa voix était basse, mais tranchante comme une lame.

« La police est venue. Ils ont demandé à vous voir, madame… »

Léo se tendit, ses doigts se crispant sur la lanière de son sac à main. Comme pour confirmer les propos du stagiaire, deux silhouettes en uniforme apparurent au bout du couloir. En tête, une femme petite mais imposante, cheveux blond cendré attachés et regard perçant : Clémence Girard.

Léo reconnut immédiatement l’inspectrice, en partie grâce à son dossier médiatique. Girard était redoutée pour sa détermination et sa ténacité, une réputation qu’elle portait comme une armure. L’ombre d’un sourire sans chaleur effleura les lèvres de l’inspectrice lorsqu’elle s’arrêta devant Léo.

« Madame Duval, » commença Girard d’un ton neutre, mais avec une pointe d’ironie. « Nous avons quelques questions pour vous. Si vous voulez bien nous suivre. »

Les autres assistants s’éloignèrent brusquement, comme si la simple présence de la police les rendait complices. Léo sentit leur regard peser sur elle alors qu’elle inspirait profondément pour conserver son calme.

« Je vous suis, » répondit-elle d’un ton égal, maîtrisant la tension dans sa voix.

***

La salle d’interrogatoire était froide et impersonnelle. L’odeur du café mauvais et des cigarettes récentes flottait dans l’air, mais Léo n’y prêta pas attention. Ses mains reposaient sur la table métallique, ses doigts entrelacés avec une précision presque mécanique. Elle avait traversé des centaines de situations tendues au tribunal, mais celle-ci était différente. Elle était de l’autre côté.

Girard, assise en face d’elle, feuilletait un dossier avec une lenteur calculée, chaque page tournée résonnant dans le silence. Léo, elle, contrôlait sa respiration, rythmant chaque inspiration pour contenir l’orage qui grondait sous la surface.

L’inspectrice leva enfin les yeux, sa posture détendue contrastant avec la tension évidente de la situation.

« Alors, madame Duval, » commença-t-elle d’un ton faussement aimable, presque suffisant. « Cela doit être un choc d’apprendre que votre client, Rafael Ortiz, a été retrouvé mort ce matin. »

Léo soutint son regard, refusant de flancher. « En effet. Mais je doute être ici pour exprimer mes condoléances. »

Un sourire dur effleura les lèvres de Girard. « Non, évidemment. Vous êtes ici parce que votre nom revient de manière assez… intéressante dans cette affaire. »

Léo arqua un sourcil. « Je vous écoute. »

Girard posa les coudes sur la table, se penchant légèrement vers elle. « Ortiz a été retrouvé dans un entrepôt abandonné à quelques kilomètres de la ville. Une balle dans le crâne. Le genre d’exécution qui ne laisse pas beaucoup de place au doute sur la nature de ses affaires. »

Léo resta impassible, mais ses doigts se contractèrent brièvement avant de se relâcher.

« Et voici où cela devient fascinant, » poursuivit Girard, ses yeux brillant d’une lueur calculatrice. « Une lettre manuscrite a été trouvée près de son corps, mentionnant votre nom. »

Léo sentit un frisson glacé remonter le long de sa colonne vertébrale. « Une lettre ? »

« Oui, » répondit Girard, savourant visiblement le malaise de Léo. « Ortiz semblait se méfier de vous. Il vous accusait de vouloir le trahir. Une écriture nerveuse, presque rageuse… Intéressant, non ? »

Léo plissa les yeux, repassant mentalement la soirée de la veille. Pourquoi aurait-il laissé une lettre incriminant son propre avocat ? Était-ce un piège ? Et si cette écriture n’était même pas celle d’Ortiz ?

« Vous n’avez aucune preuve que cette lettre est authentique, » rétorqua Léo d’une voix ferme. « Ortiz n’était pas mon seul client. Accuser son propre avocat, c’est une stratégie classique pour détourner les soupçons. »

Girard esquissa un sourire, plus froid encore. « Peut-être. Mais cela soulève tout de même des questions, n’est-ce pas ? Vous avez été vue à une soirée avec Ortiz hier soir. Et aujourd’hui, il est mort. Une coïncidence ? »

Léo se força à rester immobile, ses mains toujours entrelacées. « Mon travail m’amène à interagir avec des individus peu recommandables. Vous le savez autant que moi. Mais cela ne fait pas de moi une meurtrière. »

Le silence s’étira. Girard sembla peser ses options, puis se redressa. « Pour l’instant, nous n’avons pas assez pour vous retenir. Mais ne vous éloignez pas de Paris, madame Duval. Nous pourrions avoir d’autres questions à l’avenir. »

***

Quelques heures plus tard, Léo se trouvait seule dans son appartement. Les rideaux tirés n’arrêtaient pas la lumière grise et morne de la journée. Elle n’avait pas touché à la tasse de thé refroidie devant elle. Son esprit tournait à plein régime, jonglant avec les souvenirs, les indices, et les implications.

Elle repensa à Alejandro Carrera. L’homme mystérieux de la soirée. Ses paroles voilées et son avertissement résonnaient dans son esprit. Était-il impliqué ? Ou savait-il déjà ce qui allait arriver ?

Rafael Ortiz était un homme dangereux, mais sa mort soulevait plus de questions qu’elle n’apportait de réponses. Léo savait qu’elle devait trouver qui tirait les ficelles derrière les apparences. Et pour cela, il lui fallait des alliés, ou du moins des informations.

Elle se leva, traversant la pièce pour ouvrir un tiroir dissimulé dans son bureau. À l’intérieur, une clé USB soigneusement cachée entre des papiers anodins. Elle l’avait conservée comme une précaution, un fragment des dossiers d’Ortiz qu’elle avait récupérés par pure prudence.

« Si quelqu’un a voulu l’éliminer, » murmura-t-elle pour elle-même, « alors les réponses se trouvent quelque part ici. »

Le bruit soudain d’une voiture s’arrêtant devant son immeuble interrompit ses pensées. Léo resta immobile, écoutant attentivement. Des bruits de pas lourds résonnèrent dans la cage d’escalier, se rapprochant. Une odeur de fumée âcre monta à travers les interstices de la porte.

Elle sentit son cœur s’accélérer, chaque battement résonnant dans ses oreilles comme un avertissement.

Quelqu’un venait pour elle.