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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Secrets dans l’Ombre


Léa Morel

Une sueur froide perlait sur ma nuque alors que je me redressais d’un bond dans mon lit, le cœur battant à tout rompre. La chambre du Manoir des Morel était plongée dans la pénombre de l’aube, une lumière blafarde filtrant à travers les rideaux épais, projetant des ombres longues et sinistres sur les murs de pierre. Les craquements incessants du vieux bois résonnaient comme des murmures, et je ne pouvais m’empêcher de sentir le poids des regards fixes des portraits accrochés dans le couloir – ces femmes de ma lignée, avec leurs yeux perçants, semblaient me surveiller, juger chaque frisson qui parcourait ma peau. La nuit précédente me hantait encore : ce cauchemar de crocs luisants, d’yeux dorés affamés, et cette lune rouge sanglante qui m’avait engloutie. Et puis, il y avait eu cette lueur dans mon reflet, ce scintillement argenté dans mes yeux verts, comme si une part de moi que je ne connaissais pas s’était réveillée.

Je portai une main tremblante à mon poignet gauche, là où une chaleur étrange persistait, inexplicable, comme un écho des hurlements qui m’avaient tirée de mon sommeil. « Qu’est-ce qui m’arrive ? » murmurai-je, ma voix frêle se perdant dans le silence oppressant. Les contes de ma grand-mère tournaient en boucle dans mon esprit – des histoires de loups marchant comme des hommes, de malédictions scellées sous des lunes de sang, d’un pouvoir à la fois divin et maudit qui coulait dans le sang des femmes Morel. J’avais toujours cru que c’étaient des fables, des récits pour effrayer les enfants. Mais maintenant ? Une peur sourde me nouait les entrailles, mêlée à une détermination que je ne comprenais pas encore. Je devais savoir. Je ne pouvais plus ignorer cet appel qui semblait vibrer dans mes os.

Sans réfléchir, je rejetai les couvertures, enfilai un châle usé autour de mes épaules et glissai mes pieds dans des bottes. Le parquet glacial mordit ma peau à travers mes chaussettes fines, mais je l’ignorai. Si des réponses existaient, elles étaient ici, dans ces murs qui semblaient porter des secrets aussi lourds que la pierre elle-même. Je quittai ma chambre, mes pas résonnant dans le couloir désert, et descendis l’escalier en colimaçon vers la bibliothèque, un lieu où l’odeur de vieux papier et de cire flottait comme un parfum d’oubli. Les étagères massives, remplies de volumes anciens, s’élevaient jusqu’au plafond, et la lumière pâle de l’aube peinait à percer l’obscurité. Mon regard balaya la pièce, guidé par une intuition que je ne pouvais nommer, jusqu’à ce qu’il se pose sur un bureau massif dans un coin. Un tiroir, presque invisible, semblait m’appeler.

Mes doigts tremblèrent en tirant sur la poignée, révélant un journal à la couverture de cuir usé, gravé de motifs lunaires qui faisaient étrangement écho à ceux de mon médaillon. Je l’ouvris, le cœur battant, et l’écriture serrée de ma grand-mère s’étala sous mes yeux, chaque mot chargé d’une gravité qui me coupa le souffle. « La malédiction lie notre lignée aux loups-garous depuis des siècles, » lisait une ligne. « Le pouvoir de curatrice peut plier leur volonté, mais il est un fardeau autant qu’un don. » Une phrase, plus bas, me frappa comme un coup de poignard : « Le Sang d’Argent s’éveille sous la lune, mais il exige un prix. » Mes doigts, crispés sur les pages jaunies, tremblaient. Fascination et effroi se mêlaient en moi, une tempête intérieure qui faisait vaciller ma respiration. « Qu’est-ce que je suis censée devenir ? » murmurai-je, ma voix brisée. La texture rugueuse du papier sous mes doigts, la froideur du médaillon contre ma poitrine – tout semblait amplifier ce moment, comme si le passé lui-même me touchait.

Je m’effondrai dans un fauteuil près de la fenêtre, le journal serré contre moi, et fixai l’horizon où la Forêt d’Hexenberg s’étendait, impénétrable et sombre, ses pins noirs griffant le ciel. Chaque nuit, les hurlements qui en montaient semblaient plus proches, plus insistants, comme s’ils m’appelaient par mon nom. Ce matin encore, un cri guttural résonna, vibrant jusque dans ma poitrine, et un désir inexplicable s’éveilla en moi – un besoin primal de courir vers ces ombres, de répondre à cet appel sauvage. Mais la peur me paralysait, nouant mes entrailles. Je saisis un carnet et un crayon sur le bureau, griffonnant mes pensées comme pour les exorciser. « Mon cœur est une bête en cage cherchant la clé de sa liberté, » écrivis-je, les mots reflétant une vérité que je commençais à peine à accepter. Une part de moi, sauvage et indomptée, se réveillait, et je luttais pour la tenir en laisse. Le silence du manoir, brisé seulement par le souffle du vent contre les vitres, semblait murmurer autour de moi, comme si les ombres elles-mêmes connaissaient mon secret.

Les heures défilèrent, et la nuit tomba à nouveau, plus lourde encore. J’étais toujours dans la bibliothèque, plongée dans le journal, une bougie vacillante projetant des ombres dansantes sur les murs, lorsque un bruit sourd retentit dans le hall. Ce n’était pas un craquement du manoir – c’était trop lourd, trop délibéré. Mon pouls s’accéléra, et je glissai le journal sous un coussin avant de saisir un vieux tisonnier, mes doigts crispés autour du métal froid. La porte s’ouvrit avec un grincement, et une silhouette imposante se découpa dans l’obscurité. L’odeur de cuir et de forêt sauvage envahit la pièce avant même que je ne voie ses yeux – d’ambre, brillant d’une intensité brutale, presque animale. Kyle Varn. Mon souffle se bloqua dans ma gorge, mais je tins bon, levant le tisonnier comme une barrière dérisoire.

« Qu’est-ce que tu fais ici ? » lançai-je, ma voix montant en intensité malgré la peur qui me serrait le cœur. « Sors de chez moi. »

Il avança d’un pas, sa présence emplissant l’espace, écrasante. Sa voix, grave et rauque, résonna comme un grondement. « Je suis ici pour briser ce qui ne devrait pas exister. » Ses mots étaient lourds, chargés d’une menace que je ne comprenais pas encore, mais son regard, fixé sur moi, semblait me déshabiller, me voir au-delà de ma peau. La terreur se mêlait à une chaleur traîtresse qui montait en moi, et je haïssais mon corps pour cette réaction.

« De quoi parles-tu ? » demandai-je, tentant de garder un ton ferme. « Je ne suis rien pour toi. »

Un rictus dur étira ses lèvres, et il s’approcha encore, son souffle effleurant presque mon visage. « Tu es une curatrice, Léa. Je le sens. Et un lien se forme entre nous, un lien dangereux. Il faut qu’on le coupe. Maintenant. » Il tendit une main, comme pour saisir la mienne, mais je reculai, mon dos heurtant le bureau. Il parla d’un rituel interdit, une vieille magie pour rompre toute connexion. Mon instinct hurlait de refuser – céder, c’était perdre quelque chose de moi, quelque chose que je ne comprenais pas encore mais qui m’appartenait. Pourtant, sa proximité, la chaleur de son corps, le grondement bas de sa voix… tout cela faisait vibrer une corde en moi que je voulais désespérément ignorer.

« Non, » lâchai-je, le mot plus dur que je ne l’avais prévu. « Je ne ferai rien de ce que tu veux. »

Ses yeux s’assombrirent, une lueur de frustration – ou de désir ? – y passant. Contre toute raison, il insista, et dans un moment de faiblesse, je le laissai tracer un symbole sur le sol avec une lame qu’il sortit de sa veste. Mais le rituel échoua. Un éclat de lumière argentée jaillit, aveuglant, et une douleur aiguë me transperça le poignet gauche. Je poussai un cri, et Kyle grogna, son propre poignet serré dans sa main. Quand je baissai les yeux, une cicatrice en croissant de lune marquait ma peau, pulsant comme un cœur vivant. La même marque brillait sur sa peau à lui, et un frisson d’horreur – et de fascination – me traversa.

« Qu’est-ce que c’est ? » murmurai-je, reculant, ma voix tremblante. Kyle fixa la marque, son visage fermé, mais une émotion brute passa dans son regard.

« Tu ne peux pas fuir ce que tu es, Léa, » grogna-t-il, son ton provocateur, presque un défi. « Pas plus que moi. »

« Je n’appartiens à personne, » rétorquai-je, la colère montant pour masquer ma peur. « Surtout pas à toi. » Mais ma voix vacilla, trahissant l’hésitation qui me rongeait. La tension entre nous était palpable, électrique, amplifiée par la chaleur de sa présence, la manière dont ses yeux suivaient chacun de mes mouvements, comme un prédateur étudiant sa proie – ou quelque chose de plus intime, de plus dangereux. Je refusais d’admettre l’attirance qui me brûlait, mais elle était là, sournoise, enracinée dans chaque regard, chaque mot.

Il toucha sa cicatrice, un geste presque tendre, et murmura, si bas que je faillis ne pas l’entendre : « Liés, maintenant. Que ça nous plaise ou non. » Puis, sans un mot de plus, il se détourna, sa silhouette disparaissant par la fenêtre par laquelle il était entré. Mais avant de s’évanouir dans la nuit, il se retourna, ses yeux dorés brillant dans l’ombre. « La lune rouge arrive. Tu ne pourras pas l’ignorer, et moi non plus. »

Un hurlement résonna au loin, plus proche que jamais, et je m’effondrai dans le fauteuil, serrant le journal contre ma poitrine. « Je ne suis pas prête, » murmurai-je, les larmes montant sans que je puisse les retenir. Mais dans le reflet de la vitre, mes yeux verts scintillaient à nouveau d’une lueur argentée, comme si mon destin, implacable, s’imposait malgré moi. La forêt m’appelait, Kyle m’avait marquée, et quelque chose de plus grand, de plus sombre, se profilait à l’horizon. La lune rouge. Qu’est-ce que cela signifiait ? Et comment pouvais-je lutter contre un lien qui semblait déjà ancré dans mon sang ?