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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Ombres du Passé


Emma Loren

La lumière pâle du lampadaire éclairait faiblement la façade usée de l’immeuble haussmannien. Emma Loren fit tourner la clé dans la serrure de son appartement, un geste mécanique qu’elle répétait chaque soir. La porte grinça en s’ouvrant, résonnant dans le silence d’un intérieur où le temps semblait suspendu. Une odeur familière, mélange subtil de café froid et de livres anciens, accueillit Emma alors qu’elle refermait la porte derrière elle.

Elle alluma une lampe dont l’ampoule jaune diffusait une lumière tamisée, révélant un espace modeste mais fonctionnel. Chaque meuble avait son utilité, chaque objet semblait à sa place, sauf la table encombrée de dossiers et de papiers. Son regard s’attarda sur cette table. Au centre, elle déposa la clé USB et l’agenda noir récupérés plus tôt, comme des reliques imprégnées d’un poids qu’elle n’avait pas encore saisi pleinement.

Le bout de ses doigts effleura la couverture usée de l’agenda. Elle sentit une froide appréhension monter en elle, un écho du passé qui menaçait de resurgir. Pourtant, elle s’assit, prit une profonde inspiration et alluma son ordinateur portable. L’écran s’illumina d’une lumière bleutée. Avec des gestes précis, elle inséra la clé USB.

Une série de dossiers cryptés apparut, désignés uniquement par des séries de chiffres et de dates énigmatiques. Emma fronça les sourcils et tapota rapidement quelques commandes. Elle n’était pas experte en informatique, mais elle avait appris à contourner ce genre de protection dans le cadre d’enquêtes précédentes. Un à un, les fichiers s’ouvrirent, révélant des photos, des scans de documents officiels et des annotations manuscrites.

Elle reconnut certains des visages figés sur les clichés, des figures de pouvoir – magistrats, politiciens, entrepreneurs. À côté des noms, des annotations brèves : « Décédé », « Disparu », « Affilié ». Son attention fut attirée par un fichier vidéo. Elle hésita un instant, le curseur de sa souris suspendu au-dessus de l’icône. Ce genre de fichier ne contenait jamais de bonnes nouvelles. Prenant une inspiration tremblante, elle cliqua finalement dessus.

L’image était granuleuse, capturée par une caméra d’une autre époque. La scène montrait une pièce sombre éclairée par la lueur tremblante de bougies. Une table massive en bois en occupait le centre, autour de laquelle des silhouettes étaient assises, leurs visages masqués par des capes ou plongés dans l’ombre. Une voix résonna, grave et autoritaire, mais déformée par la médiocrité de l’enregistrement :

« Nous ne sommes pas ici pour juger, mais pour préserver. Les sacrifices sont nécessaires. »

Un murmure collectif suivit, presque rituel, et une main gantée déposa un objet sur la table : un marteau de juge, circonscrit par un cercle gravé de symboles. Emma plissa les yeux, cherchant à identifier les motifs. Le marteau s’imbriquait parfaitement dans le symbolisme des meurtres rituels de 1993.

La vidéo se coupa brusquement, remplacée par une série de scans de journaux, de lettres et de schémas complexes. Elle nota une annotation manuscrite sur l’un des documents : « D. Loren – risque élevé. Suivre les recommandations. »

Son souffle se bloqua dans sa gorge. D. Loren. Son père. La mention directe n’était pas une surprise totale, mais cette confirmation était un coup qu’elle n’avait pas anticipé. Elle se leva brusquement, ses pas résonnant sur le parquet.

Elle se dirigea vers la bibliothèque, ses doigts glissant sur les tranches des livres. Elle en tira un roman usé et, derrière lui, récupéra une clé dissimulée. Avec des gestes automatiques, elle ouvrit une boîte en acier cachée sur une étagère. Les souvenirs qu'elle en retira, soigneusement préservés, portaient le poids des années et des secrets : des photos de son père lors de cérémonies officielles, des notes personnelles, des extraits d’enquêtes.

Sur l’une des pages, un schéma attira son attention. Des noms encerclés, reliés par des lignes rouges, presque identique à celui qu’elle avait vu sur la clé USB, bien que rudimentaire. Une note l’accompagnait : « Suspicions confirmées. Ils ne reculeront devant rien. »

Emma s’assit à nouveau, les jambes tremblantes. Elle sentait une colère sourde monter en elle, mêlée à une vague de tristesse. Les doutes qu’elle avait eus pendant des années sur la mort de son père refaisaient surface avec une clarté brutale.

Son téléphone vibra sur la table, brisant le silence. C’était Laurent.

« Tu es encore debout ? » demanda-t-il, sa voix rauque, trahissant peut-être un verre ou deux de trop.

« Toujours, » répondit-elle, d’une voix basse, ses pensées encore embrouillées.

« Je vais te dire un truc : tu devrais dormir. Demain sera une longue journée. »

Elle hésita un instant, puis lâcha avec prudence : « Laurent… tu te souviens des meurtres rituels de 1993 ? »

Un silence s’installa, lourd, avant qu’il ne souffle : « Tout le monde s’en souvient. Pourquoi ? »

« Parce qu’ils ont un lien direct avec mon père. Il enquêtait dessus avant sa mort. »

Laurent siffla, incrédule. « Tu veux dire que… merde. Ça devient sérieux. Écoute, Emma, je te couvre, mais promets-moi une chose : ne fais pas ça seule. »

Elle ferma les yeux un instant, pesant ses mots. Enfin, elle murmura : « Merci, Laurent. »

Après avoir raccroché, elle retourna à ses recherches. L’agenda noir posé devant elle semblait désormais plus lourd qu’il ne l’était vraiment. En feuilletant les pages, elle tomba sur une entrée particulière : « 12 mars 1993 – Tribunal désaffecté. Archive clé. Risques élevés. »

Elle tapota la table du bout des doigts. Ses souvenirs l’emmenèrent à ce tribunal, un bâtiment imposant mais aujourd’hui délabré. Elle se demanda ce que son père y avait découvert. Pourquoi cette date était-elle si importante ?

Regardant par la fenêtre, elle vit les gouttes de pluie rouler sur les carreaux, traçant des lignes irrégulières. « Jusqu’où cela va-t-il me mener ? » murmura-t-elle pour elle-même. Le poids d’une vérité encore indistincte pesait sur elle, et Emma devinait déjà que cette quête coûterait cher – trop cher, peut-être.

Pour l’instant, elle savait une chose : la nuit serait longue, et les ombres du passé ne lâcheraient pas prise.