Chapitre 3 — III
Le lendemain du jour où avait eu lieu l’interrogatoire de Jean le Gueux, vers quatre heures du soir, au moment où, durant l’hiver, commencent à apparaître les premières ombres de la nuit, le mendiant était seul dans sa prison. Il y était rentré après une courte promenade dans le préau. Assis sur le grabat qui lui servait de lit, les jambes enveloppées dans une couverture de laine à cause de la rigueur du froid, les haillons qui lui servaient de vêtements pressés autour du corps, il regardait tristement à travers la lucarne grillée qui éclairait sa cellule, le ciel terne et gris qui s’obscurcissait de plus en plus.
Un vent impétueux soufflait, avec un bruit étrange, fait de rumeurs sourdes, mystérieuses, confuses que grossissaient, en les répétant, les échos des corridors sombres et déserts.
L’âme de Jean le Gueux était pleine de tristesse et de deuil.
Il pensait à sa fille morte, à ce charme de son existence sitôt disparu, à cette lumière de ses yeux soudainement éteinte.
— Elle est couchée sous la terre froide, pensait-il, celle qui vivait naguère, épanouie et souriante, comme une belle fleur. Je n’entendrai plus le son de sa voix, je ne verrai plus son front candide, je ne presserai plus dans mes mains ses mains mignonnes. Morte ! morte !
Tel était le douloureux refrain qui, depuis trois jours, revenait sans cesse sur ses lèvres. Les sanglots toujours renouvelés gonflaient sa poitrine ; lorsque pour quelques instants, sa douleur lui laissait un peu de répit, des pensées de vengeance remplissaient tout son être. Il aspirait à la liberté, non pour jouir d’une existence dont il était las, qui, désormais, serait sans soleil et sans sourire, mais avec l’espoir qu’il découvrirait l’assassin de sa fille, et lui ferait expier cruellement le forfait qui ouvrait dans son cœur des plaies saignantes à jamais.
Le temps s’écoulait. La nuit venait. Il était sans lumière.
Peu à peu l’ombre épaisse s’allongeait sur les murs de sa prison. Encore quelques instants, et le geôlier viendrait lui apporter sa maigre pitance. La nourriture prise, il n’aurait plus qu’à s’étendre, comme tous les soirs, sur cette dure couchette dont l’oreiller était humide de ses larmes.
Tout à coup, il entendit des bruits de pas dans le corridor qui donnait accès à son cachot. La clé tourna bruyamment dans la serrure. La porte s’ouvrit et une vive clarté remplit la cellule.
Il se leva surpris. Un personnage qu’il reconnut pour être le directeur de la maison de détention entrait, portant une lampe. Derrière lui marchait une personne vêtue de noir, dont le visage était caché sous une voilette de laine épaisse comme un masque.
— Jean, dit le directeur, voici une personne qui désire vous parler. Par égard pour elle, par bienveillance pour vous, j’ai consenti à ce qu’elle pût vous entretenir sans témoins.
— Je vous remercie, monsieur, dit machinalement Jean le Gueux.
Le directeur, cependant, jetait autour de lui un regard piteux, embarrassé.
— J’ai à vous demander pardon, madame, de vous avoir conduite ici. Cette pièce est misérable. Il n’y a pas de feu. Préférez-vous que le prisonnier soit amené dans mon cabinet ?
— Non ! non ! répondit vivement la femme voilée.
Le directeur s’inclina et sortit sans ajouter une parole.
Alors, la visiteuse fit un pas au devant de Jean le Gueux.
Elle souleva brusquement le voile qui cachait ses traits et dit :
— Me reconnaissez-vous ?
— Mme de Saramie ! murmura le mendiant, que la surprise cloua sur place. Que voulez-vous de moi, madame ?
Il mit quelque dureté dans ces dernières paroles ; car, il crut qu’elle venait, au nom de son mari, qu’il persistait à soupçonner d’être l’auteur de la mort de Salviette.
Mais il fut bien vite détrompé, Mme de Saramie lui dit :
— Je viens vous sauver, ayant la conviction que vous êtes innocent.
Les idées de Jean le Gueux se modifièrent.
Quelque haine qu’il commençât à ressentir pour le juge d’instruction et pour ce qui le touchait, il fut pénétré de gratitude à la vue de cette femme rayonnante qui venait jusqu’à lui, misérable, pour le faire sortir de l’abîme dans lequel il était tombé.
— Hier, il m’a suffi de vous voir dans le cabinet de mon mari, d’apprendre que Salviette était votre fille, pour acquérir la certitude que vous ne l’aviez pas assassinée.
— C’est vrai, madame, c’est vrai, s’écria Jean le Gueux. Un père n’assassine pas sa fille. Le juge dit que j’aurais voulu la punir de sa faiblesse, cacher par sa mort le déshonneur auquel elle était vouée. Est-ce que le cœur d’un père n’est pas plein de miséricorde ? Et puis, aurais-je eu le droit de la châtier, moi qui, ne l’ayant jamais reconnue pour ma fille, ne l’ai pas su préserver contre les tentations ? Ah ! madame, je suis innocent !
— C’est parce que je n’en ai pas douté que je suis venue, reprit Madame de Saramie. Et puis, j’avais vu Salviette, je l’aimais sans beaucoup la connaître.
— Vous aimiez ma fille, vous ! s’écria vivement Jean le Gueux.
Pour toute réponse, Juliette lui raconta les courtes relations qu’elle avait eues avec la morte. Elle répéta les paroles prononcées par celle-ci le jour où les deux femmes s’étaient vues pour la dernière fois.
Jean le Gueux pleurait à chaudes larmes.
— Ainsi, dit-il, frappé par une idée subite, votre mari avait rencontré ma fille ? Il la connaissait ? Il lui avait parlé ?
— Oui, le jour où nous fûmes surpris par l’orage, dans les environs du pont du Gard.
— Il n’en a rien dit, pensait le mendiant. Il a tenu cette rencontre cachée. Pourquoi ?
Et ses soupçons redoublaient, accrus encore par une circonstance que lui révélait le récit de Mme de Saramie, à savoir que Salviette, dans les derniers jours de sa vie nourrissait des remords, et que tout en avouant leur existence à la femme du juge d’instruction, elle refusait de lui en faire connaître la cause. Il y avait dans le récit de Mme de Saramie un mot qui transformait les soupçons de Jean le Gueux en certitudes. Salviette avait dit à la jeune femme, le jour où elle la vit pour la troisième et la dernière fois :
— Je suis bien coupable envers vous. Si jamais vous apprenez pourquoi, pardonnez-moi. On m’a trompée.
À quelle faute, à quelle tromperie la morte avait-elle voulu faire allusion, si ce n’est à cette situation odieuse qui était la sienne : maîtresse d’un homme marié, à la femme duquel elle n’osait ouvrir tout son cœur, et au mensonge que son amant n’avait pas craint de lui faire, en lui affirmant, pour la séduire plus facilement, qu’il n’était pas marié ?
— Oh ! une preuve ! rien qu’une preuve ! se disait Jean le Gueux.
— J’ai garanti votre innocence à mon mari, reprit Juliette, et je vais obtenir de lui votre mise en liberté. Seulement, j’ai à cœur de lui prouver que je ne m’étais pas trompée, et, pour cela, il faut que vous m’aidiez à découvrir le vrai coupable.
— Quoi ! c’est vous, vous qui voulez ?…
— Je le veux. Demain, vous quitterez cette prison. Aussitôt vous vous mettrez à la recherche de l’assassin. Je vous fournirai les ressources nécessaires à votre existence, et de concert, nous accomplirons cette œuvre qui nous permettra, à vous de venger votre fille morte, à moi de prouver à mon mari que l’instinct qu’une femme puise dans son cœur conduit plus sûrement à la découverte de la vérité que la perspicacité du plus fin des magistrats. Acceptez-vous ?
— J’accepte, madame, répondit Jean le Gueux, et désormais je vous voue une reconnaissance sans limites. Dans toute circonstance difficile, dans tout péril, rappelez-vous que Jean le Gueux est prêt à donner sa vie pour vous. Je ne suis qu’un vieillard, mais je vaux un homme.
— Merci, fit Mme de Saramie avec un doux sourire.
* * *
Le lendemain, à huit heures du matin, Jean le Gueux fut mis en liberté. Grâce à la libéralité de Mme de Saramie, il put échanger ses haillons contre des vêtements plus chauds. Habillé, non plus comme un moine, mais comme un paysan, ayant fait couper sa longue barbe blanche, afin de se rendre méconnaissable, il quitta Nîmes, sans que M. de Saramie l’eût vu sous ce nouvel aspect.
Il se dirigeait sur Castillon.
C’était quatre jours après la mort de Salviette, vers midi.
Dans la salle basse de la ferme où la malheureuse fille avait si misérablement péri, le fermier Combret, sa femme, Cancel, le valet, étaient assis autour d’une table et prenaient leur repas. Une morne tristesse éclatait sur leur visage. Ils mangeaient silencieusement, comme s’ils eussent encore porté le poids de l’émotion cruelle et terrible qu’ils avaient subie.
Le fermier et sa femme avaient en quatre jours vieilli de dix ans. C’est qu’ils aimaient Salviette autant que si elle eût été leur fille ; c’est que leur cœur était déchiré par la perte soudaine qui les frappait et plus encore par l’horreur de ce trépas épouvantable.
Cette ferme dans laquelle ils vivaient depuis si longtemps, d’où le propriétaire, mû par un sentiment de pitié, n’avait pas voulu les chasser, bien que leurs bras ne fussent plus suffisants pour l’exploitation et que les revenus ne lui fussent que très irrégulièrement payés, cette ferme, jusqu’à ce moment objet de leur attachement, leur était devenue odieuse.
Ils songeaient à la quitter, à réunir leurs pauvres ressources, à s’en aller chercher ailleurs un abri, ne voulant pas vivre seuls dans ces lieux que Salviette avait embellis de ses sourires, de son charme, et devant lesquels les habitants de la contrée, qui la désignaient maintenant sous le nom de maison du crime, ne passaient plus sans se signer.
Chacun d’eux, en ce moment, était livré à de sombres réflexions. Leur cœur en deuil ne conservait plus d’espérance. Ils étaient à cet âge où toute catastrophe, non seulement devient irréparable, mais encore laisse inconsolable, ceux qu’elle atteint.
Tout à coup, la porte s’ouvrit. Un homme parut sur le seuil.
C’était un vieillard, vêtu comme un paysan, d’un pantalon de futaine grise, d’une blouse de même couleur, d’une limousine, coiffé d’un bonnet en peau de renard. Il tenait un bâton pour aider sa marche et y appuyer son corps courbé. Ses cheveux blancs étaient coupés ras. Il n’avait ni barbe ni moustache. Sa figure portait autant de rides qu’un vieux parchemin, et avait une couleur rougeâtre, qui attestait les brûlantes morsures du soleil et du vent.
— Que souhaitez-vous ? demanda Combret.
— Braves gens, répondit l’inconnu, j’ai froid et j’ai faim.
— Entrez. Prenez place devant le feu. Femme, une écuelle de soupe.
L’homme, enhardi par l’accueil de Combret, entra, ferma la porte derrière lui, se débarrassa de son manteau, et s’approcha de la cheminée. On mit entre ses mains tremblantes une assiette en faïence remplie de bouillie, une cuiller en étain et il commença à manger.
Personne ne faisait attention à lui. Les gens de la ferme étaient retombés dans leur apathie et leur tristesse. Ils ne le regardaient même pas.
— On est triste, ici, bien triste ! fit-il au bout de quelques instants.
Pas de réponse. Alors, il se leva, et s’avançant vers le fermier.
— Combret, dit-il, ne me reconnais-tu pas ?
Cette fois, son accent fit tressaillir Combret. Il leva les yeux sur le visiteur, le regarda. Puis, soudain, se levant :
— Jean le Gueux ! s’écria-t-il. Vous êtes hors de prison ?
— Oui, l’accusation dirigée contre moi était sans fondement. Mon innocence a été reconnue. On m’a rendu la liberté.
— Mais ce costume, ce menton rasé ?
— Je suis bien changé, n’est-ce pas ? C’est que je ne veux plus qu’on me reconnaisse dans ce pays. Mon rôle de saint, de sorcier, de mendiant est fini. Jean le Gueux est mort, et à sa place tu vois un père dont le cœur saigne et qui s’est juré de découvrir l’assassin de sa fille.
— C’est donc vrai ? demanda la fermière, prenant part à l’entretien. Vous n’avez pas menti ? Salviette était votre fille ?
— C’est moi qui la déposai un soir, devant votre porte, six mois après sa naissance. Sa mère venait de mourir et je ne pouvais pas, moi, avoir soin de cette enfant. Je vous la confiai, sachant qu’entre vos mains elle serait heureuse. Je vous envoyais fréquemment des secours et je me réjouissais, en voyant que mes prévisions ne m’avaient pas trompé et que je l’avais mise entre des mains paternelles. Pour ce que vous avez fait pour elle, soyez bénis.
Il y eut un moment de silence.
Les larmes remontaient dans les yeux ; les fronts se penchaient sous l’immensité de ce désespoir sombre.
— Écoute, Combret ! dit tout à coup Jean le Gueux.
Le fermier s’approcha de lui. Ils échangèrent à voix basse les paroles suivantes :
— Les funérailles de Salviette ont eu lieu, n’est-ce pas ?
— Le lendemain du crime. Tout le pays y assistait.
— Où est-elle enterrée, la chère petite ?
— Dans le cimetière de Castillon.
— Il faut y venir avec moi pour me montrer sa tombe.
— Ne craignez-vous pas d’être reconnu par ceux que nous pourrons rencontrer ?
— Toi-même, tu t’es trompé, d’abord. Personne ne reconnaîtra sous cette figure nouvelle, et sous ces vêtements neufs, Jean le Gueux.
— Femme, mon chapeau, mon manteau, fit Combret.
— Tu sors, notre homme ? demanda Combrette en obéissant.
— Pour une heure. Tu prépareras un lit pour Jean. Jusqu’à nouvel ordre, il est notre hôte.
— Merci, répondit simplement Jean le Gueux. Combrette, si vous voulez me faire plaisir, vous me laisserez coucher dans la chambre de ma fille.
Combrette fit un signe affirmatif.
Combret et Jean le Gueux sortirent aussitôt, se dirigeant vers le cimetière de Castillon. Il faisait un grand vent. La neige tombait depuis le matin. Les chemins et les arbres étaient blancs. On ne voyait pas une âme dans les champs attristés.
Le village de Castillon, nous l’avons déjà dit, est à la cime d’un rocher. Il ressemble à un nid d’aigles. On y arrive aujourd’hui par deux routes larges, solides, construites à grands frais. Mais, à cette époque, la seule route c’étaient les flancs incultes, pierreux de la montagne. Les habitants avaient choisi comme passage une longue coulée basaltique dans laquelle peu à peu les roues de leurs chariots avaient creusé des ornières profondes.
Le cimetière était à mi-côte, sur un plateau fait d’une large et profonde couche de roche. Dans ce rocher, on creusait les fosses qui étaient, par suite de l’absence absolue de terre végétale, des tombeaux véritables aux murs aussi solides que s’ils eussent été enduits du meilleur ciment.
Chaque petit souterrain, creusé de la sorte, contenait un cercueil ou les cercueils d’une même famille. Une pierre plate, sur laquelle étaient gravés tant bien que mal une croix et le nom des morts, le recouvrait. Un mur en pierres non cimentées enfermait cet asile funèbre, qui demeurait une partie de l’hiver, enfoui sous la neige, après avoir été, durant la chaude saison, brûlé par le soleil.
C’est dans cet enclos que Combret et Jean le Gueux pénétrèrent par une brèche qui existait dans le mur, la porte étant fermée. Combret, suivi du père de Salviette, longea une avenue tracée entre les tombes.
— C’est ici, dit-il tout à coup, en s’arrêtant.
Il s’accroupit. À l’aide de ses mains, il écarta la neige. La pierre blanche apparut et Jean le Gueux put y lire ce simple nom, gravé au-dessous d’une croix : SALVIETTE.
— Elle dort là, ma bien-aimée, murmura Jean le Gueux. Son cercueil est-il seul, là-dedans ? demanda-t-il à Combret.
— Seul, répondit le fermier. Le conseil municipal a décidé qu’il en serait ainsi.
— La pierre est-elle lourde à soulever ?…
— À soulever ? oui. Mais, si l’on voulait descendre là-dedans, il suffirait de l’écarter en la poussant avec un bâton, ce qui n’est pas difficile.
Tandis qu’ils parlaient ainsi, la neige, qui tombait à gros flocons, avait recouvert déjà la tombe et s’amoncelait, formant une couche blanche. Jean le Gueux promena ses regards autour de lui pour se rendre compte de la topographie des lieux. Puis, ayant avisé dans un coin une planche à moitié pourrie, dont une extrémité sortait au-dessus du sol, il la prit, la traîna sur le tombeau de Salviette et la posa debout en l’enfonçant dans la neige.
— De cette manière, dit-il, je trouverai la place quand je reviendrai.
Ils demeurèrent encore là durant quelques minutes, l’œil morne, le front penché.
— Allons, venez, Jean, lui dit tout à coup Combret en le prenant sous le bras.
Il se laissa entraîner. Mais, avant de quitter le cimetière, il murmura ces mots :
— J’y reviendrai. J’y reviendrai pour te voir encore une fois, ma Salviette.
Rentré à la ferme il passa le reste de cette journée dans la chambre de Salviette. Il s’était jeté sur le lit. Le sommeil vint clore ses paupières, et, pour la première fois, depuis la mort de sa fille, il goûta un repos véritablement réparateur.
La nuit était déjà profonde lorsqu’il se réveilla.
Il descendit dans la salle basse de la ferme, afin de partager le repas des fermiers. Comme celui du matin, le repas du soir fut silencieux. Lorsqu’il fut terminé, Jean le Gueux s’accroupit sous le manteau de la cheminée. Les regards fixés sur la flamme claire qui flambait dans l’âtre, il attendit encore, de telle sorte qu’il était neuf heures lorsqu’il quitta les Combret, sous le prétexte de remonter chez lui.
Mais ce n’est pas chez lui qu’il remonta. Dans un coin de la cour, il prit deux objets qu’il y avait à l’avance déposés : un levier en fer, une lanterne qu’il n’alluma pas sur-le-champ, puis il se mit en route.
C’était une idée fixe qui le poursuivait depuis trois jours, que celle à laquelle il obéissait en ce moment.
Il voulait revoir sa fille.
Qu’elle fût morte, hélas ! ce ne devait pas être un obstacle à son désir. Il avait soif de contempler ses traits adorés, de tenir dans ses bras cette chair périssable qu’il avait tant aimée, après la décomposition de laquelle il ne resterait plus rien ici-bas de celle qui fut Salviette.
Il était environ dix heures lorsqu’il arriva au cimetière.
La neige avait cessé de tomber, mais non le ciel d’être couvert.
Toutefois, malgré les nuages qui cachaient les étoiles, il régnait sur les champs une sorte de clarté blanche causée par la réverbération des clartés venues d’en haut sur la neige, dont l’immense étendue suffisait à remplir le regard.
Grâce à cette faible clarté, Jean le Gueux put regarder sur la route qu’il suivait, et, comme les yeux se font à l’obscurité, il n’eut pas besoin d’allumer sa lanterne pour pénétrer dans le cimetière, ni pour découvrir la tombe de sa fille. Il la reconnut à la planche qu’il y avait posée le matin.
Il se débarrassa des objets qu’il apportait, puis, se courbant, il voulut écarter avec les mains la neige qui couvrait la pierre. Mais le froid avait durci cette neige, et il dut se servir pour s’en débarrasser du levier dont il s’était muni.
Cette première besogne faite, avec une force qu’on n’eût pas soupçonnée chez un vieillard de son âge, mais que soutenait la pensée à laquelle il obéissait, il glissa son levier entre la pierre et le rocher, poussa la dalle peu à peu, au moyen de petites secousses, jusqu’à ce qu’il pût voir le trou béant au fond duquel était déposé le cercueil de Salviette.
Alors il alluma sa lanterne. Le trou n’était ni large ni profond : deux fois comme une fosse ordinaire. Il y descendit, posa sa lanterne sur le sol.
À l’aide d’un marteau et d’un ciseau dont il s’était muni, il commença à déclouer la bière.
L’ardeur qu’il apportait à ce travail, l’effort qu’il était obligé de faire, retenaient encore son émotion.
Mais, au moment où le dernier clou fut enlevé, lorsque le couvercle tomba sur le sol avec un bruit sourd, lorsque les formes blanches de la morte dessinées par le suaire qui l’enveloppait, apparurent à ses yeux, il sentit son cœur se fendre et défaillir.
— Sois homme, Jean ! fit-il en se parlant à lui-même.
Raffermissant son courage, il souleva sa lanterne et regarda.
Elle était couchée, la pâle victime, parmi les immortelles que Cancel, le valet de la ferme, avait cueillies sur les collines et trouvées sous la neige.
Le linceul qui l’enveloppait montait à peine au-dessus de la poitrine, de telle sorte que ses épaules, ses bras, demeuraient nus, et qu’on voyait au-dessus du sein gauche une plaie béante encore, mais dont les contours n’avaient plus les couleurs du sang, tout le sang qui animait naguère ce corps charmant s’étant glacé.
La décomposition n’avait pas encore commencé.
Le cercueil n’étant pas en contact avec la terre, et le froid étant très-rigoureux, le corps se conservait au-delà des limites ordinaires.
Il en résultait qu’on eût dit une femme endormie et non un cadavre. La tête reposait sur ses beaux cheveux blonds dont on avait fait un oreiller. Les yeux étaient entièrement clos. La bouche seule avait pris la physionomie cadavéreuse, qui est si navrante dans les têtes de morts.
Jean le Gueux s’agenouilla, non pour prier, mais pour embrasser les restes de sa fille. Entre ses bras tremblants, il souleva délicatement ce corps glacé et, le pressant contre ses lèvres, il resta là, le front penché sur ce cercueil, où désormais il n’y aurait plus de place que pour les vers en quête d’une proie.
Tout à coup, le regard de Jean le Gueux fut frappé par un objet qu’il voyait pour la première fois.
Sur le sein de Salviette, était un scapulaire que retenaient au cou deux cordons. D’un côté, il y avait une image assez grossièrement imprimée sur l’étoffe ; de l’autre, c’était la doublure en drap noir.
Le mendiant se rappelait que le jour où il avait trouvé sa fille assassinée, elle ne portait pas ce scapulaire. Mais il pensa qu’en procédant à l’ensevelissement, Combrette avait voulu placer sur la malheureuse victime cet objet de piété qui lui appartenait, qui n’était pas sur elle quand elle avait été frappée. Machinalement il prit le scapulaire.
Mais quelle ne fut pas sa surprise, lorsque ses doigts, en le palpant, sentirent entre les deux morceaux d’étoffe un corps épais, quelque chose comme un papier plié.
Jean le Gueux tressaillit. Au moment où il avait découvert ce cercueil, il ne songeait pas à y chercher une preuve contre l’assassin présumé. Mais il lui fut impossible, en présence de ce papier que ces mains sentirent avant que ses yeux ne le vissent, de ne pas revenir à cette préoccupation.
— C’est peut-être une preuve, pensa-t-il.
Brusquement, il arracha le scapulaire et le mit dans sa poche.
Avec sa lanterne, il regarda encore dans la bière, cherchant sous le corps, contre les parois, afin de voir si aucun autre objet ne viendrait lui apporter l’espérance de découvrir l’auteur du crime.
Rien ne lui apparut. Alors il jeta de nouveau les yeux sur le visage de l’adorée, l’embrassa, puis, il remit toutes choses en l’état où il les avait trouvées, et une heure après, il rentrait à la ferme, sans que personne pût se douter qu’il était sorti ni qu’il avait dirigé ses pas du côté du cimetière.
Il prit place devant une petite table placée dans sa chambre.
À la lueur d’une chandelle, à l’aide d’un couteau, il commença par déchirer les coutures du scapulaire. Le papier s’en échappa, tomba sur la table. Il le prit, l’ouvrit fiévreusement. C’était une lettre sans date, mais qui devait avoir, ainsi que cela se devinait aux plis du papier, plusieurs mois d’existence.
L’écriture en était inconnue à Jean le Gueux, mais il lut ce qui suit : « Ange de ma vie, il me sera impossible d’aller vous voir demain, ainsi que je vous l’avais promis avant-hier en vous quittant. Des affaires graves me retiennent ici. Je le regrette d’autant plus, que j’aurais tenu à vous rassurer sur ce qui fait, je l’ai bien vu, l’objet de vos préoccupations et de vos inquiétudes. Sachez-le, et je le répète ici pour que vous ne puissiez en douter, je ne suis pas marié. Je suis libre de vous aimer, de vous engager ma vie. Acceptez donc mes promesses et mon amour sans arrière-pensée. Dans trois jours, lorsque j’aurai le bonheur de vous voir, je vous répéterai ces choses ; car rien ne m’est plus à cœur que de vous inspirer l’amour que j’éprouve, et je ne peux y parvenir que si vous avez en moi une confiance absolue. »
Le billet s’arrêtait là ; il n’avait pas de signature.
— C’est en lui écrivant de telles choses qu’il l’a séduite ! pensa Jean le Gueux, dont les soupçons se portaient de plus en plus sur Saramie. Il a menti effrontément, pour avoir raison des résistances, des scrupules de l’enfant. Et elle a conservé cette lettre cousue dans le scapulaire, d’abord sans doute comme une relique de son amant, et ensuite comme une preuve que quand elle s’était donnée, elle le croyait libre.
Le mendiant se leva. Il tenait toujours la lettre dans ses mains crispées.
— Ah ! qui me dira si c’est là son écriture ! murmura-t-il sourdement. Mme de Saramie ? Non. Je ne peux lui apprendre ainsi, que son mari l’a trompée, qu’il est l’assassin !
Il réfléchissait. Il se demandait s’il n’essaierait pas de parvenir jusqu’au cabinet du juge d’instruction, afin de soustraire un document qui pût lui permettre d’établir quelle ressemblance il y avait entre l’écriture de Saramie et celle du billet.
Soudain, il se rappela que quelques jours avant, à cette même place, devant cette table où il se trouvait, le juge d’instruction prenait des notes en l’interrogeant.
— Si l’un de ces papiers s’était égaré ! pensa-t-il.
Et comme s’il eût obéi à un pressentiment rapide, il ouvrit le tiroir de cette table. Il poussa un cri. Une feuille de papier s’y trouvait. Il la prit, y jeta les yeux.
C’était un fragment de son interrogatoire écrit tout entier par M. de Saramie.
Cette écriture était la même que celle du billet.
— Enfin, j’ai une preuve ! s’écria Jean le Gueux en brandissant le papier. Maintenant, monsieur le juge, c’est à nous deux !
Jean le Gueux fut longtemps sans quitter la ferme des Combret.
Il y vivait ignoré, tranquille, passant la plus grande partie de ses journées dans la chambre qu’avait habitée Salviette, pour lui, pleine encore du souvenir de la morte, ne se montrant dans la salle basse qu’à l’heure des repas, évitant toute occasion de se rapprocher des vivants, et ne prononçant jamais aucune parole qui put indiquer de quelle nature étaient ses préoccupations.
Il sortait si peu, il venait si rarement des visiteurs à la ferme, son visage comme son costume le rendaient si peu semblable à ce qu’il avait été, que personne dans le pays ne soupçonnait sa présence.
Le secret en était rigoureusement gardé.
Jean le Gueux s’était engagé à payer aux fermiers une somme mensuelle destinée à pourvoir aux frais de sa nourriture et de son entretien. Il la payait exactement, grâce aux libéralités de Juliette de Saramie, qui, sous prétexte de subvenir aux dépenses que nécessitait la recherche de l’assassin, lui faisait passer secrètement une petite pension suffisant à ses besoins et au-delà. Mais il avait dit à Combret :
— Le jour où l’on saura que j’habite ici, je partirai.
L’intérêt, non moins qu’un sincère sentiment d’amitié, était donc le gage de la discrétion du fermier et des siens. Mais, souvent, le brave paysan s’étonnait de l’exactitude avec laquelle Jean le Gueux lui remettait le prix dont ils étaient convenus.
— Il était donc riche, disait-il parfois à sa femme. Il avait de l’argent caché, et ne l’avait révélé à personne.
— Tout cela est bien étrange, répondait Combrette. Et puis, à quoi passe-t-il son temps, seul, là-haut dans cette chambre solitaire ?
Un jour, elle s’enhardit jusqu’à interroger Jean le Gueux sur l’origine de sa petite fortune, dont elle n’avait pas, du vivant de Salviette, soupçonné l’existence.
— J’avais des économies à l’aide desquelles j’espérais constituer une dot à l’enfant le jour où elle se serait mariée. Elles m’aident maintenant à vivre sans rien faire et me suffisent jusqu’à ma mort.
On ne put jamais tirer autre chose de lui.
Le mystère de ses préoccupations quotidiennes ne fut pas éclairci davantage. Seulement, un jour qu’il se croyait seul, en se promenant au soleil dans la cour de la ferme, il s’écria :
— Ah ! si j’avais trente ans de moins !
Combret entendit ces mots et dit :
— Que ferait-il, s’il avait trente ans de moins ?
Il ne put résoudre cette question.
La vérité, c’est que Jean le Gueux pensait ; il pensait uniquement à sa vengeance. Il voulait qu’elle fût éclatante, que l’homme qui avait tué Salviette, subît un châtiment sans exemple. Depuis trois mois, il la cherchait.
Tour à tour, il avait formé divers projets, rejetés presque aussitôt comme d’une exécution impossible ou comme insuffisants.
Il avait d’abord pensé à dénoncer le juge d’instruction au procureur du roi. Mais il redoutait qu’on étouffât sa plainte afin de ne pas déshonorer publiquement un magistrat. Et puis, il se disait que Saramie possédait une habileté telle, qu’il lui tendrait un piège ou séduirait ses juges, en les entraînant loin de la vérité.
Il s’était également demandé s’il ne pourrait pas assassiner M. de Saramie. Mais il craignait d’être trahi par ses forces. Et puis, une telle vengeance ne pouvait le satisfaire.
— En le tuant, se disait-il, je le délivrerai de ses remords, je ne jouirais pas de ses tortures.
Enfin, un dernier projet s’était présenté à son esprit, et c’était celui-là qui lui avait arraché l’exclamation entendue par Combret :
— Que n’ai-je trente ans de moins !
Trois mois s’écoulèrent ainsi sans amener aucun changement dans sa vie, sans qu’il prît aucune décision, et sans qu’on devinât, autour de lui, les passions dont sa cervelle était pleine.
Au commencement du printemps, un matin, il avait dirigé ses pas du côté du pont du Gard. L’aspect des champs, en ces jours de renouveau, offrait un charme indicible. Toute âme apaisée se fût dilatée dans la contemplation du ciel bleu et des paysages tranquilles qui couvrent les rives du Gardon.
Mais Jean le Gueux demeurait insensible à des beautés qui cependant l’avaient autrefois séduit et auxquelles il faisait des allusions fréquentes dans les allocutions qu’il adressait en ce temps aux paysans, aux yeux desquels il passait pour saint. Il allait le front baissé, perdu dans ses rêveries, toujours les mêmes, et s’engagea sans le savoir sur le pont gigantesque formé par les arches inférieures de l’aqueduc romain.
C’est au milieu du pont seulement qu’ayant levé les yeux, il s’aperçut qu’il s’éloignait de la ferme plus qu’il n’avait coutume de le faire et se prépara à revenir sur ses pas.
Mais sur la route qu’il devait suivre un homme arrivait.
Ne voulant pas être vu, Jean le Gueux se jeta derrière la pile massive de l’une des arches du second rang, afin d’attendre que le passant se fût éloigné.
Il le vit s’approcher et s’arrêter bientôt sur le pont, à quelques pas de lui. Il reconnut alors qu’il avait affaire à un jeune homme.
Le nouveau venu, en effet, ne devait pas avoir plus de vingt ans. Il portait le costume des paysans. Il était d’une beauté peu commune. Ses cheveux châtains, longs, soyeux, flottaient en boucles sur son cou. Son front était d’un dessin très pur, large, assez élevé, son nez comme ses oreilles d’une forme exquise, ses yeux noirs, profonds, placés à fleur de tête, son teint blanc, ses traits réguliers. D’une taille élevée, il avait des membres robustes, bien proportionnés, une distinction naturelle, rare chez un homme des champs.
Tel qu’il était, il attira l’attention de Jean le Gueux, qui murmura :
— Voilà comme je voudrais être.
Et comme le docteur Faust, aspirant à la jeunesse, il poussa un soupir et souhaita une transformation miraculeuse qui lui rendrait la vigueur, la hardiesse, la grâce de ses jeunes années, ce qu’il admirait chez le promeneur matinal arrêté sur le pont à quelques pas de lui.
Soudain, il le vit faire un geste désespéré, se débarrasser de sa veste et de son chapeau, les jeter au loin et se préparer à enjamber le parapet qui le séparait du gouffre béant formé en cet endroit par la profondeur de la rivière.
Sans réfléchir, obéissant à un sentiment instinctif, Jean le Gueux s’élança pour arrêter cette tentative de suicide. Il mit la main sur l’épaule du jeune homme en disant :
— On ne va pas plus loin, gamin.
L’autre se retourna, et, jetant sur celui qui l’appelait ainsi un regard où se lisait l’égarement, il répondit :
— D’où sortez-vous, bonhomme ? Je ne vous avais pas vu. Continuez votre route et n’essayez pas d’arrêter l’exécution d’un dessein irrévocable.
Jean le Gueux leva les épaules :
— Si tu veux mourir, c’est que tu te crois malheureux.
— Se croire malheureux, c’est l’être. Il se peut que je ne le sois pas, que j’exagère ma peine. Mais qu’importe ! si, telle qu’elle est, j’en souffre comme si elle était plus vive.
— Serait-ce une raison pour mourir ? Laisse le suicide aux vieux, aux désespérés comme moi. Mais à ton âge ! As-tu vingt ans, seulement ? Et tu veux te tuer ! Imbécile ! Y a-t-il une douleur, une seule, dont un jeune homme ne puisse guérir ?
— Il y en a, puisque la mienne est de celles-là. Allons, place, bavard, vieux radoteur, sinon je t’entraîne avec moi.
— Voilà une menace plus facile à proférer qu’à exécuter, répondit ironiquement Jean le Gueux. Sais-tu que je pourrais, si je le voulais, t’obliger à vivre ?
— Vous ! comment ? demanda le jeune homme surpris.
— En faisant appel à ton honneur !
— À mon honneur ! Je ne comprends pas !
— En te demandant raison des injures que tu viens de m’adresser à l’instant même.
— Vous voudriez vous battre avec moi, vous !
— Crois-tu, parce que mes cheveux sont blancs, qu’il n’y ait plus ni sang dans mes veines, ni colère dans mon cœur, ni vaillance dans mon bras ? Un jeune fou insulter un vieillard, l’appeler vieux radoteur, où cela s’est-il vu, dis ?
Jean le Gueux semblait grandir de cent coudées. Sa voix s’était raffermie, ses yeux lançaient des éclairs. Le jeune homme le regarda avec surprise, avec déférence, mais sans baisser les yeux. Puis il dit :
— J’ai eu tort et je vous demande pardon d’avoir prononcé les paroles qui vous ont blessé.
Jean le Gueux fixa sur son interlocuteur un regard profond, comme s’il eût voulu scruter son cœur, afin de savoir si son langage était dicté par un sentiment de lâcheté. Mais, l’attitude de ce jeune homme était si fière, si vaillante, si noble, qu’on ne pouvait s’y méprendre.
— Tu es brave, dit enfin Jean le Gueux, et peut-être, après tout, ce que tu allais faire là, quand je t’ai arrêté, était-il un acte courageux et légitime. À toi de me le prouver. Je ne consentirai à l’exécution de ton dessein que lorsque j’en connaîtrai la cause et si elle me paraît le justifier. Pourquoi veux-tu mourir ? Allons, parle !
— Pourquoi je veux mourir, répondit le jeune homme ; vous désirez le savoir ? écoutez alors : Je me nomme Raoul Ribeyra ; j’ai vingt-deux ans ; je suis né dans ce pays, où mon père, d’origine espagnole, s’était fixé et marié. Ma mère mourut le jour même de ma naissance ; mon père, deux ans plus tard. La misère et l’abandon auraient été mon partage, si le médecin du village de Sernhac, vieux célibataire sans famille, ne m’eût adopté. Grâce à lui, j’ai grandi joyeusement ; grâce à lui, je ne suis pas un ignorant, et grâce à l’instruction qu’il m’a donnée, je peux gagner ma vie.
— Et tu veux mourir ? s’écria Jean le Gueux.
Raoul Ribeyra continua :
— Je veux mourir, parce que j’ai perdu mon bienfaiteur et que sa mort devient pour moi un désastre épouvantable. Depuis un an, j’aimais une belle jeune fille et je me croyais aimé. Comme elle était riche, ses parents me la refusèrent, lorsque pour la première fois, je demandai sa main. Mon père adoptif intervint alors et promit de me constituer au contrat une dot égale à celle que ma fiancée recevrait de ses parents. Tout était décidé. Notre mariage allait avoir lieu, quand mon bienfaiteur est mort subitement, sans avoir eu le temps de prendre ses dernières dispositions. Des parents éloignés, que je ne lui connaissais même pas sont accourus, ont fait valoir leurs droits. On m’a chassé de la maison où j’avais grandi. Je me suis trouvé pauvre, sans asile, et la famille de ma fiancée m’a déclaré alors que je devais renoncer à mes espérances. En vain j’ai supplié. On a coupé court à mes supplications, en l’obligeant elle-même à me dire qu’elle ne m’aimait pas, et en la mariant ce matin à un paysan grossier, indigne d’elle.
— T’aimait-elle, du moins ? demanda Jean le Gueux.
Raoul secoua tristement la tête.
Le mendiant reprit :
— Elle voulait de toi pour mari quand elle te savait aussi riche qu’elle ? Tu es pauvre ; elle te ferme sa porte. Et tu pleures ! Et tu veux périr ! Réjouis-toi donc, au contraire, d’avoir échappé aux griffes d’une créature capable de se conduire ainsi. Elle n’a pas de cœur et t’aurait torturé.
— Sa perte me laisse désolé, anéanti !
— Mesure ton désespoir à ce qu’elle valait !
— Elle était si belle, si douce, avec un regard si pur !
— N’oublie pas que ces charmes cachaient une âme cupide !
— Et puis, que voulez-vous que je devienne, maintenant ? Je n’ai ni position, ni biens, ni abri. Ma seule propriété, c’est le costume que j’ai sur le corps, et sans quelques amis du village qui me sont restés fidèles, je serais mort de faim.
— Ne peux-tu travailler ?
— À quoi ? J’ai voulu m’engager pour les travaux des champs. On me répond que j’ai les mains trop blanches, que j’ai été trop délicatement élevé et que le seul métier qui me conviendrait serait celui de maître d’école. Cela ne me déplairait pas non plus. Je sais plus qu’il ne faut pour instruire les enfants du pays et pour subir les examens qu’on exige de ceux qui aspirent à devenir instituteurs. Auprès des petits hommes qui me seraient confiés et que je prendrais en affection, j’oublierais mes douleurs dans l’ardeur même que j’apporterais à mes fonctions. Mais qui pourrait me faire nommer maître d’école, je vous le demande ?
— Moi, je te ferai nommer ! s’écria Jean le Gueux.
— Vous ? demanda Raoul, jetant sur son interlocuteur un regard de défiance.
— Moi, mais à une condition, c’est que tu t’engageras à te montrer obéissant à mes conseils, à me prodiguer un dévoûment absolu. Il me faut un ami, un fils, une créature qui me soit chère et qui m’aime. S’il te convient d’accepter ce rôle, je ferai pour toi plus que tu ne peux espérer.
— Ma reconnaissance s’exercera sans peine, répondit Raoul, dont l’étonnement augmentait. Mais, avant de m’engager, de passer en quelque sorte un pacte avec vous, ne dois-je pas savoir qui vous êtes ?
— Un homme qui a beaucoup souffert, plus que toi, enfant, et qui n’a cependant pas songé à mourir.
— C’est qu’il vous restait une espérance.
— C’est vrai ; la vengeance ! Mais toi qui cherchais à te défaire de la vie, n’avais-tu pas la jeunesse ?
Raoul baissa le front, comme s’il eût éprouvé quelque honte.
— Votre nom, me le direz-vous ? reprit-il bientôt.
Jean le Gueux tressaillit à cette question inattendue.
— Mon nom ! Tu veux le connaître ?
— Puis-je accepter vos offres sans savoir à qui j’ai affaire, sans savoir, surtout, quels mobiles vous poussent à me servir ?
— Tu ne crois donc pas à mon désintéressement ?
— J’ai appris à me défier des hommes, et je crois que, si vous me disputez à la mort, et me promettez de me venir en aide, c’est que vous attendez quelque service de moi.
Le mendiant fixa sur lui ses petits yeux dans lesquels passa un sourire d’ironie et de surprise.
— Tu es perspicace, je le vois, dit-il bientôt. Et bien, oui, tu as raison et tu me prouves que tu connais les hommes. Je poursuis une vengeance, et j’aurai à te demander de la servir.
— Jamais ! jamais ! s’écria Raoul.
— Attends donc, répliqua Jean le Gueux avec un geste d’impatience. Il ne s’agit pas de frapper des coups terribles, d’assassiner, de châtier un coupable. Ce sera mon œuvre et non la tienne. Toi qui as vingt ans, qui possède la beauté, la jeunesse, sais-tu ce que je veux de toi ? C’est que tu te laisses pousser par moi aux pieds d’une femme aux charmes infinis, au regard d’ange : c’est que tu l’aimes, que tu te fasses aimer d’elle, et que tu jouisses de ton bonheur autant que tu le voudras, pour toute ta vie si cela te plaît. Avec l’amour de cette créature, si tu es assez éloquent pour l’obtenir, tu vivras comme dans un rêve. Elle t’emportera dans des sphères célestes. Tu voulais mourir. Et bien, tu seras si heureux que tu croiras en avoir fini avec la vie, et cependant ce sera l’étendue et la solidité de ton bonheur qui te ramèneront à la réalité.
— Et cette femme, quelle est-elle ? demanda Raoul, dont le regard s’était allumé aux paroles du mendiant.
— Elle a vingt-quatre ans. Elle est mariée !
— Mariée ! Mais alors c’est dans un crime, dans l’adultère, que vous voulez nous précipiter l’un et l’autre !
— Bah ! le mari ne vivra pas toujours !
— Mais enfin quel intérêt avez-vous à donner à cette femme un amant, à moi une maîtresse ?
Jean le Gueux sourit et répondit :
— Est-il vrai que lorsque tout à l’heure je t’ai arrêté là, tu étais décidé à mourir ?
— Cela est vrai. Je ne saurais le nier.
— Eh bien ! à toi qui allais mourir, je te propose de vivre, de te créer une position honorable conforme à tes désirs ; et, puisque tu allais te noyer dans ces eaux qui roulent sous nos pieds, c’est dans un océan de délices que je veux te précipiter. Ne me demandes rien de plus. Sache seulement qu’après t’avoir fait connaître cette femme, je ne vous demanderai à l’un et à l’autre qu’une chose, c’est d’être heureux.
Raoul Ribeyra ne pouvait revenir de sa surprise.
Le langage singulier de ce vieillard inconnu qui s’était trouvé sur son chemin d’une manière si imprévue, bouleversait son âme et ses sens. Non seulement il voyait la possibilité de sortir de l’abîme où l’avait plongé la mort de son bienfaiteur ; mais encore, on faisait miroiter à ses yeux la perspective d’une de ces aventures passionnées et galantes, si chères aux jeunes cœurs et qui aiguillonnent si vivement leur curiosité.
— Je vous ai déjà demandé votre nom ?
— Je m’appelle Jean le Gueux.
— Jean le Gueux ? vous. Mais, je vous ai vu souvent. Qui vous aurait reconnu sous ce costume ?
— Personne. On ne peut pas et on ne doit pas me reconnaître. Je ne t’ai révélé mon nom que parce que j’ai confiance dans ta discrétion et parce qu’il te décidera, je l’espère, à accepter mes offres.
— Vous passiez pour un saint, et c’est un crime que vous me proposez ! objecta Raoul.
— Saint ou diable, qu’importe ! s’écria vivement Jean le Gueux. J’ai renoncé à ma vie d’autrefois depuis le jour où une grande douleur vint déchirer mon âme.
— Oui, la mort affreuse de votre fille Salviette !
— Tu savais donc ?…
— Cette histoire a couru dans le pays à l’époque du crime.
Il y eut un silence. Tout à coup Jean le Gueux releva brusquement la tête, et s’adressant à Raoul, il lui dit :
— Es-tu décidé ? Il est temps de me répondre.
— Je ne sais où je vais ni à quoi je m’engage, ni jusqu’où vous m’entraînerez, fit Raoul d’une voix lente et tranquille. Mais le mystère même dont vous enveloppez vos actions et vos projets m’attire et me charme. Et puis, pour le missionnaire vagabond qu’on appelait Jean le Gueux, j’avais conçu de la vénération. En vous retrouvant ici, caché, déguisé, l’âme encore en deuil, je ne peux vous retirer la confiance que vous m’inspiriez autrefois. Enfin, à mon cœur meurtri, endolori par les maux de l’amour, vous offrez le seul remède qui puisse lui convenir : un autre amour. Vous faites des joies que vous voulez rendre miennes un tableau séduisant et suave, malgré les âpres accents dont vous vous servez pour le décrire. Vous avez fait tressaillir mes sens, soulevé les trésors de tendresse qui sont encore en moi. Je consens donc à devenir votre créature ; mais je mets à mon consentement une condition.
— Laquelle, laquelle ? Parle vite ! s’écria Jean le Gueux dont l’œil rayonnait.
— Je ne veux pas être présenté à cette femme sans l’avoir vue, mais de telle façon qu’elle ne puisse me voir ni savoir qui je suis.
Jean le Gueux réfléchit pendant cinq minutes.
— Tu la verras ce soir, répondit-il.
Le soir il y avait représentation au théâtre de Nîmes.
On était alors au printemps, nous l’avons déjà dit.
On touchait donc à la fin de la saison théâtrale, et la représentation que l’on donnait devait être d’autant plus brillante qu’une artiste aimée allait y faire ses adieux au public.
La salle du théâtre de Nîmes est fort belle, non moins vaste que celle de l’Odéon, que connaissent tous les Parisiens. Elle était remplie, même avant le lever du rideau, d’une foule compacte, bruyante, qui attendait avec impatience que la Favorite commençât.
C’est surtout au parterre qu’on était tumultueux.
Il n’y restait plus aucune place vide et, parfois, un nouveau venu, essayant de s’introduire par force dans des rangs déjà trop serrés, excitait les murmures et les colères qui se traduisaient avec éclat.
Tout au milieu du parterre, au premier rang des banquettes placées derrière les stalles d’orchestre, étaient assis Jean le Gueux et Raoul Ribeyra.
C’est afin de tenir sa parole autant que pour distraire le jeune homme et dissiper les impressions mauvaises qui l’avaient conduit au suicide, que le mendiant était venu à Nîmes.
Il ne savait trop comment il aborderait Mme de Saramie, avec laquelle, depuis sa sortie de prison, il avait échangé seulement trois lettres, ni comment il lui présenterait Raoul. Avec ce dernier, il parcourut les promenades de la ville, espérant que la personne qu’il cherchait se rencontrerait sur sa route. Il ne la vit pas. Il se tint assez longtemps aux abords de la maison qu’elle habitait. Elle ne sortit pas.
Or, en flânant de la sorte, Jean le Gueux avait lu une affiche posée sur les murs de la ville et annonçant, pour le soir, une représentation extraordinaire au théâtre.
— Elle y sera peut-être, se dit-il, saisi d’un pressentiment.
Le même soir, il allait au théâtre avec Raoul, sans lui avoir dit pour quel motif il l’y conduisait. Ils prirent place, dans le milieu du parterre, de façon à pouvoir embrasser du regard toutes les personnes qui se trouvaient dans la salle et la remplissaient du haut en bas.
Ils restèrent paisibles au milieu du tumulte général, Raoul attendant avec l’impatience de l’homme qui n’a vu un opéra qu’une seule fois dans sa vie et qui en a gardé des souvenirs enivrants, que le rideau se levât. Quant à Jean le Gueux, c’est surtout du personnel réuni dans la salle qu’il paraissait préoccupé.
Il regardait avec une impatience fébrile les baignoires, les loges, les fauteuils de balcon. Il les vit se remplir peu à peu, sans qu’aucun visage connu passât devant lui. Bientôt, il ne resta qu’une loge vide, placée en face de la scène, mieux éclairée et plus richement meublée que les autres.
— Quelque chose me dit qu’elle viendra là, pensait Jean le Gueux, dont le cœur battait avec violence.
Il essayait toutefois de dissimuler son émotion. Il adressait fréquemment la parole à Raoul, tandis que celui-ci, en songeant que le matin même, il avait voulu périr, se demandait s’il ne traversait pas en ce moment les épisodes d’un rêve fantastique, et si le vieillard qui s’était trouvé sur sa route pour le sauver et le rendre heureux, était réellement en chair et en os.
Enfin, le spectacle commença ; Jean le Gueux, tout autant que Raoul, fut absorbé dès le début du spectacle par la beauté de la musique, la grandeur des premières scènes, et le talent des artistes. Il oublia ses préoccupations.
Mais, l’entr’acte arrivé, il tourna vivement les yeux du côté de la loge. Il y vit deux personnes, et retint à grand’peine, un cri de satisfaction. C’était Mme de Saramie, accompagnée de son mari.
La jeune femme, vêtue d’une robe de satin rouge qui mettait en relief la chaude couleur de ses épaules et de ses bras, coiffée avec des fleurs de grenadiers qui ressemblaient à des bouquets de corail jetés dans sa chevelure noire, abondante et soyeuse, était assise sur le devant de la loge et cachait fréquemment son visage derrière son éventail. Quand elle regardait dans la salle, c’était d’un air distrait et attristé, comme si elle eût été en proie à des préoccupations douloureuses.
La lumière du lustre, combinée avec celle qui éclairait la loge, faisait à cette beauté élégante et mélancolique un cadre rayonnant. Aussi, tous les yeux étaient fixés sur elle.
Mme de Saramie, avant de suivre son mari à Nîmes, avait été élevée à Paris, et ses habitudes de Parisienne, elle les avait conservées dans cette ville de province, où l’on jasait beaucoup de son originalité, de ses allures, sans qu’elle daignât s’en préoccuper.
C’est ce qui explique pourquoi elle était au théâtre dans une toilette qu’on n’eût peut-être pas remarquée à l’Opéra de Paris, mais qui, à Nîmes, faisait sensation. Dans les regards que lui lançaient les femmes, il y avait beaucoup d’envie ; dans ceux des hommes, il y avait un hommage rendu à sa grâce enchanteresse.
Elle demeurait insensible et semblait ne rien voir.
De temps en temps, elle adressait la parole à son mari, assis derrière elle, au fond de la loge.
Jean le Gueux ne l’avait pas vu depuis trois mois et ne le trouva pas changé. C’était toujours ce visage beau, mais sombre, au regard étrange, aux lèvres crispées, qu’on ne voyait jamais ni pleurer ni sourire.
S’il avait pu remarquer dans cette foule la figure de Jean le Gueux, le reconnaître et distinguer l’expression de ses traits, Saramie eût été épouvanté. Toute la haine dont le cœur du père de Salviette était plein, le désir de venger sa fille, si violemment déchaîné en lui, cette haine et ce désir se traduisaient sur son visage ridé par une pâleur livide, par le léger tremblement de ses joues.
Le rideau se leva sur le second acte, sans que Jean le Gueux eût rien dit à Raoul au sujet de la belle personne que le jeune homme admirait autant que l’admiraient aussi les autres spectateurs. Mais, entre le second et le troisième acte, il prit tout à coup la parole.
— Tu m’as demandé à voir la personne de laquelle je veux que tu te fasses aimer.
— C’est vrai ! Je veux, avant tout, la connaître.
— Eh bien ! la voilà en face de toi.
— Quoi ! cette femme vêtue de rouge, belle comme une reine, gracieuse comme une fée, cette femme aux épaules blanches et dorées à la fois, aux yeux profonds et mystérieux…
— C’est elle ! Regarde-là, contemple-là. Jamais, elle ne fut aussi séduisante. Jamais !…
Raoul allait prendre la parole. Jean le Gueux l’arrêta.
— Admire-là, te dis-je. En ce moment, tu n’as rien de mieux à faire. Repais-toi de sa beauté. Et lorsque, à la distance où nous sommes d’elle, tu en auras savouré le charme, alors tu me donneras une réponse définitive.
Raoul garda le silence et Jean le Gueux prit place sur la banquette, en tournant le dos à Mme de Saramie et comme s’il eût voulu mettre un terme à une contemplation qui lui faisait mal.
Le spectacle fini, la foule s’écoula lentement.
Jean le Gueux et Raoul arrivèrent assez tôt sous le vestibule du théâtre pour voir passer, drapée dans un vaste manteau de cachemire gris, brodé d’or, l’adorable Juliette, qui répondait en souriant aux saluts respectueux que lui adressaient ses amis.
Au moment où elle passa devant les deux paysans, ses yeux furent attirés par la tête intelligente et fière de Raoul. Elle le regarda en passant, comme si elle eût été étonnée de trouver tant de distinction et de grâce sous un habit de paysan.
Raoul fut ébloui. Jean le Gueux, qui s’appuyait sur lui, sentit trembler son bras.
— Ça opère, pensa-t-il. Je tiens ma vengeance.
Mme de Saramie était déjà loin. Mais son image restait entière dans le souvenir de Raoul qui, sous le coup d’une admiration faite de désirs ardents et d’aspirations brûlantes, ne pouvait se rappeler, sans tressaillir, les paroles par lesquelles Jean le Gueux l’avaient empêché de mourir.
— Aimer cette femme ! se faire aimer d’elle ! se répétait-il, tandis qu’il marchait silencieux à côté de Jean le Gueux, suivant les boulevards déserts pour gagner leur auberge située dans un faubourg.
Tout à coup il s’adressa à son compagnon et lui dit :
— Ne voulez-vous pas au moins m’expliquer pour quelle cause vous me poussez dans les bras de cette femme ?
— Que t’importe, si tu es heureux !
— Pourrai-je être heureux si je l’aime et si je suis obligé de me dire que mon amour l’entraîne dans des maux sans nombre ?
— Des maux sans nombre. Pourquoi ?
— Si son mari découvrait qu’il est trompé !
— Son mari ne découvrira rien. Ne suis-je pas là pour veiller sur vous ? Écoute, mon garçon, un dernier mot. Tu es libre de te séparer de moi ou de te livrer avec confiance à celui qui t’a sauvé. Quoi que tu décides, je n’oublierai jamais que tu es beau et fier. Mais, si tu consens à enchaîner ta liberté, ainsi que je te l’ai proposé, et à être esclave entre mes mains, alors il faut ne jamais m’interroger sur les motifs qui dictent ma conduite. As-tu compris ?
— J’ai compris. Mais vous me poussez au crime ?
— Prends la fuite, si tu le penses ainsi.
— C’est que déjà je sens que le souvenir de cette femme s’attache à mon cœur.
— Reste alors avec moi.
— Eh bien ! oui, je reste, s’écria tout à coup Raoul. Je me livre à toi dans l’espoir de guérir par l’amour mon cœur meurtri par l’amour, et si j’en meurs, qu’importe, si j’ai connu la suprême joie d’être aimé !
Un sourire de contentement passa sur les lèvres de Jean le Gueux en entendant l’enthousiaste jeune homme s’exprimer ainsi.