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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2À la recherche d'un refuge


Louise Dumont

Le lendemain matin, Louise s’apprêta avec une précision presque militaire. Son chemisier blanc était impeccablement repassé, ses cheveux noués en un chignon strict, aussi ordonné que ses pensées tentaient de l’être. Pourtant, son cœur battait plus vite que d’habitude. Alors qu’elle ajustait son blazer devant le miroir, elle s’arrêta un instant, frictionnant nerveusement ses mains avant de les lisser sur le tissu. Elle inspira profondément. Aujourd’hui, elle allait devoir affronter une activité qu’elle redoutait : la chasse aux appartements.

Anna, fidèle à son habitude, l’attendait devant un café du 11e arrondissement, une tasse à la main et un sourire éclatant. Louise, quant à elle, marchait d’un pas mesuré, serrant nerveusement la sangle de son sac à main.

— Prête pour l’aventure, mademoiselle Dumont ? lança Anna, son ton enjoué tranchant avec l’humeur maussade de Louise.

— J’aimerais qu’on trouve quelque chose rapidement, répondit Louise avec un sourire contraint, sans répondre au ton léger de son amie.

Anna haussa un sourcil, puis hocha la tête.

— Ne t’inquiète pas, on va y arriver. J’ai dressé une liste d’appartements potentiels. On a trois visites aujourd’hui.

Louise sentit une vague de gratitude, mêlée d’une pointe d’irritation envers la légèreté d’Anna. Elle aurait aimé partager cet optimisme, mais la tâche lui paraissait déjà insurmontable.

La première visite commença dans un immeuble des années 70, situé dans le 19e arrondissement. Dès qu’elles franchirent le seuil du hall, une odeur persistante de renfermé et de produits chimiques agressa leurs narines. Louise fronça les sourcils, réprimant l’envie de rebrousser chemin.

— C’est… spacieux, hasarda Anna lorsqu’elles pénétrèrent dans l’appartement.

Louise, silencieuse, observa les murs jaunis recouverts d’un papier peint à motifs floraux délavés. La moquette sous ses pieds semblait lourde d’un vécu qu’elle préférait ne pas imaginer. Elle écouta distraitement l’agent immobilier vanter les « atouts » de l’endroit, tout en notant d’un regard critique les angles des pièces, les finitions mal faites, et l’absence totale de lumière naturelle.

— Vous voyez, avec un peu de peinture et quelques travaux de rénovation, cet espace pourrait devenir un vrai bijou, affirma l’agent en tapotant un mur.

Louise détourna les yeux vers la fenêtre, dont la vue donnait sur un mur voisin dépourvu d’intérêt. C’était presque suffocant.

— C’est un « non », n’est-ce pas ? murmura Anna avec un sourire espiègle.

Louise hocha la tête sans un mot, trop polie pour exprimer son aversion.

Le deuxième appartement fut pire. Situé près de Pigalle, il se trouvait dans un bâtiment exigu où l’air était saturé de bruit et d’agitation. Dès qu’elles entrèrent, l’odeur de friture provenant d’un restaurant voisin leur sauta au visage. En suivant l’agent immobilier dans la cuisine sombre et minuscule, Louise sentit un frisson d’agacement. Elle avait l’impression que ses standards étaient délibérément ignorés.

— Celui-là est une catastrophe, admit Anna alors qu’elles descendaient les escaliers branlants. Mais tu sais ce qu’on dit : il faut voir le pire pour apprécier le mieux.

Louise serra les dents. Elle ne voulait pas du « pire ou du mieux ». Elle voulait un endroit où elle pourrait respirer, penser, et retrouver un semblant de stabilité.

La troisième visite offrit une lueur d’espoir initiale. Situé près de la Butte-aux-Cailles, l’immeuble avait un certain charme avec ses pierres apparentes et ses balcons en fer forgé. Mais dès qu’elles pénétrèrent dans l’appartement, l’odeur âcre d’humidité et le plafond fissuré sapèrent son enthousiasme.

— C’est clair qu’on n’a pas encore trouvé ton prochain sanctuaire, conclut Anna en rangeant ses notes dans son sac à main. Mais ne t’en fais pas, on continuera demain.

Louise hocha la tête, mais son esprit était déjà accablé. Les échecs successifs pesaient lourdement sur son moral.

Elles s’arrêtèrent dans un café voisin pour reprendre des forces. Anna, toujours optimiste, parcourait son téléphone en quête de nouvelles annonces, tout en jetant des coups d’œil à Louise, qui remuait distraitement sa cuillère dans son thé.

— Tu sais, dit Anna en rompant le silence, il y a une autre option que je n’ai pas encore mentionnée.

Louise releva les yeux, intriguée malgré elle.

— Ah oui ?

— Un ami à moi connaît quelqu’un qui cherche un colocataire.

Louise soupira, secouant lentement la tête.

— Un colocataire ? Vraiment ? Je croyais que tu me connaissais mieux que ça.

— Attends, laisse-moi finir, insista Anna en riant. Il s’appelle Gabriel. C’est un musicien, un peu bohème, mais il a un grand appartement dans le 11e. Je me suis dit que ça pourrait valoir le coup.

— Anna, tu sais que je ne suis pas faite pour partager un espace personnel, encore moins avec un… artiste bohème, articula Louise avec une grimace.

Anna posa sa tasse de café avec un soupir dramatique, mais son regard restait sérieux.

— Ecoute, Louise. Je sais que ce n’est pas idéal. Mais on parle de Paris, et on n’a rien trouvé dans ton budget. Parfois, il faut faire des compromis.

Louise croisa les bras, le regard perdu dans ses pensées. L’idée d’un inconnu empiétant sur son espace personnel, dérangeant son ordre méticuleux, lui était insupportable. Mais Anna avait raison : les options se rétrécissaient dangereusement.

— Juste le rencontrer, d’accord ? ajouta Anna, adoucissant son ton. Si tu trouves ça insupportable, on oublie. Mais au moins, donne-toi une chance.

Louise soupira, sentant le poids des circonstances peser sur elle.

— Très bien, concéda-t-elle à contrecœur. Je suppose que je peux au moins le rencontrer.

Anna éclata d’un sourire triomphant.

— Parfait ! Je vais organiser ça. Fais-moi confiance, ça pourrait être plus intéressant que tu ne le penses.

Louise n’était pas convaincue. Alors qu’elle rentrait chez elle ce soir-là, elle se sentait vidée. Elle posa son sac dans l’entrée et s’arrêta au milieu de son salon, contemplant l’ordre précis qu’elle avait imposé à cet espace : les livres alignés, les coussins symétriques, et la lumière douce qui baignait les murs qu’elle avait peints elle-même.

Elle s’assit à son bureau, sortit son carnet et y inscrivit « Rencontre avec Gabriel » d’une écriture nette mais hésitante. Le mot semblait étranger sur la page, comme un élément perturbateur dans un système trop bien réglé.

Elle referma le carnet avec un soupir, levant les yeux vers le plafond. Demain, elle poserait les pieds sur un terrain inconnu. Et pour elle, c’était une perspective bien plus effrayante que tous les appartements délabrés qu’elle avait visités aujourd’hui.