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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Le poids de la décision


Camille

Camille ferma la porte de son appartement, le bruit sec du verrou résonnant dans une solitude qu’elle connaissait trop bien. La lumière du jour déclinait, projetant sur les murs blancs des ombres douces, presque apaisantes, comme si le temps lui-même hésitait à avancer. Elle posa son sac sur le canapé, s’immobilisa, les mains sur les hanches, et laissa les souvenirs de sa visite à la maison de retraite l’envahir. L’image de son père, amaigri et fragile, absorbé par le mouvement des arbres dans le parc, s’accrochait à son esprit. "Les vagues emportent tout... et elles ramènent aussi des choses." Ces mots, fragiles et énigmatiques, résonnaient en elle comme une clé qu’elle n’arrivait pas à tourner.

Elle traversa son salon d’un pas lent et entra dans la cuisine, espérant que la routine d’un thé pourrait apaiser le tumulte en elle. Elle fit chauffer de l’eau, mais même le bruit du bouillonnement lui semblait assourdissant dans le silence de son appartement. Elle ouvrit la fenêtre et inspira l’air frais, chargé d’un subtil parfum de pluie à venir. Son regard glissa sur les toits gris, ses pensées encore embrouillées par l’après-midi passé avec son père.

Attrapant son téléphone, elle balaya d’un geste les notifications qui s’étaient accumulées et scrolla jusqu’au nom de Sarah. Elle hésita, son pouce flottant au-dessus de l’écran, comme si ce simple geste allait l’entraîner dans une spirale d’émotions qu’elle n’était pas certaine de vouloir affronter. Finalement, elle appuya sur "Appeler".

"Camille ?" répondit Sarah après quelques tonalités, sa voix douce et rassurante, empreinte de cette chaleur qui avait toujours su calmer Camille.

"Salut... Tu as un peu de temps ?" demanda Camille, sa voix tendue, presque étranglée par l’émotion.

"Bien sûr. Qu’est-ce qui se passe ? Ça va ?"

Camille inspira profondément, tentant de maîtriser le tremblement de sa voix. "C’est mon père. Je l’ai vu aujourd’hui. Il veut revoir l’océan."

Un court silence suivit, puis Sarah répondit avec douceur : "Et toi, tu veux l’y emmener ?"

Camille laissa échapper un soupir. "Je ne sais pas. Il... il a l’air si fragile. Et puis, à quoi bon ? Ça va vraiment changer quelque chose ? Il ne va pas... guérir."

"Peut-être que ce n’est pas une question de guérir ou de changer quoi que ce soit," dit Sarah, sa voix teintée d’une réflexion calme. "Peut-être que c’est juste une occasion. Une chance pour lui de retrouver un peu de paix. Et peut-être pour toi aussi."

Camille s’éloigna de la fenêtre et s’installa sur le canapé, le téléphone toujours plaqué contre son oreille. "Tu ne comprends pas. C’est difficile. Il y a tellement de rancœur entre nous. Je suis encore en colère contre lui, même maintenant. Une partie de moi se demande s’il mérite vraiment que je fasse ça pour lui."

"Et toi, tu le mérites ? Parce que c’est peut-être ça qui compte. Pas lui. Toi," répondit Sarah, laissant planer un silence avant d’ajouter avec une pointe de malice : "Et puis, qui sait ? Peut-être que l’air de la mer te fera du bien aussi."

Camille eut un sourire fugace, que Sarah ne pouvait deviner, mais son cœur restait lourd. "Je ne sais même pas si j’en ai envie."

"Mais une autre partie de toi sait déjà que tu vas le faire," répliqua Sarah avec une assurance tranquille.

Camille ferma les yeux, les mots de son amie résonnant en elle. "Peut-être. Mais si je le fais, ce ne sera pas pour lui. Ce sera pour moi. Parce que je ne veux pas vivre avec ce regret-là."

"Alors fais-le pour ça. Ce serait déjà une bonne raison."

Un long silence s’installa. Camille murmura finalement un merci presque inaudible, puis termina l’appel. Elle resta immobile un instant, le téléphone posé sur sa cuisse, tandis qu’une résolution naissait en elle, fragile mais réelle.

Elle se leva brusquement, comme poussée par un élan qu’elle ne contrôlait pas, et ouvrit un placard dans le couloir. Ses doigts tremblèrent légèrement lorsqu’elle en sortit une boîte en carton beige, scotchée sur les bords. La boîte, vieille et poussiéreuse, dégageait une odeur de papier ancien et de souvenirs enfermés. Elle l’apporta dans le salon et la posa sur la table basse.

Camille hésita avant d’arracher doucement le ruban adhésif jauni. À l’intérieur, des fragments de son enfance : des photos, des lettres, des petits objets sans valeur mais lourds de sens. Elle fouilla distraitement et en sortit une photo, usée par le temps. Elle représentait ses parents et elle, sur une plage balayée par le vent. Son père tenait sa main, tandis qu’elle riait en courant. En arrière-plan, sa mère levait une main pour protéger ses cheveux.

Elle fixa l’image, ses doigts tremblant légèrement. Ce jour-là, elle s’en souvenait vaguement : les vagues glacées, le rire de son père alors qu’ils se faisaient surprendre par l’eau, la sensation de ses doigts tièdes serrant les siens. Une rare étincelle de joie, dans un passé souvent marqué par la distance.

Elle posa la photo sur la table, puis attrapa un carnet de croquis. Les pages jaunies contenaient des esquisses éparses : des arbres, des vagues, des silhouettes floues. Elle s’arrêta sur une esquisse de l’océan, un horizon tracé avec une précision presque douloureuse. Le talent de son père, qu’elle avait ignoré si longtemps, la frappait de plein fouet.

Elle referma le carnet et le serra contre sa poitrine, comme si ce simple geste pouvait combler les vides entre elle et cet homme qu’elle avait si souvent tenu à distance.

Inspirant profondément, elle attrapa son ordinateur portable et l’ouvrit sur la table basse. Elle tapa "Itinéraires vers la côte Atlantique" dans le moteur de recherche et parcourut les résultats. Les mots, les images, les cartes sur son écran semblaient soudain si tangibles, presque réels. Elle s’arrêta sur une photo d’une plage déserte, l’océan s’étendant à perte de vue, et sentit une vague d’émotion monter en elle.

Un plan prenait forme. Prendre des jours de congés. Mettre son article en pause. Louer un véhicule. Préparer tout ce dont son père aurait besoin.

Elle referma son ordinateur. Cette fois, il n’y avait plus d’hésitation. Ce voyage allait avoir lieu.

Le lendemain matin, elle envoya un message à Élise : "Bonjour, Élise. Je confirme que je vais emmener mon père voir l’océan. Je vais commencer à organiser le voyage et je vous tiendrai informée des détails. Merci pour votre soutien."

En appuyant sur "Envoyer", elle ressentit une légèreté nouvelle, un souffle d’apaisement qu’elle n’avait pas connu depuis longtemps.

Revenant dans la cuisine, elle jeta un œil à la photo restée sur la table. Elle effleura doucement l’image du bout des doigts et murmura : "On y va, papa. Je te le promets."

Et, pour la première fois depuis des années, ce n’était pas une charge qu’elle portait, mais une possibilité qui l’attendait.