Chapitre 2 — Les Ombres de Summit Ridge
Caleb Thorne
La neige crissait sous les bottes de Caleb Thorne tandis qu’il approchait du lodge de Summit Ridge, son souffle formant de fugitifs nuages dans l’air glacial de la montagne. L’odeur pénétrante de pin et de givre se mêlait à un parfum plus subtil, presque évanescent, qui éveillait en lui quelque chose de profondément ancien. Ce n’était pas seulement le froid qui aiguisait ses sens—il y avait une autre note, nichée sous les senteurs familières de la nature sauvage. Ses yeux ambrés se tournèrent vers l’horizon assombri, où de lourds nuages tourbillonnaient avec une menace silencieuse, une tempête dont la promesse pesait dans l’air.
Ses doigts se resserrèrent sur la sangle de cuir de son sac de voyage, le matériau usé émettant un léger gémissement sous la pression. Le lodge se découpait devant lui, une structure imposante de bois et de pierre se détachant sur le fond des sommets escarpés. Sa magnificence était teintée d’un mystère latent—un lieu où le pouvoir changeait de mains dans des murmures plutôt que par des proclamations. Caleb connaissait bien l’histoire de cet endroit—un terrain neutre pour des affaires qui prospéraient dans l’isolement et la discrétion. Ce lieu portait toujours une tension palpable, et ce soir ne faisait pas exception.
Un mouvement furtif à l’une des fenêtres givrées capta son attention. Une silhouette se tenait juste derrière, baignée par la lumière chaude et dorée du lodge. Harper Ellison.
Même à cette distance, sa présence était indéniable. Épaules droites, menton légèrement relevé, elle dégageait une assurance presque provocatrice. Son manteau ajusté, élégant et impeccable, soulignait sa silhouette élancée, projetant une image de contrôle et de professionnalisme. Mais derrière cette façade polie, Caleb percevait une autre dimension—un frisson subtil, presque imperceptible, qui n’était pas tout à fait humain.
Sa mâchoire se tendit, son instinct éraflant les bords de son calme. Il poussa la lourde porte du lodge, s’engouffrant dans une bouffée de chaleur. Les parfums mêlés de bois brûlé, de cuir verni et de résine ancienne l’enveloppèrent. Le crépitement apaisant de la cheminée en pierre imprégnait l’espace voûté, projetant des ombres mouvantes sur les murs de bois. Le personnel évoluait avec une efficacité maîtrisée, leurs pas étouffés par des tapis épais, leurs visages neutres incarnant la discrétion propre à ces lieux. Caleb inclina brièvement la tête vers l’un d’eux, une figure familière de ses visites passées. Leur reconnaissance silencieuse réaffirmait les règles tacites du lodge.
Harper se retourna au son de la porte qui se refermait, ses yeux gris perçants se fixant sur lui. Pendant un instant, la pièce sembla se retirer, l’air entre eux chargé d’une tension presque palpable.
« Monsieur Thorne, » déclara-t-elle d’une voix lisse et concise, teintée d’une pointe d’impatience. « Je suppose que c’est vous qui m’avez convoquée ici. »
Caleb posa son sac près de la porte, retirant sa veste avec une lenteur délibérée. « Convoquée ? » répéta-t-il d’un ton calme et grave, bien que son amusement ne franchisse pas ses yeux. « J’appellerais ça une invitation. Je suis ravi que vous l’ayez acceptée. »
Ses lèvres se pincèrent en une ligne stricte, une ombre de scepticisme passant fugitivement sur son visage. « Un message non signé avec des instructions cryptiques n’est pas une invitation dans mon livre. »
Un sourire effleura ses lèvres, plus réflexe que sincère. « Parfois, une méthode inhabituelle est la plus efficace. Et ça a fonctionné, non ? »
Son regard devint acéré, décortiquant Caleb avec une précision presque chirurgicale. « Pourquoi suis-je ici, Monsieur Thorne ? » demanda-t-elle, croisant les bras dans un geste calculé et légèrement défensif.
« Caleb, » corrigea-t-il doucement. « Et vous êtes ici parce que nous avons un problème commun. »
Son sourcil s’arqua, son silence l’incitant à poursuivre. Elle ne lâcherait rien avant d’obtenir plus d’informations. Astucieuse.
Il désigna la zone salon près de la cheminée. « Asseyons-nous. Ce n’est pas une discussion à tenir dans l’entrée. »
Son hésitation fut brève, ses yeux se plissant légèrement comme si elle évaluait un risque, mais elle avança avec une détermination méthodique. Caleb la suivit, ses yeux attirés un instant par le pendentif qu’elle portait—une simple goutte d’argent ornée de motifs tourbillonnants captant la lumière du feu. Pendant une fraction de seconde, les motifs semblèrent onduler, presque pulser. Quelque chose de primitif s’éveilla en lui, une attraction inexplicable mais impossible à ignorer. Sa main effleura le métal froid de sa bague d’alpha, y trouvant un ancrage alors qu’il apaisait ses instincts.
Harper choisit le bord d’un fauteuil en cuir, sa posture rigide, chaque mouvement mesuré. Caleb s’installa dans le siège opposé, adoptant une aisance décontractée qui masquait la tension grandissante sous la surface.
« Je vais être claire, » commença-t-elle, brisant le silence d’un ton tranchant. « Ma société a été sabotée et je compte bien découvrir qui en est responsable. Si vous avez des informations, je vous conseille de parler maintenant. »
Caleb l’observa, penchant légèrement la tête. Il y avait une dureté dans sa voix, mais il décelait une légère vibration d’inquiétude sous la surface. « J’ai des informations, » dit-il lentement, avec intention. « Mais avant, je dois savoir jusqu’où vous êtes prête à aller pour protéger votre travail. »
Ses yeux gris se rétrécirent, une étincelle de défi y brillant. « Tout. »
Le mot résonna entre eux, dense de conviction. Caleb sentit une pointe de respect, tempérée par une prudence instinctive. Farouche, sans aucun doute. Mais cette témérité pourrait s’avérer dangereuse.
« Bien, » dit-il après un moment. « Parce qu’il le faudra probablement. »
Sa mâchoire se contracta, unique réaction visible qu’elle permit. « Je n’ai pas de temps à perdre avec des devinettes, Monsieur Thorne. Si vous savez quelque chose, dites-le. »
« Caleb, » corrigea-t-il encore une fois, en se penchant légèrement en avant, ses coudes appuyés sur ses genoux. « Votre appareil d’intelligence artificielle, » commença-t-il, sa voix se teintant presque d’un grondement, « fait bien plus que ce que vous croyez. Et il attire l’attention de personnes qui préféreraient le détruire plutôt que de le voir tomber entre de mauvaises mains. »
Ses sourcils se froncèrent, un scepticisme traversant son visage. « De quoi parlez-vous ? Mon appareil est conçu pour la sécurité des entreprises—rien de plus. »
« C’est ce que vous croyez, » répondit Caleb, d’un ton calme mais ferme. « Mais votre technologie—que vous l’ayez voulu ou non—a le potentiel de révéler des choses qui sont restées enfouies pendant des siècles. »« Des choses qui n’auraient jamais dû être découvertes. »
Un léger frisson d’incertitude traversa son expression avant qu’elle ne le dissimule. « Tu restes volontairement vague. Quel genre de choses ? »
Caleb hésita, pesant ses mots. Révéler trop d’informations trop tôt risquait de l’accabler—et de la pousser à s’éloigner avant qu’elle ne comprenne véritablement les enjeux. La confiance était une chose délicate, et avec Harper, c’était un équilibre qu’il ne pouvait se permettre de rompre.
« Disons simplement, » finit-il par dire, « qu’il existe des gens prêts à tout pour garder certains secrets enfouis. Et ton appareil t’a mise dans leur ligne de mire. »
Ses doigts effleurèrent son pendentif, un geste subtil mais révélateur. Le regard de Caleb suivit ce mouvement, son instinct en alerte. La lueur discrète de l’argent, presque imperceptible, éveilla en lui une sensation ambiguë mêlant curiosité et mise en garde.
« Si tu essaies de me faire peur, » rétorqua-t-elle d’une voix ferme mais teintée d’une pointe de défi, « il va falloir mieux t’y prendre. »
« Je n’essaie pas de te faire peur, » répondit Caleb, son ton devenant plus grave. « J’essaie de te prévenir. Il ne s’agit pas seulement de ton entreprise ou de ta carrière. C’est bien plus vaste que cela. »
Ses yeux gris plongèrent dans les siens, insondables mais perçants. Il pouvait distinguer une lueur de doute, la mince fracture dans son armure alors qu’elle commençait à mesurer la portée des paroles qu’il venait de prononcer.
Avant qu’elle ne puisse répliquer, la porte d’entrée du chalet grinça en s’ouvrant, laissant entrer une bourrasque de vent glacial qui envahit la pièce. La tête de Caleb se tourna vivement vers le bruit, ses sens immédiatement en état d’alerte.
La tempête approchait. Et avec elle, quelque chose de bien plus menaçant.