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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3<br>*<br>


Elles pouvaient être huit ou dix, toutes jolies, plus jolies même les unes que les autres, mais d’une joliesse, malgré leur âge, leur très jeune âge, qu’on sentait sur le point de se ternir. Les peaux étaient fines et satinées encore, les corps sveltes, les lèvres rouges à souhait, mais déjà marquées à leur commissure par cet imperceptible pli d’amertume propre aux êtres qui ont choisi ou se sont vu imposer la décevante profession du plaisir.

Vêtues agréablement, d’ailleurs, sans mantille, avec des hibiscus ou des pivoines dans leurs cheveux drôlement ébouriffés chez les unes, ramenés chez les autres derrière la nuque en sombres chignons, elles se drapaient dans des châles de laine noire ou de soie blanche, aux longues franges, aux coins brodés de fleurs. Elles attendaient, assises sur des chaises ou sur des bancs, sous une des tonnelles les plus vastes de la terrasse, celle qui était située à droite de la grande porte d’entrée de l’hôtel. Elles s’inclinèrent, sans servilité ni forfanterie, quand doña Fraisette parut sur le seuil.

Elle avait un dossier sous le bras, et son redoutable face-à-main en bataille. Elle le braqua, à tour de rôle, sur chacune des jeunes femmes, après s’être installée solennellement sous la tonnelle, devant une petite table.

« C’est bien vous qui avez demandé à doña Angelica, ma cousine, la faveur d’être convoquées ? »

Elles firent un signe de tête affirmatif. Sur quoi, doña Fraisette ouvrit son dossier.

« J’ai vos lettres ici. Nous allons voir ce qu’il m’est possible de faire pour chacune de vous.

— Señora… » commença une grande fille brune, qui ne donnait pas l’impression de s’en laisser conter.

Doña Fraisette la toisa avec hauteur.

« Señorita, si ça ne te fait rien ! rectifia-t-elle aigrement.

— Señorita, la lettre par laquelle la señorita Angelica a bien voulu répondre à la mienne prévoyait que c’était elle-même qui me recevrait. Soit dit sans vous offenser, je préférerais…, nous préférerions…

— Ma cousine est absente, répliqua doña Fraisette avec sécheresse. En tout cas, ma petite, il y a une chose qu’il faut que vous sachiez, tes compagnes et toi, c’est que j’ai pleins pouvoirs ici, en particulier pour désigner celles d’entre vous qui sont susceptibles de faire l’affaire de l’établissement. S’il y en a, parmi vous, à qui cela déplaît, elles n’ont qu’à aller tenter leur chance ailleurs. Ni moi, ni ma cousine, nous n’y verrons d’inconvénient. »

Ces paroles furent ponctuées d’un regard qui ne débordait pas de bienveillance. Les danseuses baissèrent la tête. On aurait beaucoup surpris doña Fraisette si on était venu lui dire que c’étaient des façons de ce genre qui faisaient qu’elle n’était pas unanimement adorée.

« Allons ! Ne perdons pas de temps ! Je n’ai pas que cela à faire, comme bien vous l’imaginez, Micaëla Perez ! C’est toi, avance un peu, qu’on te voie. »

Micaëla Perez obéit. Elle marcha vers la table, tandis que doña Fraisette continuait à éplucher les pièces et notes annexées à sa demande. C’était une bizarre fille rousse, avec un châle à franges réséda, et dont les yeux paraissaient d’onyx.

« Nous disons donc : Micaëla Perez, dix-neuf ans ; états de service : l’Alcazar de Caracas, l’Eldorado de Santa Fé ; recommandée par le directeur de la police municipale… Oh ! oh ! Fais quelques pas. »

Nonchalamment, avec une indifférence apparente, Micaëla fit les quelques pas demandés.

« Là ! Je pense que ça pourra aller. Tu connais les conditions du contrat ?

— Probable. C’est partout pareil. Répétez-les, pour voir, tout de même.

— Volontiers. Mais vous, alors, les autres, profitez-en pour écouter ! L’heure du vermouth ; tous les soirs, de six à huit heures ; plus, les dimanches et jours de fête, le matin de huit heures et demie à midi et demi ; puis, tous les soirs, de neuf heures à minuit, la danse et la conversation avec les clients. Dix pour cent sur les consommations servies à ta table, vingt pour cent sur le prix des chambres louées en ton nom. C’est le tarif du syndicat. Ça te convient ? »

Micaëla eut un haussement d’épaules lassé.

« Ça me convient.

— Bon ! À la suivante, alors. Castillo, Clara Castillo. Mais qu’est-ce que cela ? On ne s’entend plus, ici ! »

S’interrompant avec colère, doña Fraisette s’était dressée, coiffe de travers, plus rouge qu’une crête de dindon.

« Machacucho ! » appela-t-elle.

Un serviteur, occupé à arroser les fleurs, s’approcha sans se hâter.

« Qu’est-ce que cela signifie ?

— Ce sont les soldats, señorita.

— Imbécile, tu crois que je ne l’ai pas compris ? Fais-moi le plaisir d’aller leur demander de ma part s’ils sont devenus fous. Ou plutôt, non ; envoie-moi tout de suite le maréchal des logis. »

Si hay piedras en el camino,

¡ qué nos importan !

Sobre tu rostro y el mio

azul de cielo…

Invisibles chanteurs dont le chœur s’élevait du contrebas de la route, c’étaient bien les douze lanciers de Marabumba qui étaient en train d’offrir gracieusement à la clientèle de Tras los Montes ce petit concert matinal. Cela avait débuté par une mélopée assez discrète. On eût dit que ces messieurs cherchaient d’abord à tâter le terrain. À présent, ils y allaient à tue-tête. Il était douteux, vraiment, qu’un travail de soutènement poursuivi dans de telles conditions présentât pour l’avenir toutes les garanties de sécurité désirables.

Ce ne fut point Marabumba, introuvable pour l’instant, qui se rendit à la convocation de doña Fraisette, mais un petit brigadier, phraseur et chafouin, à qui le maréchal des logis, trop grand seigneur pour s’occuper de tels détails, abandonnait, toutes les fois qu’il le pouvait, la surveillance du détachement.

« Eh bien, señor Hilario, je n’ai pas de compliments à vous faire ! cria doña Fraisette, du plus loin qu’elle l’aperçut.

— Et pourquoi donc, señorita ? fit doucereusement le señor Hilario.

— Comment, pourquoi ? Veuillez prendre la peine d’écouter. Dans une maison qui se respecte ! C’est-à-dire que c’est une honte. »

Doña Fraisette n’exagérait pas. La discrète romance de tout à l’heure était en train de prendre l’amplitude d’un véritable hymne guerrier.

Ya regresa el jinete de la guerra ;

pasa cantando,

como ensoñando,

al pensar que otra vez aquí en su tierra

tendrá el querer

de una mujer.

Don Hilario sourit, bonhomme :

« Il ne faut pas leur en vouloir, doña Fraisette. C’est si jeune, et il fait si chaud !

— Et alors ?

— L’heure du vermouth ne doit plus être éloignée. Ils espèrent attirer l’attention sur eux.

— Bravo ! J’ai compris ! Leur donner à boire pour les faire taire ? Ce n’est plus du chant, c’est du chantage, cela.

— Joli, très joli ! dit, avec une grimace d’extase, le brigadier qui savait apprécier les bons mots.

— Vous aurez, fit doña Fraisette, furieuse, l’obligeance de garder vos compliments pour vous. Retournez, je vous prie, vers vos hommes, à qui je vous charge d’annoncer qu’ils n’auront rien du tout avant midi, rien. Je ne tiens pas à ce que le mur s’élève de travers. Il ne sera peut-être également pas inutile d’ajouter que, là-haut, tous ces messieurs dorment encore. Si vos braillards ont le malheur de les réveiller, je préfère ne pas être là pour voir ce qui arrivera. »

Parlant ainsi, elle désignait les volets clos des chambres de la galerie du premier étage. La menace, cette fois, porta. On vit le señor Hilario se faire plus menu encore et battre précipitamment en retraite. Le temps, pour lui, de rejoindre ses petits camarades, et le chant s’arrêta brusquement.

Ce fut au tour de doña Fraisette de sourire. Elle rajusta triomphalement l’architecture de sa coiffure compromise, puis, se replongeant dans les dossiers étalés devant elle :

« Nous disions donc : Castillo, Clara Castillo, recommandée par M. le préfet… Allons, bon ! qu’y a-t-il encore ? Guadalupe, qu’est-ce que tu veux ? »

Guadalupe, domestique indienne entre deux âges, plus près du second cependant, se tenait à l’entrée de la tonnelle, courbée en deux et donnant les signes de la plus intense émotion.

« Réponds-moi donc ! Qu’as-tu, idiote ? Quelqu’un veut me voir ? Qui cela ? »

Guadalupe dit, se courbant davantage encore :

« Don Porfirio Manzanarès, señorita !

— Don Porfirio Manzanarès ?… »

Doña Fraisette avait bondi.

« Le vicaire capitulaire de la cathédrale ! Ici ? Où est-il ? »

Guadalupe n’eut pas le temps de répondre. Quelqu’un venait de l’écarter doucement, tandis que retentissait une aimable voix, onctueuse, un peu grasseyante :

« Me voici, chère doña Fraisette, me voici. »

La vieille fille dut bien mettre une bonne minute à revenir de sa stupéfaction.

« Monsieur le vicaire capitulaire, quel honneur ! répétait-elle.

— Je vous en prie, chère doña Fraisette. C’est moi, au contraire, qui m’excuse de vous déranger si matin. Mais j’arrive de voyage et je vais avoir une journée très chargée. Ah ! à ce propos, j’ai bien des choses à vous dire de la part d’une amie à vous, doña Urraca, la propriétaire du buffet de la gare de Mosquera. J’ai fait avec elle, pas plus tard qu’hier soir, une partie d’échecs pleine d’intérêt.

— En effet, dit doña Fraisette, qui finissait par reprendre ses sens. Vous êtes trop bon, monsieur le vicaire capitulaire. Urraca ? Oui, une vieille amie, en effet. Mais j’espère que ce n’est pas uniquement pour cela… Vous n’avez pas l’air du tout fatigué, monsieur le vicaire capitulaire. On ne croirait pas que vous avez passé dans le train la majeure partie de la nuit. »

Don Porfirio sourit avec bienveillance.

« Peut-être, doña Fraisette, n’avez-vous jamais pris vous-même le train. Sans cela, vous n’ignoreriez pas qu’on peut fort bien y dormir. Mais que faites-vous ? Ah ! non, par exemple ! Je ne permets pas… »

Se souvenant tout à coup de la présence des danseuses, doña Fraisette venait de leur faire signe de lui rendre un instant sa liberté. C’était contre cet ordre que le vicaire capitulaire s’insurgeait.

« Je ne veux pour rien au monde vous empêcher de continuer à vaquer à vos petites occupations. Chacun a les siennes, ici-bas. D’ailleurs, ce n’est pas à vous, mais à votre cousine que j’ai à parler.

— Angelica ? Elle n’est pas là », dit doña Fraisette, légèrement vexée.

L’ecclésiastique réprima un geste de mécontentement.

« C’est bien ma chance ? Où donc est-elle ?

— À la grand-messe, monsieur le vicaire capitulaire, à la grand-messe », répondit doña Fraisette, assez satisfaite, du coup, de cette réplique-là.

Don Porfirio la regarda avec étonnement.

« À la grand-messe, dites-vous ? Ce n’est pourtant pas dimanche, que je sache.

— Sans doute », dit doña Fraisette, qui commençait à redouter vaguement que son interlocuteur ne se moquât d’elle. « Mais c’est tout de même la fête de la Très Sainte Visitation. »

Elle put constater que la surprise de don Porfirio n’était pas feinte. Éclatant de rire, il venait de se frapper le front.

« Ma parole, vous avez raison ! Cela m’était complètement sorti de l’esprit. Voilà ce que c’est que les voyages. On arrive à ne plus savoir comment on vit.

— Il n’y a pas de mal, il n’y a pas de mal, dit doña Fraisette, qui avait beaucoup d’aptitude à devenir très rapidement condescendante et protectrice. D’ailleurs, voilà les cloches qui annoncent la fin de l’office. Dans un quart d’heure, Angelica sera de retour. Asseyez-vous, et attendez-la, si vous n’êtes pas trop pressé. Vous accepterez bien de prendre quelque chose ?

— Mon Dieu, ce n’est pas de refus. Un punch au gingembre, si vous en avez ?

— Naturellement, et de première qualité. »

Les danseuses, abandonnées à elles-mêmes depuis longtemps, commençaient à rire et à se pousser du coude. Doña Fraisette en foudroya deux ou trois du regard. Paternellement, don Porfirio s’interposa.

« Laissez donc s’amuser cette belle jeunesse. Je prétends ne pas être un trouble-fête, ici. Et qui sont, je vous prie, doña Fraisette, ces charmantes personnes ? »

Doña Fraisette eut un sourire gêné.

« Des danseuses, sauf votre respect, monsieur le vicaire capitulaire. C’est ce soir que doit avoir lieu la grande kermesse annuelle au profit de la Croix-Rouge arequipéenne, sous la présidence d’honneur de Son Excellence M. le gouverneur général de la province de Las Palmas. »

Don Porfirio approuva d’un signe de tête.

« Je connais. Belle, très belle œuvre. Je l’ai signalée à monseigneur. Sa Grandeur a bien voulu lui accorder sa bénédiction. »

Doña Fraisette fit une révérence.

« Monsieur le vicaire capitulaire, bien obligée. Il faut donc vous dire que, cette année, pour la première fois cette fête a lieu chez nous. C’est un honneur, don Porfirio, dont Tras los Montes doit se montrer digne. Angelica entend ne rien négliger pour que la recette de ce soir batte les recettes de toutes les années précédentes. Voilà pour vous expliquer l’affairement qui règne ici aujourd’hui. Nous ne pouvons espérer atteindre ce résultat qu’en multipliant les attractions offertes au public. C’est la raison pour laquelle vous me trouvez présentement occupée à procéder à l’engagement de danseuses supplémentaires. Telles sont, monsieur le vicaire capitulaire, les nécessités de notre exploitation. »

Don Porfirio étendit la main.

« Chaque profession a les siennes, doña Fraisette, dit-il avec gravité. N’éprouvez-vous pas, vous aussi, des difficultés grandissantes dans votre recrutement ? »

Doña Fraisette leva les yeux au ciel.

« À qui le dites-vous ! Et remarquez que ce ne serait rien sans les recommandations politiques. Tenez, la donzelle que voici a dans son dossier une lettre du sénateur Delmonico. Que voulez-vous que je fasse ? Je suis bien obligée de l’engager… Allons, bon, Sainte Mère du Christ ! Ne voilà-t-il pas que ça recommence ? » Sans rien perdre de sa sonorité, l’inspiration des lanciers-maçons était en train de devenir nettement lyrique.

Si hay piedras en el camino,

¡ qué nos importan !

Sobre tu rostro y el mio

azul de cielo…

« Je vais leur en donner ! hurla doña Fraisette, hors d’elle-même. Machacucho, débrouille-toi comme tu voudras : trouve-moi immédiatement le maréchal des logis Marabumba.

— Je le cherche partout, señorita, dit piteusement Machacucho, et je ne peux pas arriver… »

Brusquement, il s’interrompit, et en même temps que lui tous les rires, toutes les conversations, tous les mille bruits de la terrasse. Ainsi le petit peuple de la basse-cour se réfugie dans un silence plein d’angoisse quand surgit l’ombre du milan.

Doña Fraisette s’était signée.

« Qu’est-ce que je disais ! Ils ont réussi à en réveiller un. »

Au premier étage, une des portes-fenêtres donnant sur la galerie venait de s’ouvrir avec fracas, tandis que retentissait une voix de tonnerre.

« Silence, tas d’imbéciles ! Vous allez voir, dès que je serai en bas. Maréchal des logis Marabumba !

— Votre Honneur ! » balbutia, au port d’armes au pied du balcon, Marabumba, qui avait reparu comme par enchantement.

Sur la galerie, un homme venait de surgir, une espèce de géant botté et basané, en manches de chemise et culotte de cheval bleu pâle, à bandes d’argent.

« Maréchal des logis, quatre jours de consigne au quartier. Cela vous apprendra à surveiller vos hommes. Tiens, Fraisette ! déjà levée ? Quelle heure est-il donc ?

— Bientôt dix heures, Votre Honneur », répondit doña Fraisette en s’inclinant.

L’homme aux bandes d’argent eut un haut-le-corps de surprise.

« Dix heures, déjà ! Je descends. »

Et il disparut dans sa chambre.

Il y eut sous la tonnelle un instant de surprise, que don Porfirio utilisa pour allumer un de ces maduros qu’il aimait tant.

« Quel est donc ce militaire qui a une si belle voix ? demanda-t-il avec une fausse désinvolture.

— Don Ramon Salazar, chef d’escadrons au 3e régiment de lanciers, répondit doña Fraisette brièvement.

— C’est cela ! Il m’avait bien semblé le reconnaître. Mais comme je ne l’avais encore jamais vu qu’en tenue réglementaire, vous comprenez… »

Il ajouta, baissant la voix :

« Il est donc vrai qu’il habite chez vous. On me l’avait affirmé, je ne l’avais pas cru. »

Doña Fraisette allait répondre, et sans doute assez vertement. Juste à ce moment, son regard tomba sur les danseuses. Elle réprima un léger mouvement d’impatience.

« Faites-moi donc, vous autres, ordonna-t-elle, le plaisir d’aller faire un tour de promenade dans le jardin. Cela permettra à celles que j’aurai engagées de se familiariser avec les lieux. Je vous rappellerai quand j’aurai besoin de vous. »

Elles ne se le firent pas dire deux fois. Toutes ces confidences, échangées d’ailleurs à voix trop basse, ne les intéressaient pas. Aussi ne mirent-elles guère de temps à s’envoler de la tonnelle. Sitôt la dernière disparue, doña Fraisette, un peu agressive, se tourna vers don Porfirio.

« Monsieur le vicaire capitulaire, vous disiez donc ?… Ah ! oui, vous vous étonniez de voir le commandant Salazar loger ici ? Et puis après ? Les officiers sont bien libres d’habiter où ils veulent, je suppose. Et vous admettrez avec moi que Tras los Montes, sous le rapport de la respectabilité…

— Garde à vous ! »

Ce coup-ci, c’était la voix de Marabumba, une voix sous l’éclat de laquelle un certain trouble n’arrivait pas à se dissimuler tout à fait. Un second officier venait d’apparaître qui portait également la tenue de jour du 3e lanciers, le pantalon bleu ciel à double bande d’argent, la tunique blanche à parements d’or. Comme décoration, une seule, mais qui était la plaque noir et or de grand officier de l’ordre du Corbeau. Il avait commencé par surgir sur le seuil de la grande porte de l’hôtel. Puis, avec lenteur, il avait traversé la terrasse, salué par le Garde à vous de Marabumba. À présent, il se tenait debout dans une sorte de belvédère qui dominait l’endroit de la route où travaillaient les soldats. Lorsque, précipitamment, ceux-ci s’étaient mis au port d’armes, on avait entendu le cliquètement sec des pelles et des pioches maniées en place de lances ou de fusils. Puis, de nouveau, un grand silence s’était établi.

« Repos ! »

Sous la tonnelle, don Porfirio avait saisi la main de doña Fraisette.

« Le colonel Iramundi ! Je ne me trompe pas ? C’est bien lui ? »

La vieille fille fit un signe affirmatif :

« C’est bien lui.

— Alors, dit le vicaire capitulaire, qui, fort bien d’ailleurs, continuait à jouer la surprise, Tras los Montes est donc devenu le quartier général du 3e lanciers ? »

Doña Fraisette mit un doigt sur ses lèvres :

« Je vous en prie, don Porfirio, rendez-vous compte : le colonel se dirige justement de notre côté. »