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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Ombres à Paris


Isabella

Le Black Thorn Club se dressait comme une cathédrale d’ombres et de sons, son pouls vibrant à travers la ruelle marquée de graffitis tandis qu’Isabella approchait. La pluie rendait le trottoir glissant, et l’air était lourd des odeurs mêlées de ciment humide, d’alcool renversé et d’un désespoir inavoué. La porte d’acier sans inscription devant elle se fondait parfaitement dans son environnement, tel un prédateur immobile. C’était un portail menant non seulement à un autre monde, mais à l’ombre d’Albelino—son royaume de décadence et de danger.

Reserrant sa capuche, Isabella scruta la ruelle d’un regard vif et calculateur. Ses yeux verts perçants sondèrent chaque recoin obscur, répertoriant les menaces potentielles. Chaque son faible—le bourdonnement lointain de la circulation, l’écho de rires, le claquement de pas invisibles—lutait pour capter son attention. Lorsqu’elle fut certaine de ne pas être suivie, sa main se posa sur l’acier glacé. La porte grogna en s’ouvrant, et le chaos intérieur l’engloutit.

Le club assaillit ses sens tel un ouragan. Une musique rythmée aux basses lourdes battait à travers les murs, une cadence implacable et omniprésente. Des draperies de velours rouge absorbaient les éclats erratiques des stroboscopes tandis que des corps se mouvaient dans la brume mêlée de fumée de cigarette et d’ombre. L’air empestait de sueur, de cendres et de la douceur des cocktails renversés, avec une nuance sous-jacente de menace. Autrefois, cet endroit avait été un refuge pour elle. Désormais, c’était devenu un terrain de chasse.

Elle avançait avec assurance, chacun de ses pas mesuré, son regard acéré comme une lame. Quelque part dans le tumulte de la musique et des conversations chuchotées résidaient les réponses qu’elle cherchait. Sa main effleura le poids du *Livre Rouge*, bien dissimulé dans sa veste. Sa reliure en cuir usée était une boussole, chaque nom un fil du vaste empire d’Albelino—une toile qu’elle tisserait jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien.

Le bar se dressait devant elle, une île polie au milieu du tumulte. Sa cible s’y trouvait, affalée contre le comptoir, son costume froissé et son attitude agitée le distinguant des clients plus élégants. Henri Durand. Ses doigts enroulés autour d’un verre de whisky à moitié vidé, tandis que son autre main tapotait un rythme nerveux sur le comptoir. Il ressemblait à un homme se noyant dans sa propre insignifiance, mais Isabella savait mieux que cela. En tant que l’un des lieutenants les moins fiables d’Albelino, l’amertume et la paranoïa d’Henri le rendaient dangereux—et pourtant utile.

« Tu es loin de chez toi, » murmura-t-elle en s’asseyant sur le tabouret à côté de lui. Sa voix était basse, perçant le tumulte sans attirer l’attention.

Henri sursauta, ses yeux injectés de sang se fixant sur son visage. La reconnaissance s’insinua, suivie rapidement par la crainte. Ses épaules se raidirent, ses doigts se crispèrent autour de son verre. « Isabella, » siffla-t-il, sa voix rauque à peine audible au-dessus de la musique. « Tu ne devrais pas être là. Albelino— »

« Sait que je suis en vie, » l’interrompit-elle, son ton aussi tranchant et froid qu’une lame. « Et je suis sûre qu’il aimerait régler ça. Mais pour l’instant, c’est moi qui suis assise à côté de toi, et je ne suis pas là pour bavarder. »

Son regard balaya la pièce, son malaise palpable. Il ressemblait à un animal traqué, évaluant chaque sortie, calculant ses chances de fuite. « Tu es une morte en sursis, » murmura-t-il, se penchant plus près. L’odeur âcre de whisky sur son souffle la heurta. « Tu le sais, n’est-ce pas ? »

Un mince sourire effleura ses lèvres, bien qu’il n’ait rien de chaleureux. « Alors je n’ai rien à perdre. » Elle laissa sa main retomber sur sa cuisse, ses doigts frôlant la poignée gravée de *L’Étreinte*. Le mouvement était subtil mais délibéré—un rappel de sa précision et de sa préparation. Ses yeux s’attardèrent sur le geste, et elle vit la couleur quitter son visage.

« Que veux-tu ? » demanda-t-il, sa voix se brisant sous le poids de sa peur.

« Des réponses, » dit-elle simplement, se penchant plus près. Son ton baissa, tranchant et acéré. « Tu étais à la réunion avec les Irlandais. Que prévoient-ils ? »

La main d’Henri trembla alors qu’il vidait son verre d’un trait. Sa mâchoire se contracta, ses lèvres se tordant comme s’il luttait contre les mots qu’elle voulait entendre. « Une cargaison, » avoua-t-il à contrecœur, sa voix un murmure rauque. « Trafic d’armes. Demain soir, les docks près de Saint-Ouen. Ils s’associent à Albelino—ils étendent ses opérations. C’est plus grand que tout ce qu’ils ont fait jusqu’à maintenant. »

Son cœur s’accéléra, bien que son extérieur restât impassible. Les implications étaient énormes. Ce n’était pas qu’un simple trafic d’armes ; c’était Albelino qui solidifiait sa domination. Elle avait besoin de plus.

« Et Marco Enzo ? » insista-t-elle, sa voix plus basse maintenant mais tout aussi menaçante. « Qu’est-ce qu’Albelino prévoit pour lui ? »

Henri hésita, une lueur de ressentiment traversant son visage. « Tu te crois maligne à déterrer des secrets ? » Ses lèvres se retroussèrent dans un rictus, mais sans conviction. « Albelino ne se soucie ni de toi ni d’Enzo. Pour lui, tu n’es qu’un outil parmi d’autres. Une arme dont il n’a plus besoin. Tu crois être libre ? Il vous écrasera tous les deux avant même que vous ne puissiez agir. »

Son masque glissa, ne serait-ce qu’un instant. Une douleur tordit son extérieur glacé, une lame raclant des blessures anciennes. Mais elle refoula l’émotion, l’enfouissant sous sa résolution. « Tu me prends pour quelqu’un qui a peur de se battre, » dit-elle platement, sa voix elle-même une arme. « Mais ce n’est pas moi qui me noie ici, Henri. »

Avant qu’il ne puisse répondre, l’air changea. Ses instincts s’aiguisèrent, vifs et immédiats. Dans le coin de sa vision, deux hommes se déplaçaient avec une précision inquiétante, leurs yeux rivés sur elle comme des prédateurs. Les hommes de main d’Albelino. Elle reconnut leurs visages, leur froide efficacité. Ils n’étaient pas là pour boire.

« Le temps est écoulé, » murmura Henri, la résignation pesant lourd dans sa voix. « Tu as creusé ta tombe, fille. Bonne chance pour t’y allonger. »

Isabella ne répondit pas. Elle glissa du tabouret, ses mouvements fluides alors qu’elle se fondait dans la foule. Le battement de la musique masquait ses pas, mais elle sentait les hommes de main se rapprocher. La disposition labyrinthique du club offrait une couverture, mais l’évasion était loin d’être certaine. Son esprit s’emballa, calculant les itinéraires et pesant les risques.

Elle s’enfonça dans un couloir étroit près de la cabine du DJ, les basses assourdissantes se transformant en un bourdonnement étouffé. Les pas derrière elle devinrent plus forts, plus lourds. Au bout du couloir, sa main effleura un panneau dissimulé qu’elle avait mémorisé des semaines auparavant.D'un geste rapide, elle fit glisser le panneau, révélant une pièce de stockage sombre et exiguë.

Elle se glissa à l'intérieur, le panneau se refermant derrière elle, plongeant l'espace dans un silence oppressant. L'obscurité l'entourait, tandis que ses doigts trouvaient la garde du poignard, l'acier froid l'ancrant à la réalité. Elle s'appuya contre le mur, s'efforçant de calmer sa respiration. Dehors, des pas s'arrêtèrent.

Les secondes semblèrent s'étirer à l’infini. Chaque grincement du plancher, chaque voix étouffée, résonnait comme une alerte. Son cœur battait à tout rompre, mais sa prise sur *L’Étreinte* resta ferme. Finalement, les pas s’éloignèrent, disparaissant dans le lointain.

Elle expira lentement, ses muscles se relâchant légèrement, dissipant une part de la tension qui l’habitait. La pièce de stockage restait oppressante, l’air chargé de poussière, mais elle avait accompli sa fonction.

Quand elle ressortit, le chaos du club l’engloutit à nouveau. Elle traversa l’enchevêtrement de corps avec une précision calculée, ses mouvements rapides et délibérés. Ses yeux perçants balayaient les environs à la recherche de menaces persistantes, mais les hommes de main avaient disparu. Lorsqu’elle atteignit la ruelle, le poids de *Le Registre Rouge* contre son flanc semblait plus lourd que jamais.

La pluie s’était calmée en une fine bruine, et la lumière de la ville dansait sur le pavé humide. Isabella releva sa capuche, ses yeux verts perçant les ténèbres. Lyon avait été un champ de bataille. Paris ne ferait pas exception.

Ses prochaines étapes étaient désormais claires dans son esprit : les docks près de Saint-Ouen, le trafic d’armes, et Marco Enzo.

Alors qu’elle s’évanouissait dans la nuit parisienne, les pièces du jeu étaient en mouvement. Chaque pas la rapprochait un peu plus de l’effondrement de l’empire d’Albelino, fil par fil. *Le Registre Rouge* était son arme, et avec chaque nom, chaque secret qu’elle déterrait, elle traçait son chemin vers la liberté—peu importe le prix à payer.