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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 3Traque à l’Orée


Élise

Des pas lourds martèlent la boue, chaque foulée résonnant comme un tambour dans ma poitrine. La brume, épaisse et froide, s’accroche à ma peau, alourdissant mes vêtements déjà trempés. L’odeur de terre humide et de pins me suffoque, saturant l’air d’une pesanteur qui pèse sur mes poumons. À mes côtés, Mathis avance, sa respiration rauque, une main pressée contre son flanc où le bandage grossier est déjà sombre de sang. Ses yeux gris-bleu scrutent les environs, alertes, mais je vois la tension dans sa mâchoire, la douleur qu’il refuse de laisser paraître. Ma propre peur me noue l’estomac, amplifiée par la pulsation sourde dans ma cicatrice au poignet gauche, comme un avertissement que je ne peux ignorer. Sombreval nous entoure de ses ombres, ses branches tordues griffant le ciel, et chaque craquement dans l’obscurité me fait sursauter, mon cœur battant à tout rompre.

Nous ralentissons près d’un ruisseau, l’eau glissant sur des pierres lisses avec un murmure qui tranche le silence oppressant. Je m’appuie contre un tronc, mes jambes tremblantes, cherchant à reprendre mon souffle. Mes doigts serrent instinctivement le talisman de mon père, ce disque de métal usé qui pend à mon cou, comme si son poids pouvait ancrer mon esprit. Mais l’image de cette fleur noire, ses pétales luisants s’ouvrant sous la lune, hante mes pensées. Un présage. Une menace. Je ne peux m’en défaire. Je jette un regard à Mathis, son torse nu luisant de sueur et de brume, ses cicatrices anciennes barrant sa peau comme des cartes de batailles passées. Il est fort, solide, mais je vois le léger tremblement de sa main, la manière dont il évite mon regard. Il souffre, et c’est à cause de moi. Cette pensée me tord le ventre, un mélange de culpabilité et d’une tendresse que je n’ose pas nommer.

Soudain, un éclat bleuté perce la brume au loin, suivi d’un autre. Mon sang se glace. Des bruits de bottes, lourds et rythmés, résonnent dans la forêt, accompagnés du cliquetis métallique d’armures. Avant que je ne puisse murmurer un mot, des silhouettes émergent des arbres, leurs formes sombres se détachant contre le brouillard comme des spectres. Des armures noires, gravées de runes qui luisent d’une lumière froide, enveloppent ces hommes—ou ces monstres. Au centre, une figure plus grande, plus imposante, s’avance avec une assurance glaçante. Son casque est relevé, révélant un visage dur, taillé comme de la pierre, des yeux d’acier qui me transpercent. Une voix froide, mesurée, tranche l’air, chaque mot pesant comme une lame.

« Arrêtez-vous, abomination. Ta fuite s’achève ici. »

Mon cœur s’emballe, mes mains se crispent sur le talisman. Abomination. Ce mot me frappe, réveillant une peur ancienne, un doute que j’ai tenté d’étouffer. Suis-je vraiment ce qu’il dit ? Mes jambes tremblent, mais je force ma voix à sortir, malgré le frisson qui la fait vaciller.

« Je ne suis pas ce que vous croyez. Laissez-nous passer. »

Un sourire cruel étire ses lèvres, un contraste saisissant avec la froideur de son regard. « Oh, je sais exactement ce que tu es, Élise Moreau. Un fléau. Une malédiction à purger pour sauver ce qui reste d’humanité. » Il lève une main, et une sphère de fer, pulsant d’une lueur bleue, flotte au-dessus de sa paume. Sa lumière semble me chercher, me traquer, et une chaleur désagréable envahit ma cicatrice, comme si elle répondait à cet artefact maudit. « Ton sang appelle la destruction. Mais je vais y mettre fin. Moi, Viktor Stahl, émissaire de l’Ordre du Fer, je te le promets. »

Mathis se place devant moi, un grognement sourd montant de sa gorge. Sa posture est celle d’un prédateur prêt à bondir, malgré la douleur qui crispe ses traits. « Tu parles trop, chasseur. Approche, et je t’arrache la gorge. » Sa voix est rauque, chargée de mépris, mais je sens la tension dans ses muscles, la manière dont il se prépare à un combat qu’il sait inégal.

Viktor incline la tête, son sourire s’élargissant. « Un chien fidèle. Pathétique. Tuez-les. »

L’ordre claque, et les soldats s’élancent, leurs armes—des lames et des arbalètes—scintillant de cette même lueur bleue. Mon instinct prend le dessus. Je ferme les yeux un instant, laissant la panique refluer, et tends les mains, mes doigts tremblants. Une chaleur familière monte en moi, douloureuse mais vive, et une brume argentée jaillit, s’élevant comme un mur entre nous et eux. Elle tourbillonne, dense, masquant notre position, mais chaque seconde où je la maintiens, une douleur aiguë traverse ma cicatrice, irradiant dans mon bras, dans tout mon corps. Mes jambes fléchissent, un gémissement m’échappe. Je ne vais pas tenir longtemps.

Un bourdonnement strident déchire l’air. La sphère de Viktor émet une pulsation, une vague d’énergie qui heurte ma brume comme un vent glacial. Elle vacille, se fissure, des pans entiers se dissipant sous mes yeux horrifiés. La douleur s’intensifie, un feu dans mes veines, et je tombe à genoux, le souffle court, des points noirs dansant devant mes yeux. « Non… » murmure-je, ma voix brisée. Mon pouvoir, ma seule défense, s’effrite face à cet artefact. Je suis vulnérable, exposée, et la peur me submerge, plus froide que la brume elle-même.

Mathis rugit, se jetant sur le soldat le plus proche. Ses poings, ses griffes—je ne sais plus ce qu’il utilise—frappent avec une sauvagerie désespérée. Un craquement d’os résonne, suivi d’un cri, mais un autre soldat surgit, sa lame enchantée s’abattant sur le flanc déjà blessé de Mathis. Du sang jaillit, rouge vif contre sa peau hâlée, gouttant sur le sol boueux. Mon cœur se serre, un cri m’échappe. « Mathis ! »

« Reste derrière moi ! » gronde-t-il, repoussant un autre assaillant d’un coup d’épaule. Mais il chancelle, sa respiration devenant un râle. Chaque coup qu’il prend, c’est pour moi, pour me donner du temps. La culpabilité me ronge, mêlée à une gratitude si intense qu’elle me coupe le souffle. Je ne peux pas le laisser tomber. Pas encore.

Je me relève, titubante, mes mains cherchant à nouveau cette chaleur intérieure. La brume revient, plus faible, mais suffisante pour brouiller la vue d’un soldat qui s’approche. Mathis en profite, le désarmant d’un mouvement rapide, mais un carreau d’arbalète siffle près de mon oreille, me frôlant la joue. La brûlure est vive, un filet de sang coule, mais ce n’est rien comparé à la terreur qui me broie. Ils sont trop nombreux. Trop puissants.

La voix de Viktor perce à nouveau, teintée d’une satisfaction froide. « Tu ne gagneras pas, fille maudite. Ton pouvoir est faible, ton sang une abomination. Rends-toi, et peut-être épargnerai-je ton chien. »

Je serre les dents, mes yeux brûlants de larmes de rage et de peur. « Jamais. » Le mot sort, plus fort que je ne l’espérais, porté par une révolte que je ne savais pas posséder. Mais au fond, ses paroles s’insinuent, venimeuses. Et s’il avait raison ? Si mon sang, mon héritage, était vraiment une malédiction ? L’image de la Clairière de l’Autel Sanglant flash dans mon esprit—mon sang mêlé à celui de Mathis, cette entité spectre-loup repoussée mais réveillée. Ai-je condamné tout ce que je touche ?

Un grognement de Mathis me ramène à l’instant. Il repousse un dernier soldat, son torse se soulevant avec effort, son sang formant une mare sous lui. « Élise, cours ! » Sa voix est un ordre, mais aussi une supplication. Je ne veux pas le laisser, mais ses yeux me clouent sur place, pleins d’une urgence désespérée. Il ne tiendra pas s’il doit me protéger et se battre.

Je hoche la tête, la gorge nouée, et m’élance, mes pieds glissant dans la boue. Mathis me suit, son pas lourd mais déterminé. La forêt se referme autour de nous, les ronces déchirent ma peau, chaque griffure comme une accusation. Sombreval semble nous rejeter, ses ombres plus denses, ses murmures plus menaçants. Derrière nous, les cris des soldats résonnent, et la voix de Viktor, portée par le vent, s’élève une dernière fois, un sourire cruel dans le ton. « Tu ne pourras pas courir éternellement, Élise. Je te trouverai. »

Chaque mot est un poids, une promesse de traque implacable. Mon souffle se brise en sanglots étouffés alors que nous disparaissons dans l’obscurité des arbres. La peur, plus aiguë que jamais, s’installe dans mon cœur. Pour la première fois, je ressens l’ampleur de la menace de l’Ordre du Fer—une force organisée, froide, déterminée à me briser. Mes doigts effleurent le talisman, mais aucun réconfort n’en vient. À mes côtés, Mathis halète, son sang gouttant encore, une présence solide mais blessée. Nous sommes seuls, traqués, et je ne sais pas combien de temps nous tiendrons avant que l’ombre de Viktor ne nous rattrape.