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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Disparitions Nocturnes


Camille Leroux

Le matin pénétrait timidement dans l’appartement haussmannien à travers les rideaux à demi fermés, projetant des ombres obliques sur les murs impeccablement blancs. Camille se leva d’un pas lourd, incapable de trouver le répit d’un sommeil réparateur. Les images de Victor quittant l’appartement au milieu de la nuit s’étaient incrustées dans son esprit. Une tension sourde, presque viscérale, envahissait chaque fibre de son être. Elle savait qu'elle devait agir.

Après un passage rapide dans la salle de bain, où les éclaboussures d’eau froide ne réussirent pas à dissiper son malaise, elle s’approcha du bureau de Victor. Pendant des années, cette pièce avait été un sanctuaire inviolable. Victor y passait des heures, plongé dans ses intrigues littéraires, et elle avait respecté cette frontière implicite, pensant qu'il s'agissait d'un espace nécessaire à son génie créatif. Mais aujourd’hui, cette barrière semblait insignifiante face à ses doutes grandissants.

Elle poussa la porte lentement, comme si elle craignait de réveiller quelque chose de latent. L’air de la pièce avait une odeur légèrement musquée, un mélange de papier ancien et de cuir vieilli. Les rayons du soleil glissaient sur le bureau en acajou, révélant un ordre méticuleux. Quelques feuillets étaient empilés à gauche, une plume élégante reposait sur un encrier, et un carnet noir, légèrement usé sur les bords, trônait au centre, comme une invitation.

Camille résista à l’envie de regarder par-dessus son épaule, une habitude instinctive qu’elle ne pouvait pas expliquer. Elle tendit la main et ouvrit le carnet avec précaution. Les premières pages étaient remplies de notes désordonnées, des phrases fragmentées, des esquisses d’idées. Mais plus elle tournait les pages, plus les mots prenaient une forme inquiétante. Certaines lignes semblaient cryptiques, presque codées, tandis que d’autres décrivaient des scènes troublantes : *"Un cri étouffé, la nuit l’engloutit."* ou encore *"Les ombres s’étirent là où le regard ne peut suivre."*

Elle s’arrêta net sur une phrase : *"Les miroirs ne mentent pas, mais les yeux qui les traversent, eux, le peuvent."* Son cœur accéléra. La date, griffonnée dans un coin, correspondait à la veille. Ses doigts effleurèrent les lettres imprimées à l’encre noire. Une partie d’elle voulait refermer le carnet et tout oublier, mais une curiosité morbide la poussait à continuer. Cette phrase, comme un écho étrange, lui rappela un détail dans l’un des manuscrits de Victor qu’elle avait feuilleté par le passé, une scène où un personnage perdait pied face à un reflet qui révélait une vérité insupportable.

Un bruit soudain à la porte d’entrée la fit sursauter. Elle referma précipitamment le carnet et le remit à sa place, ses mains tremblant légèrement. Une voix grave résonna depuis le hall d’entrée.

« Madame Leroux ? Commissaire Duval. »

Camille se figea, le souffle coupé. Pourquoi le commissaire était-il ici ? Elle traversa la pièce et referma la porte du bureau derrière elle avant de se diriger vers l’entrée. Duval se tenait là, imposant dans son trench-coat usé, une chemise dont le col était légèrement froissé dépassant de son pull. Son regard perçant, derrière ses lunettes carrées, semblait scruter chaque détail autour de lui.

« Commissaire, que puis-je pour vous ? » demanda Camille, tentant de masquer son trouble.

Duval ôta son chapeau, le tenant entre ses mains d’un geste presque cérémoniel. « Mes excuses pour cette visite impromptue, mais j’ai des questions importantes concernant votre mari. »

Le sol sembla vaciller sous les pieds de Camille. Elle croisa les bras, plus pour se protéger que pour afficher une quelconque assurance. « Victor ? Que se passe-t-il ? »

Duval avança légèrement, son regard fixé sur elle comme s’il cherchait à déceler des fissures dans sa façade. « Une femme a été retrouvée morte hier soir. Solène Marchand, je suppose que ce nom vous est familier ? »

Camille secoua lentement la tête. « Non, je ne la connais pas. Que voulait-elle à Victor ? »

Duval haussa un sourcil. « C’est ce que nous espérons découvrir. Monsieur Morel était en contact avec la victime peu de temps avant sa mort. Elle travaillait dans une galerie d’art qui organisait une exposition autour de ses œuvres littéraires. Avez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel ces derniers jours ? »

Son esprit s’emballa. Les murmures au tribunal, l’attitude distante de Victor, sa sortie nocturne, et maintenant ce meurtre—tous ces éléments semblaient dessiner une toile qu’elle peinait à comprendre.

« Rien de spécial, » mentit-elle, sa voix plus ferme qu’elle ne s’y attendait.

Duval la dévisagea un instant, comme s’il pesait ses mots. « Si vous vous souvenez de quoi que ce soit, même d’un détail insignifiant, appelez-moi. » Il lui tendit une carte.

Camille la saisit, ses doigts frôlant brièvement ceux du commissaire. Une vague de nervosité l’envahit, mais elle hocha poliment la tête.

« Oh, et une dernière chose… » Duval fit un pas en arrière, son regard toujours fixé sur elle. « Nous avons des raisons de croire que cette affaire pourrait être liée à d’autres disparitions remontant à plusieurs mois. Vous comprenez donc que votre coopération est essentielle. »

Il tourna les talons et s’éloigna, laissant Camille seule dans le silence oppressant de l’appartement. Elle ferma la porte derrière lui, son esprit un tourbillon de pensées contradictoires.

Victor. Lié à une femme morte. Les indices dans ses œuvres, les phrases sibyllines inscrites dans le carnet, et maintenant ce lien avec un meurtre… Tout cela formait un puzzle qu’elle n’arrivait pas à assembler. Délibérément, elle retourna dans le bureau, incapable de rester immobile. Ses yeux se posèrent de nouveau sur le carnet, mais une angoisse sourde l’empêcha de l’ouvrir à nouveau.

Elle se dirigea vers la bibliothèque, ses doigts glissant sur les tranches des livres. L’un d’eux, plus usé que les autres, attira son attention. Elle le tira délicatement, révélant une petite clé cachée derrière. Une clé froide, presque anodine, mais qui semblait porter un poids symbolique. Ses mains tremblèrent en la saisissant. Une clé. Pour quoi ? Pour un tiroir, peut-être, ou un espace encore plus secret ? Une pensée fugace la traversa : le tiroir verrouillé qu’elle avait remarqué dans le bureau de Victor.

Un craquement résonna soudain dans l’appartement, comme si le parquet avait gémi sous un pas discret. Camille se tourna brusquement, s’attendant à voir Victor, mais lorsqu’elle scruta le couloir, elle ne vit que le vide. Était-ce son esprit qui lui jouait des tours, ou bien était-elle réellement surveillée ?

Un frisson glacial parcourut son échine. "Il faut que je comprenne," pensa-t-elle avec une détermination naissante.