Chapitre 3 — Clés sous la glace
Sophie Delacroix
Les mains tremblantes, Sophie entrouvrit la porte du petit bureau de Guillaume. La pièce, plongée dans une pénombre glaciale, semblait figée dans le temps. Les volets étaient restés fermés depuis la veille, et l’odeur familière de café froid et de cuir vieilli flottait encore dans l’air, mêlée à une étrange sensation d’absence. Elle referma lentement la porte derrière elle, le bruit du verrou amplifié dans le silence oppressant.
Cet endroit n’était pas qu’un simple bureau. C’était le sanctuaire de Guillaume, un espace où il élaborait des stratégies, griffonnait des idées sur ses carnets et se recentrait loin des attentes du monde extérieur. Chaque objet, chaque détail respirait sa présence. Maintenant, tout semblait vide, comme un écho silencieux de ce qu’il avait été.
Sophie alluma la lampe de bureau, dont la lumière vacillante projetait des ombres dansantes sur les murs recouverts de certificats et de photos. Son regard s’arrêta sur une image exposée en évidence : Guillaume souriait à pleines dents, un bras protecteur autour de ses épaules, lors du jour de sa victoire en junior. Ce moment de gloire partagé semblait appartenir à un autre temps, à une vie où tout paraissait encore possible.
Elle détourna rapidement les yeux, chassant l’émotion brûlante qui lui serrait la gorge. Elle n’était pas venue ici pour se perdre dans ses souvenirs. Guillaume avait laissé derrière lui un secret, elle en était convaincue. Et ce secret, elle devait le trouver.
Elle s’efforça de rester méthodique malgré la tension qui montait en elle. En ouvrant les tiroirs les uns après les autres, elle passa en revue stylos, carnets et autres objets du quotidien. Rien ne semblait anormal. Pourtant, son instinct lui disait que quelque chose était là, caché, attendant d’être découvert.
Quand elle tira un tiroir jusqu’à son butoir, elle remarqua un détail. Le fond paraissait plus épais qu’il n’aurait dû l’être. Elle tapota dessus avec le bout des doigts : un bruit creux. Sophie fronça les sourcils et fouilla plus attentivement. Sous une pile de papiers, elle trouva un petit levier dissimulé. Elle le pressa, et une planche se dégagea en révélant un compartiment secret.
Son cœur s’emballa. Elle plongea la main dans l’espace dissimulé et y trouva une clé USB noire, simple et discrète. Un autocollant rouge y était collé, portant une inscription concise : « Confidential ». Sophie sentit une vague de soulagement et de panique simultanées. Ce petit objet représentait peut-être la vérité que Guillaume n’avait pas pu lui confier, mais il portait aussi en lui le poids d’un danger immense.
Elle serra la clé dans sa main, comme si elle craignait qu’elle lui échappe, puis la glissa dans la poche intérieure de son manteau. Alors qu’elle allait refermer le tiroir, son regard fut attiré par un carnet posé à l’extrémité du bureau. Contrairement aux autres, celui-ci semblait neuf, à peine utilisé.
Elle hésita avant de le prendre. En l’ouvrant, elle découvrit des pages griffonnées à la hâte, des notes cryptiques mêlant noms, chiffres et mots-clés. Certains termes ressortaient immédiatement : « Paris », « juges », et, plus inquiétant, « Duval ».
Sophie sentit un frisson glacé descendre le long de son dos. Ce nom déclenchait en elle une alerte instinctive. Les liens entre Guillaume, cette clé USB et le réseau criminel de Jean-Marc Duval commençaient à se dessiner, bien qu’ils soient encore flous. Elle referma le carnet et le glissa dans son sac, jurant intérieurement de le déchiffrer plus tard.
Un craquement soudain dans le couloir l’arracha brutalement à ses pensées. Son corps se figea, ses sens en alerte. Elle avait entendu ce bruit distinctement. Quelqu’un était là.
Le silence s’épaissit, presque insoutenable. Puis, des pas résonnèrent, lents et calculés, s’approchant de la porte. Sophie sentait son souffle devenir court, son esprit cherchant frénétiquement une issue. La fenêtre ? Trop petite. La porte ? Trop risqué. Elle était piégée.
Les pas s’arrêtèrent juste de l’autre côté. Une ombre apparut sous la porte. Elle retint un halètement lorsque la poignée commença à tourner.
« Ouvrez. »
La voix, grave et autoritaire, lui glaça le sang. Elle ne la reconnaissait pas, mais elle n’avait aucun doute. C’était l’homme qu’elle avait vu la veille.
Elle ne répondit pas. Les pensées se bousculaient dans sa tête. Elle devait agir, et vite. D’un geste précipité, elle attrapa une chaise et la cala sous la poignée pour bloquer l’accès.
La porte trembla violemment, puis une deuxième fois encore plus fort.
« Je sais que vous êtes là, mademoiselle Delacroix. »
Cet ajout fit l’effet d’une décharge dans son esprit. Il savait qui elle était. Ses mains devinrent moites, mais elle refusa de céder à la panique.
Elle jeta un regard rapide autour d’elle. Une petite porte menant à un débarras se trouvait à l’arrière de la pièce. Elle s’y précipita, l’ouvrit et se glissa à l’intérieur, refermant doucement derrière elle. L’obscurité du débarras l’enveloppa, un asile précaire rempli de cartons et d’objets poussiéreux.
Elle se tassa dans un coin, retenant son souffle. De l’autre côté, elle entendit le bruit distinct du bois qui se brise. L’homme avait forcé l’entrée. Ses pas lourds résonnaient dans le bureau, fouillant tout sur son passage.
Sophie lutta pour rester immobile, chaque muscle de son corps tendu à l’extrême. Elle savait qu’un seul son pouvait la trahir.
« Où est-ce qu’il l’a mise… » marmonna l’homme, sa voix rauque empreinte de frustration.
Les pas se rapprochèrent de la porte du débarras. Sophie ferma les yeux, priant pour qu’il ne la découvre pas.
« Je trouverai ce que je cherche, et vous feriez mieux de ne pas me compliquer la tâche. »
Le ton froid et menaçant de l’homme semblait traverser les murs. Puis, après un moment qui parut une éternité, les pas s’éloignèrent.
Elle attendit, le silence amplifiant son angoisse. Enfin, elle entendit le bruit de la porte d’entrée se refermer. Il était parti.
Sophie resta figée encore un instant avant d’oser bouger. Elle ouvrit la porte du débarras et découvrit le bureau saccagé, les papiers éparpillés, les tiroirs renversés. Elle n’avait pas de temps à perdre.
Elle quitta précipitamment la pièce, ses jambes tremblant sous elle. Une fois dehors, l’air glacé de la nuit la heurta, mais elle n’y prêta pas attention.
Elle savait, au fond d’elle, que cette clé USB contenait des informations trop importantes pour être ignorées. Mais elle savait aussi qu’elle ne pouvait pas affronter cela seule.
Son esprit s’attarda sur un nom. Un nom qu’elle n’avait pas prononcé depuis des années.
Alec.