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Romans de romance dans un seul endroit

Chapitre 2Une Prison Déguisée


Vivi

Les grilles de fer du domaine des Russo se dressaient devant elle, leurs motifs de filigrane s’entremêlant comme une toile délicate—belle, mais inéluctable. Vivi était assise, raide, à l’arrière de la berline noire, ses doigts traçant distraitement l’ourlet de son chemisier en soie. Une légère odeur de cuir et d’huile de moteur imprégnait l’air, se mêlant à la spirale serrée de colère et de défi qui se tordait dans sa poitrine. On l’avait livrée, une mariée réticente, à un monde qu’elle avait cherché à fuir. Les grilles s’ouvrirent en grinçant, leur écho métallique annonçant sa nouvelle captivité.

Alors que la voiture avançait lentement, le regard de Vivi s’attarda sur le domaine au-delà des grilles. La villa tentaculaire perchée sur la colline était à couper le souffle par sa grandeur. Ses murs de pierre pâle brillaient sous la lumière ambrée du soleil couchant, tandis que des vignes de jasmin s’enroulaient autour des imposantes colonnes, leur parfum délicat porté par la brise chaude de la Méditerranée. Pourtant, les hauts murs de pierre qui encerclaient la propriété révélaient une vérité inéluctable : ce n’était pas un sanctuaire. C’était une forteresse.

La voiture s’arrêta, et le chauffeur descendit pour ouvrir sa portière. Vivi hésita un instant, ses doigts se crispant brièvement sur sa pochette. Elle inspira profondément, cherchant à maîtriser son calme, avant de sortir. Ses talons claquèrent sur les pavés, un son net et déterminé. Elle ne leur laisserait pas voir qu’elle vacillait—pas ici, pas maintenant, pas sous leurs regards.

Ses yeux rencontrèrent la silhouette qui descendait lentement les larges marches de marbre de la villa. Dante Russo avançait avec une précision mesurée, vêtu d’un costume taillé sur mesure qui lui allait comme une armure. Ses yeux sombres étaient fixés sur elle avec une intensité troublante. Il ressemblait à un lion, surveillant son territoire, et elle, l’intruse.

« Bienvenue dans votre nouveau chez-vous, » dit Dante d’une voix calme, presque courtoise, mais teintée d’acier. « J’espère que le voyage a été à votre convenance. »

« Confortable, disons cela, » répondit Vivi d’un ton mesuré, mais acéré. Elle releva le menton, soutenant son regard sans ciller. Le défi venait naturellement pour elle, un bouclier instinctif contre le pouvoir troublant qu’il émanait. « Bien que je doute que le confort soit votre priorité dans cet arrangement. »

Un faible sourire sans joie effleura les lèvres de Dante. « Le confort est relatif, Madame Russo. Entrons. »

Le titre la heurta, mais Vivi refusa de broncher. Au lieu de cela, elle passa devant lui, ses pas précis et déterminés, même si son pouls battait à tout rompre dans ses oreilles. L’entrée grandiose de la villa l’engloutit, ses sols en marbre étincelant sous la lumière des lustres ornés. L’air portait une odeur de bois ciré et une légère effluve d’agrumes, mais aucune chaleur humaine ne s’y trouvait. Ce n’était pas une maison. C’était une scène, soigneusement orchestrée et impeccable, où les apparences étaient tout et l’intimité inexistante.

Dante la conduisit dans un salon où un plateau de thé et des petits sandwichs reposaient intacts sur une table basse. La pièce était impeccablement décorée—bois sombre, accents dorés subtils, et lourds rideaux masquant les derniers rayons du soleil couchant. Pourtant, la présence de deux gardes postés près de la porte brisait toute illusion de confort. Leur vigilance silencieuse pesait sur elle comme des chaînes invisibles.

« Mettons les choses au clair, » déclara Dante d’un ton aussi tranchant que la coupe de son costume. « Notre arrangement est simple. En public, vous agirez comme ma femme loyale. Votre présence renforcera ma crédibilité. En échange, vous bénéficierez de certaines… libertés. »

« Libertés ? » répéta Vivi, un sourcil arqué.

« Vous aurez une certaine latitude à l’intérieur du domaine, » répondit-il d’une voix posée, son regard inébranlable. « Et vous pourrez continuer à gérer votre galerie, tant que cela ne contredit pas mes intérêts. Mais ne vous y trompez pas—votre loyauté est exigée. »

« Et si je refuse ? »

L’expression de Dante s’assombrit un bref instant, un éclat dangereux traversant ses traits avant que son masque de contrôle ne se reforme. « Je vous le déconseille vivement. »

Le silence qui suivit était chargé de menaces tacites et de défis non exprimés. Vivi força sa respiration à rester régulière, malgré son cœur battant à tout rompre sous son calme apparent. Elle ne lui laisserait pas voir sa peur.

« Dois-je vous montrer vos quartiers ? » demanda Dante, son ton redevenu calculé.

« Montrez-moi, » répondit Vivi sèchement.

Alors qu’ils traversaient la villa, Vivi observait chaque détail avec un regard analytique. Les sols polis amplifiaient le bruit de leurs pas, chaque écho se prolongeant dans le silence oppressant. De lourdes portes en bois bordaient les couloirs, leurs poignées en laiton brillant sous l’éclairage encastré. À l’extérieur, le bourdonnement sourd des drones de sécurité se mêlait au murmure lointain des vagues—un rappel constant de l’isolement du domaine.

Lorsqu’ils atteignirent l’aile des invités, Dante ouvrit une porte qui révélait une chambre spacieuse. La décoration était élégante mais froide, dans des tons neutres et un ameublement minimaliste. Une grande fenêtre donnait sur des jardins impeccablement entretenus, leur beauté éclatante enfermée par les murs de pierre.

« Cet espace sera le vôtre, » dit Dante, les mots nets. « Vous êtes libre de le personnaliser à votre guise. »

« Comme c’est généreux, » répondit Vivi, sa voix chargée de sarcasme. Elle entra dans la pièce, ses talons s’enfonçant dans le tapis moelleux. « Et vous, où serez-vous ? Dans votre salle du trône ? »

Les lèvres de Dante tiquèrent, comme si son défi l’amusait. « Je serai dans mon bureau. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, adressez-vous au personnel. Et Vivi… »

Elle se retourna pour le regarder, ses yeux noisette verrouillant ses sombres prunelles.

« Vous feriez bien de vous rappeler que la confiance se mérite, » dit-il, sa voix prenant une gravité subtile, comme si ces mots portaient un poids qu’il ne souhaitait pas entièrement révéler. « Elle ne s’offre pas gratuitement. »

La porte se referma derrière lui, la laissant seule dans un silence oppressant. Elle expira lentement, son regard errant dans la pièce. L’air semblait lourd, presque oppressant, comme si les murs eux-mêmes l’observaient. Elle devait bouger.

Déterminée à se familiariser avec son environnement, Vivi sortit dans le couloir. La villa était un labyrinthe d’opulence et de contrôle. Elle passa devant une bibliothèque aux étagères allant du sol au plafond, l’odeur du cuir vieilli et du papier flottant dans l’air. Une salle à manger avec une table assez grande pour accueillir une armée. Une véranda remplie de plantes exotiques qui semblaient presque déplacées dans ce manoir stérile.

Ses pas ralentirent lorsqu’elle approcha d’une porte légèrement entrouverte. En la poussant, elle entra dans un bureau—le bureau de Dante, comprit-elle immédiatement.La pièce exhalait une aura particulière : des meubles en bois sombre, une organisation méticuleuse et l'effluve subtil de son parfum imprégnant l'air. Sur le bureau, un seul objet attirait irrésistiblement son regard : une bague chevalière en or, gravée du blason de la famille Russo.

Ses doigts la démangeaient à l’idée de l’effleurer, de sentir le poids symbolique de cette autorité. Pourtant, une intuition la retenait. Son attention se détourna vers un coffre-fort discrètement encastré dans le mur derrière le bureau. Sa présence était subtile, presque imperceptible, mais indéniable. Que pouvait-il renfermer ? Était-ce lié aux dettes de son père ? Ou bien abritait-il des secrets que Dante protégeait avec autant de férocité que son pouvoir ?

Le bruit de pas dans le couloir la fit sursauter. Elle quitta la pièce précipitamment, refermant la porte juste à temps lorsqu’une petite voix retentit.

« Qui est là ? »

Vivi se retourna pour apercevoir un garçon, à quelques pas d’elle. Il ne devait pas avoir plus de dix ans, avec ses cheveux bruns légèrement ébouriffés et ses grands yeux marron, méfiants mais curieux. Il tenait un carnet de croquis relié en cuir contre lui, sa petite silhouette presque perdue dans l'immensité de la villa.

« Tu dois être Enzo, » dit Vivi doucement, s'accroupissant légèrement pour se mettre à sa hauteur. « Je suis Vivi. »

Enzo hocha la tête, ses mains s’agrippant nerveusement au carnet. « Vous êtes la femme de l’oncle Dante ? »

« Oui, » répondit-elle, les mots ayant un goût étrange sur sa langue. « Et toi, tu es son neveu ? »

« Oui, » murmura Enzo, sa voix à peine plus qu’un souffle. Il hésita avant d’ajouter : « Vous aimez dessiner ? »

« Oui, j’aime beaucoup, » répondit Vivi, une chaleur sincère dans sa voix. « Et toi ? »

Enzo hocha de nouveau la tête, son expression se détendant. « J’aime dessiner ce que je vois. Et parfois ce que j’imagine. »

« C’est un don précieux, » dit Vivi avec un sourire doux. « Peut-être qu’un jour, tu pourrais me montrer tes dessins. »

Les lèvres d’Enzo esquissèrent un sourire timide. « Peut-être. »

Avant qu’elle ne puisse répondre, la voix de Dante se fit entendre dans le couloir, appelant Enzo. Le visage de l’enfant changea, partagé entre affection et une légère appréhension. Il adressa un petit signe de la main à Vivi avant de partir en courant, la laissant à nouveau seule.

Seule dans le silence du couloir, Vivi sentit monter en elle une vague d’émotion qu’elle ne parvenait pas à définir. La présence d’Enzo, si innocente, était un rappel poignant de la fragilité et de la beauté éphémère de ce qui restait encore pur dans ce monde. Elle ne pouvait pas détourner les yeux de cette vérité.

Les murs de cette cage dorée étaient hauts, mais ils n’étaient pas infranchissables. Vivi Moreau n’était pas du genre à rester prisonnière bien longtemps.